Il y a tant d’événements qui marquent, en la jalonnant à un moment ou l’autre, notre vie. Que ce soit une lecture, un film, une émission de télévision. Un de ces événements mérite notre plus haute considération : celui qui consacre les mots du Québec. En effet, depuis vendredi, le Québec bat au rythme des mots avec le 23ième Festival international de la poésie de Trois-Rivières. Lors de cette première édition, en 1985, un an après la création de la Fondation Les Forges, que le Festival International de la Poésie, noté par l’Unesco, voit le jour à Trois-Rivières et que Félix Leclerc, grand connaisseur des mots, alors invité d’honneur, déclare Trois-Rivières « Capitale de la Poésie ».
Le Festival a, depuis cette consécration, remporté le « Merit Award in special events and promotion », qui récompense les plus belles initiatives d’animation urbaine en Amérique du Nord en 2005. Deux villes se partageaient le prix ex aequo, Trois-Rivières et Los Angeles. Au cours du lancement de la programmation, le 5 septembre dernier, le Festival avait annoncé les lauréats de nombreux prix de poésie.
Le Grand Prix Quebecor du Festival international de la poésie a été décerné à Pierre Ouellet pour son recueil Dépositions, publié aux Éditions Le Noroît. Le Prix Piché de la Poésie de l’Université du Québec à Trois-Rivières a été remis à la poétesse Joanne Morency pour sa poésie intitulée Qui donc est capable de tant de clarté? Le Prix Félix-Antoine-Savard a été offert à Suzanne Jacob pour sa suite poétique intitulée Ils ont été nombreux à répondre, parue dans le numéro 125 de la revue Estuaire. La poétesse Georgette Leblanc s’est vu octroyer le Prix Félix-Leclerc de la poésie pour son recueil Alma, publié aux Éditions Perce-Neige, en octobre 2006. Le 17e Prix international de Poésie Antonio Viccaro a été remis au poète français Roland Nadaus pour l’ensemble de son œuvre.
Le Festival, qui a pour thème « Pour que se touchent à nouveau nos regards », vers sorti de la plume de la poétesse Hélène Dorion, c’est dix jours de poésie, 400 activités, 100 poètes, 30 pays représentés provenant des cinq continents. L’événement attire chaque année environ 40 000 personnes de tous âges. En 2007, Le Festival de la poésie attend environ 150 poètes provenant d’au moins 30 pays de tous les continents ainsi que des éditeurs et des traducteurs. Il a ouvert son programme avec la présentation du film Un cri au bonheur, un film dans lequel 21 poèmes sont mis en images par 11 cinéastes. Tous Québécois. Ces vingt et un poèmes ont été mis en images dans une œuvre orchestrée par Philippe Baylaucq. Claude Beausoleil, Marie-Claire Blais, Pierre Morency et André Roy sont quelques-uns des poètes invités. Paule Baillargeon, Manon Barbeau, André Forcier, Denis Villeneuve, Michel Brault figurent au nombre des cinéastes du collectif.
Ce qui caractérise bien le Québec, ce sont ses cordes à linge. Derrière les maisons, une grande corde roulante est tendue du mur de la maison à un poteau pour permettre de mettre son singe à sécher au soleil. Le Festival reprend cette image pour en faire « La Corde à poèmes », Place-de-l’Hôtel de Ville, qui reçoit les poèmes du grand public. Les poèmes des étudiants du réseau scolaire de la Mauricie sont accrochés sur la corde à poèmes durant tout le Festival : « Dans le parc Champlain, on peut voir de grande cordes attachées aux arbres sur lesquelles sont suspendues des poèmes des élèves des écoles primaires ou secondaires, des banderoles avec dessins et phrases poétiques et de petits récital de chants. Les gens circulent dans le parc, dans les rues et visitent les musées, le centre culturel et les expositions dans les vitrines de magasins, etc. Les rues sont bondées de gens qui lisent, qui entendent et qui vivent au rythme de la poésie ».
Comme rien n’est parfait dans ce bas monde, le Festival international de la poésie s’ouvre également sur une polémique. Alexandre Gauthier et quatre autres copropriétaires ont repris l’administration du café-bistrot Le Charlot cet été. Le Bistrot a décidé de profiter de l’événement pour organiser un off-festival de la poésie du lundi 1er au samedi 6 octobre, dans l’optique de « créer des espaces dans lesquels la poésie pourra émerger ». Ce programme comprendrait donc une soirée « micro-libre » le lundi, un spectacle de théâtre spontané le lendemain, une prestation de peinture en direct le mercredi et une soirée jazz et poésie le jeudi. Le poète Lucien Francoeur sera sur place le vendredi, alors que la soirée du samedi 6 octobre sera consacrée à la relève.
Le président du Festival, Gaston Bellemare, qualifie l’activité off-festival de parasite : « Ça peut juste faire du tort. Ce sont des parasites. Regardez cela, ils vont se promener dans nos événements pour dire aux poètes d’aller chez eux ». Le concept du micro ouvert est de l’antipoésie. Pour lui, un poète digne de cette appellation doit avoir publié via une maison d’édition. En analogie, il prétend que ce n’est pas parce que quelqu’un a un violon qu’il peut jouer dans un orchestre symphonique.
« Je comprends que ce n’est pas parce que tu as un violon que tu peux automatiquement jouer dans l’orchestre symphonique, mais tu peux jouer du violon quand même! », répond l’un des propriétaires concepteurs de l’événement, Alexandre Gauthier, étudiant à l’Université du Québec à Trois-Rivières qui fréquente le Festival international de la poésie depuis longtemps, comme spectateur. Il dit croire aussi en la démocratisation de cette forme d’expression. Pour Alexandre, tout le monde est digne de livrer sa poésie, qu’il ait publié ou non!
Hugo St-Amant Lamy se présente comme non poète. Il lance un véritable pavé dans une lettre ouverte : « du festival de quelle poésie parle-t-on ? De la poésie bureaucratique d’une demande de subvention au Conseil des arts et lettres ? De celle, le doigt en l’air, des cocktails au foyer de la salle J.-Antonio-Thompson ? Des recueils standardisés qui sortent à intervalles réguliers des presses des Écrits des Forges ? Quelle surprise que des jeunes ayant connu la poésie par Rimbaud et Baudelaire recherchent plus que cela dans un événement consacré au poème! » […] La non poésie de la relève serait-elle un danger pour le statu quo littéraire qui dure à Trois-Rivières depuis une vingtaine d’années ? »
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