Un sondage, réalisé par Harris-Décima pour la Presse Canadienne, révèle que le premier ministre Stephen Harper et le chef libéral Stéphane Dion accusent un sérieux déficit en terme de charisme : 41 pour cent, les répondants ont indiqué que la personnalité du premier ministre représentait une faiblesse. Le dirigeant libéral fait pire avec un taux de 50 pour cent. 38 pour cent des gens interrogés croient que la personnalité de M. Harper est un atout alors que M. Dion ne récolte qu’un maigre 19 pour cent.
C’est dans ce contexte que Stéphane Dion n’a eu d’autre choix que de déclarer : « Les Canadiens peuvent compter sur l’opposition officielle pour faire tout son possible afin de faire fonctionner ce parlement. Nous allons proposer un amendement et nous ne ferons pas tomber le gouvernement sur son discours du trône ». En réplique au chef du NPD, qui lui reprochait de ne pas s’opposer à l’agenda du gouvernement conservateur, Stéphane Dion a répondu : « J’ai une responsabilité que le (chef du NPD) n’a pas. J’ai l’intention de devenir premier ministre ». (Cyberpresse)
Stephen Harper survivra. Stéphane Dion vient d’en prendre l’engagement. Jamais Machiavel n’aura à ce point réalisé l’importance de ce principe qu’il énonçait lui-même : « Gouverner, c’est mettre vos sujets hors d’état de vous nuire et même d’y penser ». Le gouvernement conservateur minoritaire vient d’en faire la démonstration.
Stephen Harper aime bien gouverner. Cela se voit. Il aime bien user de stratégie. Cela se voit aussi. Il vient d’énoncer dans son discours du trône cinq priorités. Du long terme. Il s’était fait élire sur cinq promesses. Il les a réalisées. Ces priorités à long terme sont : « renforcer la souveraineté du Canada et sa place dans le monde, renforcer la fédération, exercer un leadership économique efficace, continuer de lutter contre le crime et améliorer notre environnement ».
Dans son discours, le gouvernement a annoncé qu’il ne respectera pas les objectifs du protocole de Kyoto sur les réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES). Il compte toutefois lutter contre les changements climatiques grâce à sa stratégie nationale qui prévoit des réductions d’émissions de GES de 60 % à 70 % d’ici 2050. Même s’il y a un vote sur la présence canadienne en Afghanistan, le gouvernement laisse toutefois entendre que les troupes canadiennes pourraient rester au-delà de l’échéancier initial de février 2009, les forces afghanes n’étant pas en mesure de prendre la relève à cette date. Un tel objectif ne pourrait être atteint qu’en 2011.
Le gouvernement entend bien déposer un projet de loi pour limiter le pouvoir fédéral de dépenser. Le projet de loi permettra à toute province de se retirer d’un programme et d’être compensée financièrement dans la mesure où les nouveaux programmes à coûts partagés s’inscrivent dans son champ de compétence. Le gouvernement promet d’aider les industries traditionnelles du Canada, entre autres les secteurs manufacturier et forestier. Un projet de loi sera déposé qui visera le durcissement des conditions de mise en liberté et des peines d’emprisonnement obligatoires pour ceux qui commettent des crimes avec des armes à feu. Il inclura également des mesures plus sévères contre ceux qui conduisent avec des facultés affaiblies.
Le premier ministre conservateur entend affirmer et mener à terme la souveraineté canadienne en Arctique. Il veut notamment le faire en instaurant une station de recherche sur l’Arctique. Stephen Harper poursuivra la réforme du Sénat, adoptera des mesures pour obliger les électeurs à se dévoiler lors de l’exerce de leur droit de vote, présentera un projet de loi pour accorder aux autochtones les mêmes droits qu’aux autres Canadiens et profitera de cette mesure pour présenter des excuses à ceux ou celles qui ont subi des sévices lorsqu’ils résidaient dans des pensionnats. En terminant, le gouvernement Harper entend honorer la Birmane, Aung San Suu Kyi, en l’élevant au rang de Citoyenne d’honneur du Canada.
« Le pire de tout (dans ce discours), c’est bien sûr la grande faiblesse de l’approche du gouvernement sur les questions environnementales », a déclaré le chef de l’opposition officielle à Ottawa, Stéphane Dion.
S’il n’en était tenu qu’aux partis d’opposition, le gouvernement Harper aurait été battu sur son discours du trôle. Le Bloc québécois (indépendantiste) et le Nouveau parti démocratique (NPD, gauche) avaient annoncé qu’ils voteraient contre le programme gouvernemental. Mais voilà. Est-ce bien le cas ? Gilles Duceppe et Jack Layton doivent respirer d’aise. Tout le poids de cette décision repose maintenant et exclusivement sur les épaules de Stéphane Dion. Au niveau de désorganisation où se trouve le chef libéral, que peut-il lui arriver de pire sinon de remonter sensiblement dans les sondages ?
Stephen Harper a attaqué de plein fouet Stéphane Dion dans ses convictions profondes : il reniera officiellement l’entente de Kyoto. Qu’à cela ne tienne. Le chef libéral ne peut contourner l’issue fatale du discours du trôle : le gouvernement doit survivre car lui, Stéphane Dion, est trop affaibli pour affronter l’électorat canadien. Stéphane Dion ne pouvait également ignorer la tendance de certains grands éditoriaux, dans la presse canadienne, qui allait dans le sens de celui du Globe and Mail qui avait jugé mercredi le programme exposé par M. Harper suffisamment modéré et réaliste pour ne pas justifier le renversement du gouvernement.
Monsieur Dion croit aux vertus des amendements pour montrer qu’il sera le maître du jeu parlementaire : « nous allons proposer des amendements et nous ne ferons pas tomber ce gouvernement à cause du discours du Trône, ce qui provoquerait une troisième élection en quatre ans ». Sauf qu’il aura besoin des deux autres partis d’opposition – à qui il vient de faire un pied de nez - pour s’assurer de leur adoption. Le premier amendement qu’il proposera rendra le gouvernement conservateur responsable de l’échec des efforts de réduction des gaz à effets de serre en vertu du Protocole de Kyoto et le contraindra à modifier sa stratégie. Le deuxième touchera, cela est convenu, le retrait des troupes canadiennes du sud de l’Afghanistan en février 2009 plutôt qu’en 2011, comme le souhaite Stephen Harper.
Si le gouvernement refuse ces amendements, et quelques autres concernent la lutte contre la pauvreté et l’économie canadienne, y compris les fiducies de revenu, l’opposition libérale refusera en bloc de voter sur le discours du trône, laissant Stephen Harper aux prises avec le Bloc québécois de Gilles Duceppe et le Nouveau parti démocratique de Jack Layton. Stephen Harper s’est moqué de Dion, le comparant à un professeur qui souligne à grands traits rouges tout ce qu’il n’aime pas dans un travail mais qui finit par accorder la note de son passage à son étudiant.
La stratégie de Stéphane Dion repose donc sur une équation mathématique. Un premier amendement blâme le gouvernement conservateur pour son échec face à Kyoto. Le parti conservateur n’aura d’autre choix que de voter contre cet amendement. Il faudra voir quelle sera la position des autres partis d’opposition. Pour voter en faveur d’un tel amendement, des négociations devront forcément se tenir entre les trois partis d’opposition. Le principe des échanges jouera : je te donne ceci, tu me donnes cela. Mais à eux seuls, le Bloc et le NPD ne pourront changer la donne à Ottawa.
Le discours du trône coïncidait également avec l’arrivée du nouveau député conservateur élu, le 17 septembre dernier, dans le bastion du Bloc québécois, la circonscription de Roberval-Lac-Saint-Jean, monsieur Denis Lebel. Le chef du gouvernement a profité de sa présentation officielle à la Chambre des communes pour souligner que : « cette élection a démontré de façon spectaculaire que les valeurs conservatrices sont des valeurs canadiennes et sont aussi des valeurs québécoises. On a reconnu la nation québécoise et c’est normal d’être nationaliste quand on fait partie d’une nation ».
Denis Lebel, le nouveau député, aura ainsi devant lui une courte période pour se familiariser avec les tractations parlementaires. Son chef, lui, aura du temps pour se refaire une santé et espérer une erreur fatale de Stephen Harper. La question est évidente : pourra-t-il inverser la tendance dans les sondages et la population canadienne le trouvera-t-il plus charismatique dans un an qu’il ne l’est aujourd’hui ? L’homme de principe qu’on lui reconnaît se convertira-t-il en homme de spectacles et de variétés pour satisfaire les exigences d’un électorat qui le boude jusqu’à ce jour ? D’universitaire, Stéphane Dion deviendra-t-il – pour la bonne cause – un adepte du showbiz et défrayera-t-il davantage les chroniques « peoples » à celles de la politique ?
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