mercredi 17 octobre 2007

Poutine s'oppose aux États-Unis sur la question de l'Iran

À la veille du départ du président russe pour participer au deuxième sommet des chefs d’État des cinq pays riverains de la Caspienne (Azerbaïdjan, Iran, Kazakhstan, Russie, Turkménistan), qui se tient à Téhéran, le porte-parole adjoint du département d’État américain, Tom Casey, a dit que l’administration du président George W. Bush souhaitait que Vladimir Poutine incite l’Iran à améliorer ses relations avec les États-Unis et la communauté internationale. Pour cela, l’Iran devait se conformer aux résolutions des Nations Unies et renoncer à son programme de développement nucléaire.

En réponse, le président Vladimir Poutine confirme que Téhéran a le droit de développer son programme nucléaire et tout recours à la force dans la région contre l’Iran serait inacceptable. Le sommet des cinq pays riverains de la Caspienne (Azerbaïdjan, Iran, Kazakhstan, Russie, Turkménistan) s’est rangé derrière Vladimir Poutine en appuyant l’Iran dans le cadre du Traité de non-prolifération. Ils soutiennent « le droit pour tout pays membre de l’accord de non-prolifération de développer les recherches, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, sans discrimination, dans le cadre de cet accord et des mécanismes de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ».

Les chefs d’État ont de plus réitéré qu’aucun pays tiers ne sera autorisé à utiliser leur territoire pour attaquer celui d’un autre - une riposte aux craintes d’une attaque américaine contre l’Iran. Depuis longtemps, la rumeur veut que Washington souhaite utiliser l’Azerbaïdjan comme base d’une éventuelle action contre l’Iran. Dans le cadre de leur deuxième rencontre, les cinq pays confirment qu’ils doivent renforcer la confiance mutuelle, la sécurité et la stabilité régionales, et qu’ils doivent s’abstenir d’avoir recours à la violence militaire dans le cadre de leurs relations réciproques.

Autre avertissement adressé aux États-Unis, cette fois-ci par le président Mahmoud Ahmadinejad, en accord avec son homologue Poutine : « La mer Caspienne est une mer intérieure qui n’appartient qu’aux États caspiens et, de ce fait, eux seuls ont le droit d’y avoir des bâtiments et forces militaires ». Malgré une rivalité sur le partage des fonds marins et leurs hydrocarbures, le sommet est parvenu à un accord selon lequel la mer Caspienne doit être exclusivement utilisée à des fins pacifiques, et tous les problèmes relatifs à cette espace maritime devront être réglés par voie de négociation par les États riverains. Il faut savoir que l’Iran et le Turkménistan défendent le principe d’un partage de la Caspienne en cinq zones d’influence égales alors que les trois autres riverains veulent qu’il soit basé sur la longueur de leurs rives respectives.

À eux seuls, l’Iran et la Russie détiennent 50 % des réserves mondiales de gaz. Selon Vladimir Poutine, d’autres avenues restent à être explorées par les deux pays : « l’Espace, l’aviation civile, les gros projets d’infrastructure, le développement du corridor (de transport) Nord-Sud ». Les échanges commerciaux, en progression, entre les deux pays, ont atteint deux milliards de dollars. Raison suffisante pour Vladimir Poutine qui répète que : « l’Iran et la Russie font partie des plus gros exportateurs (d’hydrocarbures) dans le monde et la santé de l’économie mondiale dépend à plus d’un titre de nos démarches sur les marchés mondiaux. Nous sommes conscients de notre responsabilité devant nos partenaires, cela concerne le pétrole et le gaz, mais aussi la production d’électricité ».

Comme si cela n’était pas suffisant, Poutine montre de plus en plus, vis-à-vis des États-Unis, une certaine élévation de ton qui n’est pas sans déplaire : « les États-Unis ne réussiront pas à imposer leur modèle de monde unipolaire, car c’est tout simplement irréalisable dans la pratique ». Selon le président russe : « Aucune puissance, même la plus grande n’est à même de résoudre, à elle seule, tous les problèmes du monde, car elle n’aura pas les ressources financières, économiques, matérielles et politiques suffisantes pour cela, et c’est parfaitement évident aujourd’hui. Les exemples de l’Afghanistan et de l’Irak ne font que le confirmer ».

La Russie se joint ainsi à la Chine pour bloquer toute sanction à l’encontre de l’Iran qui menacerait leurs intérêts. Poutine l’a fait savoir à Angela Merkel, lors de son court passage en Allemagne, la veille de son départ pour l’Iran. Comme il l’avait fait savoir à Nicolas Sarkozy, plus tôt, lors de leur rencontre à Moscou. Il faut, selon Vladimir Poutine, user de patience dans le dossier du nucléaire puisqu’il n’est pas en mesure d’affirmer ou d’infirmer les informations selon lesquelles l’Iran aspire à produire des armes nucléaires : « Nous n’avons aucune information attestant de l’aspiration de l’Iran à produire des armes nucléaires. C’est pourquoi nous partons du principe que Téhéran ne nourrit pas de tels projets. Mais nous partageons l’inquiétude de nos partenaires qui souhaiteraient que les programmes de l’Iran soient transparents », souligne Vladimir Poutine.

Les Américains sont conscients que la Russie réserve, dans sa politique régionale, un rôle prépondérant à l’Iran. L’Iran y voit là une alliance stratégique. Moscou préfère y voir plutôt un partenariat régional. « Dans le Caucase, sur la Caspienne et en Asie centrale, c’est-à-dire dans les régions où les intérêts de la Russie et de l’Iran sont inévitablement présents pour des raisons historiques, ces intérêts ne se heurtent pas, mais se complètent mutuellement », indique un observateur russe. C’est pourquoi Poutine entend bien régler cette question du nucléaire qui pourrait se révéler un obstacle entre « super grands » : « la question de Bouchehr sera close et nous pourrons élaborer des plans de coopération ultérieure », a-t-il déclaré à Téhéran.

Monsieur Poutine, en plus de ses rencontres avec le président Mahmoud Ahmadinejad, a été reçu, fait exceptionnel dans un pays musulman, par le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, plus haute autorité de l’État. C’est la première visite d’un maître du Kremlin en Iran depuis 1943. Au terme de ce deuxième et dernier jour du sommet, le président russe aurait confirmé, selon l’agence iranienne Irna, que « la Russie s’engage (ait) à finir la centrale de Bouchehr et fournir le combustible ». Le président russe aurait même convié son homologue iranien à Moscou, « à la date qui lui conviendra ».

Informations contradictoires

Selon Rio Novosti, le secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale de l’Iran, M. Ali Larijani, a déclaré ce mercredi que le président Vladimir Poutine a exposé explicitement son avis sur ce projet et indiqué quand le travail de construction de la centrale serait achevé. M. Ali Larijani s’est abstenu de tout autre commentaire sur la nature des initiatives avancées par le chef de l’État russe.

Selon Jooneed Khan, de Cyberpresse : « Au terme de discussions bilatérales, la Russie et l’Iran se sont par ailleurs engagés à achever selon l’échéancier la construction de la centrale de Bouchehr ».

Toutefois, il semblerait que la proposition formulée par le président russe, Vladimir Poutine, au guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, dont aucun détail officiel n’a été transmis à la presse, porterait sur une suspension des sanctions contre l’Iran en échange de l’arrêt par Téhéran de ses activités d’enrichissement d’uranium comme le lui demande le Conseil de sécurité de l’ONU. C’est ce qu’avance, ce mercredi, l’agence iranienne IRNA. Le guide suprême aurait donné l’assurance au président russe que Téhéran poursuivrait sa coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

En éditorial, Le Monde, de ce mercredi, 17 octobre, commente en ces termes la visite de Vladimir Poutine en Iran : « M. Poutine joue sur deux tableaux. D’un côté, il cajole les Iraniens, bloque la prise par le Conseil de sécurité de sanctions plus contraignantes, prêche la négociation et la patience. De l’autre, il évite de rompre le front commun avec les Occidentaux et fait pression sur les Iraniens en suspendant les travaux de la centrale de Buchehr sous prétexte de problèmes financiers que nie Téhéran. Sur le fond, la Russie est tout aussi inquiète que les Occidentaux de voir les Iraniens se doter de l’arme nucléaire, mais elle ne croit pas qu’ils en aient la capacité à court terme ».

Du côté de la presse russe, deux visions de cette visite en Iran s’affrontent. Pour Alexandre Choumiline, du Centre d’analyse des Conflits proche-orientaux auprès de l’Institut USA-Canada à Moscou, Vladimir Poutine n’a toutefois « pas utilisé cette visite pour jouer le rôle d’intermédiaire, mais s’est au contraire rangé du côté de l’Iran ». Même son de cloche dans le quotidien des affaires russe Vedomosti, qui analyse en Une : « si l’Occident avait encore l’espoir que Poutine ferait pression d’une manière ou d’une autre sur Ahmadinejad dans le dossier nucléaire, cet espoir est mort hier ».

En contrepartie, Evgueni Satanovski, expert à l’Institut des Études du Moyen-Orient à Moscou, juge pour sa part que si les Iraniens voulaient s’assurer du soutien de Moscou : « c’est la dernière chose à laquelle pensait la Russie ». M. Poutine n’a pas donné de date pour l’achèvement, qui ne cesse d’être reporté, de la centrale nucléaire construite par les Russes à Bouchehr dans le sud de l’Iran, conservant ainsi des moyens de pression sur M. Ahmadinejad.

Pour le quotidien Vedomosti : « l’Occident oublie un détail important, l’Iran est plus proche (géographiquement) de la Russie que des États-Unis et de l’Europe ».

En terminant, sur la question de l’inviolabilité du territoire des cinq pays riverains de la mer Caspienne, Vladimir Poutine a déclaré, selon Kommersant : « We confirmed the sovereignty over the Caspian of only the Caspian states and we announce that only ships flying the flag of Caspian state will enter the sea ». Selon le correspondant de Kommersant, Andrey Kolesnikov : « Russia will defend Iran’s interests in case it comes into radical conflict with the United States ».

(Sources : Ria Novosti, AFP, Presse canadienne)

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