À 54 ans, la « primera dama », madame la sénatrice Cristina Fernandez de Kirchner, devient la première femme à être élue à la présidence de l’Argentine. Il y a un an, une autre femme était élue à la présidence d’un pays latino-américain, Michelle Bachelet au Chili. La candidate Kirchner devait obtenir 45 pour cent des suffrages ou 40 pour cent des voix, avec au moins 10 pour cent d’écart sur sa plus proche rivale, l’ex-parlementaire libérale Elisa Carrio, pour être élue dès le premier tour. Au total, 14 candidats étaient en lice.
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Voilà qui pourrait caractériser le premier tour de l’élection qui se déroule en Argentine. « Ni Cristina Kirchner, ni Elisa Carrió, ni Roberto Lavagna, ni les dix autres candidats à l’élection présidentielle n’ont été soumis à des élections primaires. C’est la première fois depuis 1983, et c’est le signe d’une grave crise des partis », constatait le quotidien Clarín une semaine avant le scrutin (Courrier International). Pour sa part, Rue89, commentait à quelques jours du scrutin, la succession familiale à la tête de l’Argentine : « La stratégie des Kirchner était claire: anesthésier la campagne électorale en imposant l’idée que Cristina Fernández de Kirchner sera de toutes façons élue, refuser tout débat électoral comme toute interview des médias et, surtout, éviter de parler des sujets qui préoccupent le plus les Argentins: l’inflation et l’insécurité ».
Vingt-sept millions d’électeurs argentins étaient appelés aux urnes pour le premier tour de l’élection présidentielle. Pays dont la pauvreté touche un quart des 40 millions d’Argentins. Pourtant, son taux de croissance frôle le vertige : 8 pour cent, soit un taux supérieur à celui de la Chine. Avec une économie en hausse, madame la sénatrice Cristina Fernandez de Kirchner succède à son époux, Néstor Kirchner, pour les quatre prochaines années. « La nouveauté du changement, c’est précisément de continuer dans la même direction », dira-t-elle. Curieusement, dans un pays qui s’apprête selon toute probabilité à élire une présidente, hommes et femmes votent séparément dans les bureaux de vote, en fonction de listes qui leur assignent des salles différentes. Et le vote est obligatoire !
En 2001-2002, le pays croulait sous une dette de 100 milliards $ et les classes moyennes avaient tout perdu. Petit rappel : en 2001, cinq présidents se succèdent au pouvoir en moins d’un mois. Néstor Kirchner, élu en 2003, est l’homme qui a sorti l’Argentine de cette dramatique crise économique. Comme Le Monde l’indique : « Nourrie par la faiblesse du peso, la bonne tenue de son secteur automobile et des exportations agricoles très élevées, l’Argentine vit sa cinquième année consécutive de croissance économique, une série sans précédent en un siècle. La consommation intérieure, renforcée par la création de millions d’emplois, alimente également la bonne tenue du PIB argentin ».
Cristina Fernandez de Kirchner, en tant que présidente, promet le maintien du modèle économique de gauche en place depuis quatre ans, jugé populiste et autoritaire par ses détracteurs. Le noyau dur de son électorat se recrute parmi les pauvres et la classe ouvrière, convaincus qu’ils sont que leurs vies se sont améliorées sous le couple Kirchner et qui voient en cette dernière la garantie d’une poursuite du rebond économique. Si la croissance est au rendez-vous, avec un chiffre record de 45% depuis 2003, si la pauvreté et le chômage ont reculé en dépit des fortes inégalités qui subsistent toujours dans un pays où les « villas » (bidonvilles) jouxtent des quartiers luxueux, il y a bien une ombre au tableau : l’inflation a fait son retour en 2005 pour atteindre, selon les économistes, entre 15% et 20% cette année. Le prix de la tomate a augmenté de 250 pour cent en un an. Signe des temps.
Christina Kirchner promet : « au bout de quatre ans et demi, beaucoup de rêves ont déjà été réalisés. Il y en aura d’autres rêves ». Mais il faudra poursuivre, au-delà des étiquettes politiques, prévient Cristina dans un rare discours, « tous les rêves qui manquent encore », de l’éducation à la santé. Les sondages donnaient une telle avance à Christina Kirchner qu’elle n’a pratiquement pas fait campagne, sauf ces derniers jours. Péronistes convaincus, leur foi pour le parti du général Juan Perón, n’a jamais faibli. Encore aujourd’hui, ce parti embrase quasiment toutes les tendances du politique argentin, de l’extrême gauche à l’extrême droite, autour de valeurs telles que l’antilibéralisme et le nationalisme économique. Mais Christina Kirchner doit bien constater que la ferveur n’est plus au rendez-vous comme lors des grand-messes péronistes du passé qui regroupaient des dizaines de milliers de militants survoltés.
Les succès du couple, « duo dynamique » depuis leur rencontre à l’université de droit en 1974, où ils étaient tous deux militants de gauche, ne suffisent pas à ramener la ferveur populaire. Comme l’indique le Figaro, le couple, pourtant : « peut se glorifier d’un bilan non négligeable : une économie en forte croissance, la réouverture des procès de la dictature, la réforme de la Cour suprême, qui avait perdu toute crédibilité, et surtout le retour de l’autorité de l’État, laquelle avait été fortement dévaluée, entre autres, par la fuite en hélicoptère du président radical Fernando de la Rua, en décembre 2001, par les toits de la Casa rosada (le palais présidentiel), devant la rage des manifestants ».
Malgré ses engagements à encourager l’investissement pour combattre l’inflation et les problèmes énergétiques et éviter que l’Argentine ne renoue avec son passé turbulent, où les cycles croissance/régression s’enchaînaient, Christina Kirchner sera quand même confrontée à des dossiers chauds : possibles pénuries d’énergie dans un pays où les infrastructures ont du mal à suivre la croissance économique, baisse de l’excédent budgétaire et inflation élevée (Le Monde).
Sans compter les scandales qui ont terni, ces derniers temps, la gestion du pays. Comme le rappelle Rue89 : « D’abord il y eut la tentative de manipulation des chiffres de l’Institut des statistiques, puis une série noire, qui a un peu gâché la fête. Par la suite, la ministre de l’Économie, Felisa Miceli, a été contrainte de démissionner après avoir été prise “la main dans le sac” avec une somme équivalant à plus de 45000 euros trouvée dans les toilettes de son bureau. Sans compter l’affaire Skanska, une entreprise suédoise qui a reconnu avoir payé des pots-de-vin pour obtenir un marché de gazoducs : l’enquête remonte même jusqu’au ministère de l’Économie. Sans parler de la ministre de la Défense, Nilda Garré, poursuivie depuis mercredi pour contrebande aggravée dans une affaire de vente d’armes aux États-Unis. Ça fait beaucoup de casseroles pour un chef de l’État qui prétend faire de la politique autrement et dont la nouvelle candidate se veut l’héritière ».
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