Selon un sondage Strategic Counsel-The Globe and Mail, paru le 28 août dernier, 58 pour cent des Canadiens jugent Stephen Harper « trop à droite », alors que 53 pour cent estiment qu’il suit aveuglément George W. Bush. Même si 67 pour cent soulignent son leadership, ils sont 59 pour cent à le trouver trop partisan. Faut-il s’en surprendre ? Ce gouvernement nous soumet à une véritable crise de confiance. Dans le discours du trône, le gouvernement s’est montré de plus en plus déterminé à faire en sorte que la mission actuelle, en Afghanistan, soit prolongée jusqu’en 2011, malgré l’opinion publique canadienne qui lui est nettement défavorable. Jean Saint-Cyr, de l’Acadie Nouvelle, concluait en ces termes un récent éditorial : « Si les politiciens continuent de prendre les électeurs pour des cruches, ils pourraient bien être l’objet de la revanche des urnes ».
Nouvelle crise en vue sur l’Afghanistan. D’abord l’Otan : les États-Unis ont demandé à leurs alliés européens, lors d’une réunion aux Pays-Bas des ministres de la Défense, d’augmenter leur effort militaire en Afghanistan et de serrer les rangs face aux pertes croissantes infligées par les talibans . Près de 185 des 40.000 soldats de la Force internationale d’assistance à la sécurité (Isaf) y ont péri cette année. Ensuite, la présence du Canada en Afghanistan. L’Ambassadeur du Canada, en Afghanistan, Arif Lalani, se veut rassurant : « Dans de nombreuses missions du Canada à l’étranger, le gouvernement du Canada confie à des entreprises locales la responsabilité d’assurer la sécurité de ses installations. Cela n’a rien d’inhabituel. L’entreprise chargée de la sécurité de l’ambassade de Kaboul, à savoir Saladin Security Afghanistan Ltd., assure un périmètre de sécurité et sert de premier point de contact pour le contrôle de sécurité des visiteurs. Toutefois, cette entreprise ne fournit pas de services de garde rapprochée ».
Le ministre des Affaires extérieures, Maxime Bernier, se veut rassurant : « Le Canada n’embauche pas des mercenaires, mais plutôt des « gardes de sécurité traditionnels » soumis aux lois de l’Afghanistan pour protéger son personnel diplomatique et les visiteurs à Kaboul ».
Le premier ministre Stephen Harper s’est montré rassurant : « les gardes en place à Kaboul ont des responsabilités comparables à ce qui se fait ailleurs dans le monde ». « Des tas de services de ce genre sont effectués pour n’importe quel édifice fédéral, soit ici ou à l’étranger », a-t-il fait valoir.
Comme en Irak, par exemple ? Le Globe and Mail révélait lundi que l’ambassade canadienne à Kaboul était protégée par des gardes lourdement armés embauchés par la britannique Saladin Security.
Informations confirmées par Le Devoir qui ajoute que le Canada emploie Saladin Security Afghanistan Ltd. pour protéger son ambassade et ses dignitaires à Kaboul. Cette firme aurait déjà participé à différentes opérations de façon clandestine. Il s’agit en effet de paramilitaires, dont le statut juridique international demeure imprécis. Seulement une trentaine de soldats canadiens sont en poste à Kaboul. Peu équipés, ils ne peuvent répliquer à des attaques d’insurgés et escortent rarement des convois de dignitaires.
Par ailleurs, le ministre de la Défense, Peter MacKay, a confirmé qu’Ottawa faisait appel à Blackwater pour des besoins précis. Pour en savoir plus, Le Devoir nous apprend qu’Ottawa a fait appel à cette firme américaine pour entraîner certains soldats canadiens en Afghanistan. Le ministère de la Défense a notamment envoyé des membres des forces spéciales au siège social de Blackwater, en Caroline du Nord, afin de raffiner leurs techniques d’escorte des convois, mais aussi pour apprendre à protéger les dignitaires et à ajuster leurs réactions lors des embuscades ou des enlèvements. Pourquoi retenir les services de firmes indépendantes, comme Saladin, si des membres des forces spéciales sont formés pour faire précisément ce travail ?
L’opposition s’en inquiète. Ni les libéraux, ni les néo-démocrates, ni les bloquistes n’ont été rassurés par les réponses du gouvernement et ils s’inquiètent de voir le Canada entretenir des liens avec des agences aussi controversées que Saladin et Blackwater. Le gouvernement s’affaire à rassurer tant l’opposition que la population. Il n’y aurait pas de mercenaires embauchés par le Canada en Afghanistan. Mais il y aurait des gardes de sécurité. Nuance. Il faut croire le gouvernement sur la parole de ses ministres qui sont de bonne foi. Sauf que. A l’opposition qui réclame des détails sur le statut légal des agents et sur la latitude dont ils disposent, le ministre Bernier rétorque que les activités de ces firmes sont conformes « à la loi afghane ». Et, toujours selon le ministre Bernier, les mandats de ces firmes ont fait l’objet d’appels d’offres publics et tout est dans les règles.
Selon Le Devoir, la situation n’est pas exactement comme voudraient nous le faire croire le ministre Maxime Bernier et l’ambassadeur Arif Lalani : « le Canada a dépensé plusieurs millions de dollars l’an dernier pour utiliser les services de firmes de sécurité privées à travers le monde, dont certaines sont très controversées ». Les comptes publics du Canada 2007 indiquent que les compagnies Saladin Security et Blackwater ont reçu près de 1,3 million $ du ministère des Affaires étrangères du Canada durant l’année budgétaire 2006-2007. Durant cette période, au total, près de 15 millions $ ont été versés à des agences privées chargées de la sécurité dans différentes ambassades canadiennes dans le monde. « Le gouvernement fait affaire avec des firmes privées qui déploient ce qui a souvent été décrit comme les « nouveaux mercenaires ». Les employés de ces entreprises privées sont habituellement d’anciens militaires ou policiers qui sont envoyés dans des zones hostiles pour accomplir des tâches auparavant effectuées par les soldats des pays engagés dans un conflit, notamment la protection des dignitaires, la sécurité des ambassades, la force de réaction rapide en cas d’attentats ».
Le ministère des Affaires étrangères a dépensé en 2006-07 près de 15 millions de dollars - sur un budget de sécurité de 29,9 millions - auprès de différentes entreprises privées pour protéger ses ambassades et son personnel. Sur quelle base ces firmes sont-elles embauchées. Le critique du Parti libéral sur la défense nationale, Denis Coderre, réclame « une copie des contrats pour voir la validité et la responsabilité légale de ces mercenaires ». L’Ambassadeur du Canada en Afghanistan, Arif Lalani, répond : « Sur ce point, je suis convaincu que vos lecteurs comprendront que, par souci de protéger notre personnel, nous ne pouvons pas divulguer de renseignements relatifs à la sécurité opérationnelle de l’ambassade, pas plus que nous ne pouvons en discuter ». Pour le Bloc québécois : « Plusieurs d’entre elles sont soupçonnées d’avoir participé à des guerres civiles et même d’avoir soutenu des régimes dictatoriaux », a lancé le député Claude Bachand. Le gouvernement « a-t-il fait enquête sur ces mercenaires ? » a-t-il demandé au ministre Bernier sans recevoir de réponse directe. Le ministre a préféré lancer : « les libéraux eux-mêmes avaient engagé des firmes de sécurité lorsqu’ils étaient au pouvoir ».
Saladin, dont l’ancêtre KMS aurait déjà été impliquée dans des opérations secrètes en Afghanistan, en Amérique du Sud ainsi qu’en Afrique aux côtés de la CIA, entre autres, a, selon Le Devoir, plus de 2000 employés en Afghanistan, soit presque autant d’hommes que le Canada (2500 soldats) et plus que la plupart des pays de l’OTAN impliqués dans le conflit. Même s’il a souvent pointé du doigt des firmes de sécurité privées et dénoncé leurs pratiques de « cowboys », le gouvernement afghan n’a jamais dit un mauvais mot sur Saladin, d’après ses recherches.
Ce qui n’a pas été le cas en Irak. Il convient de rappeler qu’un rescapé et les proches de trois Irakiens, tués dans la fusillade du 16 septembre, à Bagdad, impliquant des employés de Blackwater, ont porté plainte contre la société privée de sécurité devant le tribunal fédéral de Washington. Le Centre des droits constitutionnels, une association de défense juridique, a relayé la plainte pour « assassinats extrajudiciaires et crimes de guerre ».
Blackwater et Halliburton sont les entreprises les plus actives en Irak, et elles possèdent une véritable armée privée, pour assurer leurs intérêts. Les deux entreprises ont des relations très étroites avec la famille Bush. Blackwater est également actif en Afghanistan, et dans les pays du bassin de la mer Caspienne. En Irak, cette compagnie et ses filiales ont développé leurs activités, dans des domaines aussi variés que le pétrole, la sécurité et les travaux publics.
Comme l’indique Sara Daniel, grand reporter au Nouvel Observateur, « le recours à ces milices pose de graves problèmes démocratiques car elles offrent le moyen, justement, de contourner les règles démocratiques et également diplomatiques. Sur le plan judiciaire, ce n’est pas la première polémique à leur encontre. Blackwater a d’ailleurs déjà commencé à répondre en attaquant les familles de victimes. Et en prenant des avocats très puissants, comme Kenneth Star, mondialement célèbre depuis l’affaire Clinton-Monica Lewinsky. Blackwater est non seulement ultra puissante en Irak, mais elle se développe aussi sur le sol américain : la société a ainsi envoyé ses hommes à la New Orléans après le passage de l’ouragan Katrina. Ces mercenaires terrifiants faits pour les guerres avaient pour mission d’empêcher les pillages avec ordre de tirer sur les pilleurs ! La société est aussi intervenue au Sud Soudan et veut maintenant envoyer ses mercenaires au Darfour ».
Une fois de plus, le Canada s’est aligné sur les États-Unis. Développement et paix, disait le Premier ministre Stephen Harper relativement à la mission du Canada en Afghanistan ?
____________________________