Washington ne lâche pas prise. Pas une semaine ne passe sans qu’il ne soit question de l’Iran. La secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, considère que l’Iran représente « peut-être le plus grand défi » pour la sécurité des États-Unis et le vice-président américain Dick Cheney a menacé le régime de « graves conséquences » s’il ne renonçait pas à son programme d’enrichissement d’uranium. Quant au président George W. Bush, il avait évoqué récemment un risque de « troisième guerre mondiale ». Washington annonce un nouveau train de sanctions contre l’Iran. Les banques sont visées. Objectif : neutraliser le Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei et les Gardiens de la révolution. Est-ce bien réaliste ?
Il fallait s’y attendre. Vladimir Poutine, de passage à Lisbonne, a exprimé rapidement son opposition aux nouvelles sanctions imposées par les États-Unis contre l’Iran. La pression exercée contre le gouvernement de Téhéran pousse « l’Iran dans ses derniers retranchements ». Le président russe s’interroge : « Pourquoi aggraver la situation en menaçant de sanctions et en aboutissant à une impasse ? Le meilleur moyen de résoudre la situation ce n’est pas de courir comme un fou dans tous les sens comme un homme avec un couteau à la main ? »
Les États-Unis viennent de franchir une étape importante dans l’escalade des sanctions contre le pays perse. L’Iran serait d’ores et déjà un « paria de la finance » et ces nouvelles sanctions n’ont pour seul but que de le forcer à renoncer à ses ambitions nucléaires. A ce titre, les États-Unis viennent d’inscrire trois banques d’État iraniennes, Melli, Mellat et Saderat, sur la liste noire des « parias de la finance », qui interdit à toute institution financière soumise aux réglementations américaines - soit une grande part du système financier mondial - de faire des affaires avec ces entités et l’oblige à saisir tous leurs actifs.
Cette fois-ci, les États-Unis frappent fort : la banque Melli, aussi appelée Banque Nationale d’Iran, est la première institution bancaire du pays qui est largement implantée à l’étranger. Fondée en 1927, sur ordre du Majles (Parlement), la banque Melli émettait la monnaie jusqu’en 1960. Ses prêts vont essentiellement au logement, à l’industrie et au commerce et services. La Melli Central Branch, à Téhéran, est un lieu fréquenté par le tourisme en raison de la présence, dans son sous-sol, du Musée des Bijoux de la Couronne.
Le sous-secrétaire au Trésor, chargé de la lutte contre le terrorisme et du renseignement financier, Stuart Levey, déclarait en janvier 2007 que : « La banque Sepah est la cheville ouvrière du réseau d’approvisionnement iranien en missiles et a aidé activement l’Iran à se doter de missiles capables de projeter des armes de destruction massive ». Toujours selon le sous-secrétariat au Trésor américain, la banque Sepah apportait, notamment, une aide financière aux groupes industriels Shahid Hemmat (SHIG) et Shahid Bakeri (SBIG), « deux entreprises de fabrication de missiles inscrites à l’annexe de la résolution 1737 pour leur implication directe dans le programme de missiles balistiques iranien » (Voir Le Blog Finance).
Déjà, en septembre 2006, les États-Unis avaient interdit toute transaction en dollars entre des entités américaines et deux importantes banques iraniennes, Saderat et Sepah dans le but de tenter de freiner le programme d’enrichissement d’uranium de l’Iran. Ces deux banques étaient accusées de soutenir des groupes terroristes et le programme nucléaire iranien. A la suite de ces pressions américaines, la plupart des grandes banques internationales avaient cessé toutes transactions en dollars avec l’Iran. En décembre 2006, après la Russie, le Venezuela, les Émirats Arabes Unis, l’Iran s’est affranchi du dollar.
Le gouvernement iranien annonçait qu’il allait remplacer le dollar par l’euro dans ses échanges extérieurs et pour ses avoirs à l’étranger. Selon la banque centrale iranienne, les réserves en devises de l’Iran, dans les banques étrangères, avaient atteint 52,3 milliards de dollars à la fin juillet 2006. « La zone euro est une zone économique plus grande que les États-Unis et même si elle est encore jeune, sa devise semble un candidat naturel pour concurrencer le dollar. Ce n’est donc pas un choix par défaut », estimait, dans le même temps, Gavin Friend, économiste à la Commerzbank. Une facturation des exportations de pétrole iranien en euros - qui était déjà possible mais pas obligatoire - devenait dès lors un geste symbolique puisqu’il donnait naissance à des pétro-euros. « A l’heure actuelle, en octobre 2007, 65 pour cent de la vente du pétrole iranien se fait en euros et 20 pour cent en yens », selon Seyed Mohammad Khatibi, vice-président de la Société nationale du pétrole iranienne (NIOC). « Seulement 15% de la vente du pétrole se fait en dollar et nous sommes en train de remplacer progressivement cette part avec des devises plus crédibles [...] Depuis 2004, la valeur du dollar a baissé entre 30 et 35 pour cent. Par conséquent, conserver nos capitaux en dollar signifie une baisse importante de nos avoirs », a ajouté le vice-président de la Société nationale du pétrole iranienne.
Anne Gearan, de l’Associated Press, rappelait, en janvier 2007, dans le Kentucky.com, (repris par Iran-Resist) que tout au cours de l’année 2006, « l’administration de Bush avait persuadé des banquiers Européens et Asiatiques de mettre un terme à l’accès iranien et nord-coréen au système financier mondial. Les raisons invoquées par les États-Unis étaient le financement du terrorisme et la corruption ». Washington accusait les deux nations de se comporter en escroc, mais également de contrefaire l’argent des États-Unis à Pyong-Yang et de cacher un programme d’armes nucléaires à Téhéran. Seuls, les USA ne pouvaient pas empêcher une entité étrangère de faire des affaires avec des institutions suspectes. C’est pourquoi ils ont décidé d’y remédier en prenant des mesures (relativement faibles) contre seulement 2 banques liées à Téhéran et à Pyong-Yang. L’administration Bush avait ainsi créé une psychose de scandale pour toutes les autres banques qui font des transactions avec l’Iran et la Corée du Nord.
Depuis, la Corée du Nord a quitté l’axe du mal, laissant seul derrière l’Iran.
La filiale Lukoïl Overseas, en charge du développement à l’international du groupe russe, a confirmé à l’AFP que sa représentation en Iran « continuait à travailler » en dépit des « entraves » constituées par les sanctions financières américaines. Ce qui n’a pas été le cas pour l’entreprise Halliburton. Comme l’écrivait Elizabeth Studer, Le Bog Finance, « il est tout de même édifiant de savoir que, mine de rien, parallèlement à toutes les attaques du gouvernement Bush contre Téhéran, les pétroliers texans étaient toujours bien présents sur le territoire iranien et, qui plus est, par le biais d’une entreprise, autrefois dirigée par Dick Cheney, Halliburton ». L’entreprise américaine de services à l’industrie pétrolière, Halliburton, indiquait en effet, en avril 2007, qu’elle avait mis un terme à toutes ses activités en Iran. Ce qui signifie qu’elle était bien présente sur le territoire iranien. Il faut noter enfin que, selon certains analystes pétroliers moscovites, Lukoil envisagerait de fusionner avec son partenaire stratégique, le géant américain ConocoPhillips qui détient déjà 20 pourcent du capital.
La secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, considère que l’Iran représente « peut-être le plus grand défi » pour la sécurité des États-Unis et le vice-président américain Dick Cheney a menacé le régime de « graves conséquences » s’il ne renonçait pas à son programme d’enrichissement d’uranium. Quant au président George W. Bush, il avait évoqué récemment un risque de « troisième guerre mondiale ». La table est mise. Sauf que rien ne change dans le discours des États-Unis, pour l’instant. Ces nouvelles mesures sont destinées à sanctionner « l’attitude irresponsable de l’Iran », a déclaré Mme Condoleezza Rice à la presse, en assurant que les États-Unis restaient engagés dans une approche diplomatique pour résoudre la crise du nucléaire iranien. Le passage à l’euro de l’Iran a, bien évidemment, indisposé Washington. Donc acte.
Selon le département d’État, la banque Melli, première institution bancaire du pays largement implantée à l’étranger, finance notamment la force Al-Qods et les Gardiens de la Révolution. La banque Mellat finance l’organisation de l’énergie atomique de l’Iran et la Saderat finance les groupes radicaux palestiniens Hamas et Jihad islamique, et le Hezbollah libanais, que Washington considère tous comme mouvements terroristes. Ces sanctions visent plus largement le corps des Gardiens de la Révolution (Pasdaran), le ministère de la Défense, trois des plus grandes banques du pays, une vingtaine d’entreprises iraniennes et huit personnes impliquées dans le commerce de missiles et qui soutiennent des groupes extrémistes au Moyen-Orient.
« L’Iran continue à rejeter notre offre de négociations ouvertes », a commenté madame Rice, « et menace la paix et la sécurité, via son programme nucléaire et de missiles balistiques et son soutien aux insurgés chiites en Irak, aux talibans en Afghanistan, au Hezbollah au Liban et au Hamas à Gaza ». Washington, qui espère que ces mesures pousseront l’Iran à accepter une offre formulée l’an dernier lui proposant des incitations économiques en échange de l’abandon de ses activités nucléaires sensibles, croit que de telles sanctions devraient isoler un peu plus le régime des mollahs sur le plan économique tout en incitant ses partenaires commerciaux à ne plus faire affaire avec lui. Les Gardiens de la révolution, visés par ces sanctions, dépendent directement du Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei. Le sous-secrétariat au Trésor pointe l’importance des ramifications de ce groupe dans l’économie iranienne. Les Gardiens de la révolution contrôleraient des milliards de dollars grâce à des entreprises implantées dans les secteurs financiers et commerciaux, notamment dans la production de pétrole, l’ingénierie et la construction. « [Ils] sont si enracinés dans l’économie iranienne et dans des entreprises commerciales qu’il est de plus probable que si vous faites affaire avec l’Iran, vous faites affaire avec les Gardiens de la révolution », a affirmé le secrétaire du Trésor, Henry Paulson.
Cette décision entraîne le gel de tous les avoirs que ces entités peuvent détenir aux États-Unis et interdit à tout individu ou entreprise, et notamment toutes les banques soumises aux réglementations américaines, de commercer avec elles, sous peine de sanctions. Toutefois, dans la capitale américaine, une « solution diplomatique » est toujours à l’ordre du jour, en précisant toutefois que le président conserve « toutes les options sur la table ». Malgré les objections de Moscou et de Pékin, Washington, soutenu par Londres et Paris, pousse en faveur de l’adoption d’une troisième résolution de sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies.
À Londres, le Foreign Office a fait savoir « qu’il soutenait les efforts de l’administration Bush pour accentuer les pressions sur le régime iranien ». « Nous sommes prêts à montrer la voie pour une troisième résolution de sanctions et soutenir dans le même temps des sanctions plus fermes de l’Union européenne ».
À l’instar de Vladimir Poutine, certains observateurs doutent de l’efficacité de ces sanctions. L’AFP rapporte l’opinion de Alex Vatanka, de la revue spécialisée Jane’s : « Je suis sceptique sur leur impact, principalement parce que les États-Unis, unilatéralement, ont très peu de moyens de pression sur cet État islamique riche en pétrole, sur son économie et sur ses forces armées. Il suffit de regarder ce qu’ont fait dans le passé les Russes, les Chinois et dans une certaine mesure les Européens, pour douter du soutien que le reste du monde va apporter aux États-Unis là-dessus. Pour changer le comportement de l’Iran de façon positive, il faut lui donner quelque chose. Or tout ceci ce sont des bâtons. Je ne vois pas de carotte ».
Pour Manouchehr Dorraj, professeur de relations internationales à la Texas Christian University : « L’efficacité des nouvelles sanctions dépend dans une large mesure de la coopération des alliés européens comme la France et l’Allemagne, mais aussi la Russie et la Chine qui ont des liens politiques et financiers plus étroits avec Téhéran ». Et selon Manouchehr Dorraj : « Si les Iraniens restent peu réceptifs, l’administration Bush pourrait utiliser cela comme prétexte pour dire que les sanctions n’ont pas réussi à convaincre le gouvernement iranien de mettre un terme à ses activités d’enrichissement de l’uranium et que l’option militaire est la seule alternative viable ».
En terminant, il convient de rappeler cette remarque, qui pourrait paraître anodine, du numéro trois du Département d’État américain, Nicholas Burns, qui déclarait que : « La Chine a augmenté ses échanges avec l’Iran au moment même où d’autres membres du Conseil de sécurité de l’ONU les réduisaient ».
Téhéran a réagi. À sa façon. Comme il fallait s’y attendre, le ministère iranien des Affaires étrangères a condamné la nouvelle initiative de Washington : « La politique hostile de l’Amérique contre la respectueuse nation iranienne et nos organisations légales va à l’encontre des règles internationales et n’a aucune valeur », a dit un porte-parole du ministère cité sur le site internet de la télévision nationale.
(Sources : AFP, Cyberpresse, La Presse canadienne, Le Blog Finance, Le Monde, Ria Novosti)
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