Pourquoi, l’étranger que je suis, se sent-il de plus en plus mal à l’aise à lire ou à écouter les infos sur la France ? Pourquoi ai-je la nette impression que la grande République s’éteint ? Pourquoi cette angoisse toute intérieure à l’idée que la France tricolore sombrera bientôt dans une France monochrome ? Pourquoi ai-je l’étourdissement trop facile lorsqu’il me vient à l’esprit que la France vit au rythme d’un état exacerbé ? Avant de répondre, qu’il me soit permis, lecteur, lectrice, ce court préambule.
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Je vis dans une province, en Amérique du Nord, où l’obsession nous côtoie quotidiennement. L’obsession d’être d’abord trop petit. L’obsession de ne plus pouvoir parler notre langue. L’obsession du reste du Canada. L’obsession d’un immense voisin – l’américain – qui en impose. Qui en impose dans le monde, qui en impose au Canada, mais qui impose au petit peuple gaulois que nous sommes. Nous voulons bien acheter chez lui, nous voulons bien lui vendre le fruit de notre labeur, mais nous voulons rester indépendants de son immense puissance. En petit gaulois, d’influence française, nous bombons le torse. Cela ne nous soustrait pourtant pas de nos obsessions.
Nous avons installé les droits de la personne – qu’ils soient sociaux ou judiciaires – sur notre territoire. Nous avons installé une Charte de la langue française. Cela nous interpelle tous les jours. Nous n’avons de cesse de nous interroger davantage sur notre voisin immédiat - l'anglais, le juif, l'arabe, le chinois, le canadien anglais, l'américain - que sur nous-mêmes. Avons-nous commis un impair à son égard ? Comme l’enfant qui craint d’être tancé par suite d’une bêtise, nous nous épions nous-mêmes afin de nous assurer de ne pas trop trébucher. Nous interrogeons notre Charte des droits de la personne. Il fut un temps c’était la bible. Maintenant la Charte. Pour preuve, nous créons des commissions qui parcourent le Québec pour sonder nos cœurs et nos reins.
Nous avons peur. Peur de ne plus vivre en paix. Peur de bousculer notre voisin. Peur de nos croyances, de notre identité, de notre foi, de nos convictions politiques et sociales. Notre peur est parfois infernale. Que pensera notre voisin de notre opinion ? Sommes-nous racistes ? Sommes-nous radins ? Sommes-nous au bord de la dépression ? Sommes-nous stressés ? Vivons-nous dans l’insécurité psychologique, matérielle et financière ? Avons-nous peur des anglais ? Sommes-nous persécutés par le reste du Canada ? Pourquoi haïssons-nous l’Amérique ? Sommes-nous incompris – dans cette grande Amérique – en raison de notre langue ? Sommes-nous une société distincte ? Sommes-nous culturellement menacés ? Pourquoi avons-nous peur de perdre nos acquis, notre langue, notre culture, notre identité ? Pas un repli de notre corps et de notre pensée qui ne soit scruté à la loupe, à l’infini, jusqu’à la plus profonde des lassitudes. Nous sommes une société sous surveillance. Notre inquiétude bouche notre avenir et masque notre fierté. Nos hésitations nous empêchent de voir ce que nous avons de grand parce que, depuis trop longtemps, on nous a dit que nous sommes trop petits.
Il y a eu le réveil de la révolution tranquille. Il y a eu ces tentatives de multiculturalisme fédéral pour nous convaincre que nous étions une société ouverte, prête à l’assimilation. Il y a ceux qui nous disent que l’anglais est universel. Que le français se meurt. Que la langue du Québec ne ressemble à rien et qu’elle ne peut s’exporter. Que cette langue est créolisée. Sans avenir. Sans économie pour l’imposer et la supporter. Et dire que nous refusons tout cela. En Gaulois que nous sommes. Encore l’influence de la France.
De société catholique – dans le Québec profond – nous sommes passés à un Québec urbain dans une société laïque. D’extrême droite, nous sommes passés, sans coup férir, vers l’extrême gauche. De francophones, nos générations à venir deviendront plus rapidement que ne le souhaitent les vieux, anglophones convertis. De tributaires de nos peurs, nos générations de demain pourront vaincre et traverser du côté du capitalisme victorieux. De pleutres, qu’on nous traitait hier, nos générations à venir se prétendront grands chevaliers, harnachant nos rivières pour l’électricité, investissant nos fonds de pension dans une Caisse de dépôt pour les générations à venir, ouvrant nos portes à l’immigration pour montrer au monde entier que nous avons étouffé nos peurs et nos craintes. Toutes ces peurs qui ont fait de nous des Québécois. Nous dirons demain toutes nos victoires qui ont fait de nous des anglophones du monde entier. Ainsi va la vie.
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Est-il encore possible de se distancer du pouvoir, de revenir à une époque où le Persan chez Montesquieu, le Huron chez Voltaire, le farfelu neveu de Rameau de Diderot posaient sur la société française un regard amusée tout en étant critique ? Rien n’est moins sûr. Je ne suis plus inquiet seulement du Québec mais de ma mère patrie, la France. C’est ma nature. Je crains moins les roches que pourront me lancer mes cousins et cousines français, outrés de mes propos, que l’avenir vers lequel elle se dirige. De son abandon de ce que nous avons si durement défendu et acquis. De quitter la dureté de la vie pour en adopter la facilité. Cousin, cher cousin, je le répète : je crains moins les quolibets dont je serai l’objet – en raison de mes origines étrangères – que toutes ces informations qui me tombent sous les yeux, jour après jour, d’heure en heure. La France se crispe, se replie, se défend, s’écarte et ne sera plus, bientôt, qu’une bulle qui flottera au dessus de son nouvel allié, les États-Unis d’Amérique. Elle s’inspire maintenant des travers de son nouveau grand cousin, l’hyper-puissance.
Analyser la situation sociale, politique, parlementaire, financière, économique de la France est en soi une épreuve singulièrement éprouvante. Sans en saisir les arcanes, je comprends bien que tout découle d’ores et déjà d’un principe hautement médiatisé de la rupture. Le peuple, dans sa majorité, en a voulu ainsi. Rupture avec le passé. Rupture avec le présent. Rupture sociale, rupture économique, rupture de la gauche et de la droite, rupture avec les anciennes républiques, rupture avec l’histoire. Rupture avec la collégialité. Seule rupture qu’il ne soit permis de traiter ou de regarder – sans faire l’objet d’opprobre – est celle qui touche la personne même du Roi qui vit des heures graves.
La France n’est plus collégiale, elle est maintenant royale. La France a troqué sa république pour la royauté. Rupture de ton et rupture de style obligent. La France est devenue le pays de la rupture. Et le peuple est en rupture de ban avec ses grands principes de Liberté, Égalité, Fraternité. Le peuple n’a d’yeux que pour le nouveau monarque. Le peuple n’a d’espoir que pour ses augustes engagements. Le peuple ne se bat plus pour des principes, il se range derrière son roi. Le roi dispose. Le peuple approuve. Le roi, fort de sa popularité, n’attend de son peuple qu’un satisfecit pour sa personne.
La France ne rayonne plus. Elle claironne. Elle fait la fière. Elle s’élève. Elle hausse la voix. Elle a quitté les salons feutrés pour les stades bruyants. Elle oublie parfois les bonnes manières. Elle claque des doigts pour manifester sa présence ou son mécontentement. Elle se crispe et n’hésite pas à faire image en utilisant une langue qui ne sied plus à la diplomatie. Elle pointe vers le haut son doigt alors que les grands la regardent en bas.
Le gouvernement n’est-il plus que l’ombre de lui-même ? Toute intervention de son premier ministre – tant l’habitude se perd – est immédiatement suspectée. S’il ose parfois, le brave homme, élever le ton, il évite le choc avec celui de la royauté. Les caciques du monarque veillent au bon grain. Les laquais du premier ministre s’inclinent. L’Opposition est édentée. Pire, plus rien à se mettre sous la dent. Les débats ne sont plus, du côté ministériel, que des porte-voix. Béni oui-oui, selon l’expression française consacrée.
Les règles sont-elles à ce point rigides qu’il n’existe, pour les parlementaires de la minorité, aucun droit de nuisance au déroulement des projets de loi iniques, aux velléités de la monarchie d’imposer des limitations aux droits individuels, des astreintes aux droits collectifs ? Le filibuster anglais est-il à ce point inconnu des parlementaires français : stratégie parlementaire qui consiste à faire de l'obstruction systématique à un projet de loi pour en retarder ou en empêcher l'adoption ; habituellement, on propose un nombre incalculable d'amendements sur lesquels on discourt pendant tout le temps réglementaire accordé pour la disposition de chacun d'eux ?
Lire les infos est une épreuve pour quiconque est sensible aux droits de la personne. Contrôle, immigration, quotas d'immigrés par nationalité, arrestations à domicile, sécurité, criminalité, délinquance, récidive, ADN, atteintes au droit d'asile, caisses de retraite, démographie, recherches et développement. Il n’y pas de hiérarchie dans cette dernière énumération. Elle est tout sauf rationnelle. Tout passe par le filtre d’une négation. Non à la pauvreté. Non à l’immigration. Non aux sans-papiers. Non aux renouvellements d’emploi. Non à la création de nouveaux emplois dans la Fonction publique. Et j’en passe. Et l’enfant dans tout cela ? Pour ne pas céder au sensationnalisme des « affaires » de l’État, je pose la question sans y répondre.
Le repos est suspect, le travail élève. En lieu et place, nous entendons oui aux tests d’ADN, oui à l’expulsion sans ménagement des « irréguliers », oui à l’abolition des postes pour fins d’économie, oui à l’allègement des peines pour les grands administrateurs, oui à la sévérité des peines pour les « petits » récidivistes. Et j’en passe, une fois de plus. Justice rendue au nom de qui ? Du peuple ?
Le peuple, dans sa grande majorité, se tait et dodeline de la tête. Le silence se fait complice. Le silence de la majorité étouffe le tapage d’une minorité. De ce silence naît la rumeur. De ce silence naît une nouvelle légende urbaine. Les médias ? Contrôlés. Les députés ? Prêts à vendre leur âme pour une « ouverture ». Les ministres ? Acceptent sans mot dire les feuilles de route que leur impose le monarque, en sa personne. Les débats parlementaires ? Le plus court chemin possible. Pas un coin du royaume n’est oublié des caciques. Les municipales ? Le roi veille et promulgue. L’Europe ? Le roi oppose. L’Afrique ? Le roi dispose.
Le président Georges W., grand ami du Roi, s’ébat sur les mots, le congrès se débat sur les maux. Le peuple constate et désapprouve. Le peuple se lève et impose. Il ne plébiscite plus son président. L’opposition retrouve son terrain de jeu. Elle exerce son droit de nuisance. Elle élève la voix. Elle menace. Elle négocie. Elle réussit comme elle échoue. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. La société vit. Le pouls de l’hyper-puissance revit au rythme de sa population. Pendant que l’Amérique s’agite, plus loin, beaucoup plus loin, la France applaudit et plébiscite son roi. Seul bruit qui lui est autorisé dans le royaume. Le bruit des mains qui applaudissent.
Plus loin, beaucoup plus loin, la France s’éteint. À petits feux. Le peuple approuve. Acquiesce. Le monarque écarte la république et la remplace par le spectacle. Pour amuser le peuple. Les intellectuels se rangent. La rupture est consommée.
Tocqueville avait bien raison : « Il n'y a que Dieu qui puisse sans danger être tout-puissant ». Intellectuels, politiques et artistes viennent de porter au Zénith leur voix pour faire entendre - haut et fort - leur dissidence et leur désaccord au monarque. Une pause qui réfléchit et qui montre - en cette France que nous aimons - un souffle de vie capable d'une rébellion - fort timide pour l'heure - qui l'a tant caractérisée au cours des derniers siècles.
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