Le comité Nobel norvégien a élu Al Gore pour recevoir le prix Nobel de la paix. Le prix entend souligner ses efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l’homme. Conjointement le prix Nobel est attribué, cette année, au panel de l’ONU sur le climat, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec). Pour son président, le comité souhaite contribuer à focaliser davantage l’attention sur les processus et les décisions qui semblent nécessaires pour protéger à l’avenir le climat de la planète, et pour réduire ainsi la menace pesant sur l’humanité.
Un flot de félicitations arrivent de partout dans le monde. La chancelière allemande, Angela Merkel, se félicite du choix d’Al Gore tout en soulignant son engagement personnel pour éveiller, comme aucun autre, la conscience mondiale. Après avoir reçu également les félicitations de Bill et Hillary Clinton, Al Gore a reçu l’assurance de la Maison blanche que, non, cette attribution n’allait pas accroître la pression sur l’administration Bush pour modifier sa politique en matière d’environnement.
Greenpeace, comme l’explique Karine Gavand, voit dans cette attribution « un message envoyé au gouvernement américain, qui refuse encore aujourd’hui de signer le protocole de Kyoto et qui tente par tous les moyens de torpiller le seul instrument juridique international contraignant existant à ce jour pour répondre à l’échelle mondiale aux enjeux climatiques ». Il est malheureux que le Canada n’ait pas de Nobel pour faire entendre raison à son premier ministre minoritaire, Stephen Harper. John Bennett de ClimateforChange.ca espère maintenant : « que George Bush et Stephen Harper saisissent maintenant toute l’urgence de la situation ».
Le hasard est parfois un vecteur de surprises inattendues. D’un côté, Al Gore reçoit le prix Nobel de la paix, de l’autre, il fait l’objet d’un jugement d’une Haute Cour de Londres : des informations, tirées du film « Une Vérité qui dérange », ne sont pas étayées par des preuves scientifiques, vient de conclure un juge britannique. Déjà des voix s’élèvent pour remettre en cause le prix Nobel décerné à Al Gore.
Le bon juge Michael Burton impose, pour chaque représentation du film « Une Vérité qui dérange » dans les collèges et lycées anglais, la diffusion d’un document écrit aux enseignants afin de minimiser l’impact du « contexte d’alarmisme et d’exagération » que soulève le documentaire. Le juge Burton, dans son flegme tout britannique, note que le film se fonde sur une recherche et sur des faits scientifiques qu’il qualifie de pratiquement exacts. Tout va bien jusque là. Sauf que la science est, dans ce cas, utilisée par un homme politique et un communicateur pour soutenir un programme politique. Voilà ce qui choque.
Al Gore se dit satisfait de jugement de la Haute Cour de Londres du fait que le juge Burton n’a recensé en fait que neuf (9) erreurs scientifiques sur l’ensemble des données proposées par « Une Vérité qui dérange ». Le lauréat du prix Nobel n’a pas, non plus, réagi à l’idée que, selon le juge Burton, le projet du gouvernement britannique de projeter le film, dans les établissements scolaires, enfreint les lois interdisant la promotion d’opinions politiques partisanes dans les classes.
D’une durée de 94 minutes, le documentaire « Une Vérité qui dérange » est la suite d’une présentation multimédia d’Al Gore, dans le cadre de sa campagne de sensibilisation sur le réchauffement climatique. Selon Wikipedia, « An Inconvenient Truth » serait le troisième plus gros succès jusqu’à présent pour un documentaire aux États-Unis. Un livre a été publié en même temps que la sortie du documentaire en salle. Les recettes auraient servi à la tournée mondiale du communicateur.
Qu’a bien pu faire Al Gore pour la paix dans le monde, s’interroge Damian Thompson dans le Telegraph de Londres (What has Al Gore done for world peace) ? Le chroniqueur britannique n’a pas lu la déclaration du président français, Nicolas Sarkozy, qui se fait fort d’associer environnement et paix : « la lutte d’aujourd’hui contre le changement climatique est un facteur déterminant de la paix de demain ». Pour le journaliste, l’objection de fond est la suivante : en quoi le documentaire « Une Vérité qui dérange » a-t-il fait avancer la paix dans le monde ? Le chroniqueur britannique n’est pas seul à poser la question.
Le réchauffement climatique - ou plutôt le non-réchauffement climatique - est devenu depuis quelques mois l’un des sujets préférés du président tchèque, Vaclav Klaus. Au grand dam de son équipe ministérielle. À New York, le chef de l’État tchèque s’était, en septembre dernier, distingué du reste du monde. Alors que tous les intervenants à la tribune tiraient la sonnette d’alarme, Vaclav Klaus mettait en doute l’existence même du phénomène de réchauffement du climat : « la hausse des températures mondiales ces dernières années, décennies et siècles, a été minime par comparaison historique et pratiquement négligeable en terme d’impact sur les humains et leurs activités ». Riposte immédiate en Tchéquie : « Discours qui ne représentait que lui-même », a répliqué le ministre tchèque de l’Environnement, Martin Bursik, furieux de cette initiative. Rien de très surprenant, donc, d’apprendre, que de Prague, Vaclav Klaus s’est dit étonné de l’attribution du Prix Nobel de la Paix 2007 au communicateur mondial, Al Gore : « le fait qu’Al Gore mette en doute les piliers de la civilisation actuelle n’apporte pas trop à la paix ».
Parmi les autres voix discordantes qui manifestent un certain scepticisme, le Danois Bjoern Lomborg, auteur du livre « L’écologiste sceptique » et professeur à la Copenhagen Business School, aurait préféré que « le comité du Prix Nobel se focalise sur d’autres grands problèmes oubliés comme la sous-alimentation, la malaria et le manque de libre échange agricole dans le monde au lieu du réchauffement climatique ». Lomborg ajoute sur un ton amusé : « il est aussi ironique qu’il (le prix Nobel) soit partagé entre le Giec et Al Gore, celui-là même qui a ignoré les recherches de ce panel ». Le scientifique et ancien ministre français, Claude Allègre, s’est dit « complètement indifférent » à la décision du jury du Nobel tout en ajoutant cependant : « C’est de la politique, c’est pour intervenir dans la politique américaine, c’est scandaleux ! » (AFP)
La question est sur toutes les lèvres. Les rumeurs vont bon train. Celui qui peut maintenant se présenter comme le prix Nobel de la paix 2007 aura-t-il des velléités d’entrer dans la course à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2008 ? Certains observateurs spéculent déjà : se pourrait-il que le prix Nobel ravive les anciennes ambitions d’Al Gore à un an de la présidentielle ? Le comité Nobel norvégien a paré le coup, vous vous en doutez bien : « Cela ne nous intéresse pas de savoir ce que le lauréat fait par la suite », a déclaré sèchement le président du comité Nobel, Ole Danbolt Mjoes, interrogé sur les chances pour que la carrière politique de M. Gore soit subitement relancée.
Pour le site Draft Gore, Al Gore est vu comme la « conscience du parti démocrate » des États-Unis. C’est peu dire. Dans une lettre ouverte, parue dans le New-York Times, l’équipe de Draft Gore constate que : « de nombreux candidats de valeur briguent l’investiture démocrate. Mais personne d’autre que lui n’a l’expérience, la vision, la place dans le monde et le courage politique qui conduisent à la victoire » (Reuters). Mais voilà : la porte-parole de Gore, Kalee Kreider, est très catégorique : « Il n’a vraiment pas l’intention de se présenter à la présidentielle en 2008 » (Le Monde). Ce propos est confirmé par le principal intéressé lui-même : « Je suis tombé en désamour avec la politique, où les candidats doivent limiter leur message à une phrase pour les journaux télévisés du soir. Si je fais bien mon travail, tous les candidats vont parler de la crise climatique. Et je ne suis pas convaincu que la présidence soit le meilleur rôle que je puisse jouer ». Avec 70 millions de dollars en caisse pour la campagne présidentielle de 2008, la candidate démocrate Hillary Clinton peut constituer un sérieux frein aux aspirations - fussent-elles secrètes - d’un Al Gore nobélisé. Tant s’en faut.
Bien évidemment, au cœur du bureau ovale de la Maison Blanche, Al Gore, en tant que président des États-Unis d’Amérique, pourrait ratifier cet accord de Kyoto tant décrié par Georges W. Bush et satisfaire ainsi de bas instincts de vengeance. Un baume pour celui qui a été défait de manière si peu élégante en 2000. Le jeu en vaut-il la chandelle ? « Je suis un politicien en cure de désintoxication. Mais il faut toujours se méfier d’une possible rechute. Je n’ai pas exclu de me présenter, mais je ne pense pas que cela ait des chances de se produire », déclarait l’ancien vice-président de Bill Clinton à l’hebdomadaire Time qui a, de nouveau, traité de cette question dans son édition du 12 octobre.
Par la même occasion, Al Gore a profité de cette entrevue, dans le Time, pour dresser son bilan de la démocratie américaine : « Notre démocratie a eu ses ratées - c’est mon avis. Nous avons commis un certain nombre d’erreurs politiques sérieuses. Mais il serait simpliste et trop partisan de blâmer l’administration de Bush-Cheney. Nous avons les contrôles et les freins, un ordre judiciaire indépendant, une presse libre, un Congrès - ont-ils tous échoué ? Avons-nous tous échoué ? » (We’ve got checks and balances, an independent judiciary, a free press, a Congress-have they all failed us ? Have we failed ourselves ?)
Que fera donc Al Gore ? Se présentera-t-il à la candidature présidentielle de 2008 pour corriger les erreurs de parcours de l’administration Bush-Cheney ? Poursuivra-t-il, au contraire, sa route pour protéger davantage l’environnement dans le monde, en se voyant maintenant investi d’un prestigieux prix ? Nul ne saurait le prédire pour l’instant. Ironie du sort, depuis l’accession du républicain Georges W. Bush à la présidence américaine, en 2000, deux démocrates ont reçu le prix Nobel de la Paix : Jimmy Carter en 2002 et Al Gore, en 2007.
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