mardi 11 septembre 2007

Élections Canada - « La rectitude politique prend le dessus sur le gros bon sens »

Le Canada est ainsi fait. Dans une même province, deux gouvernements sont appelés à prendre des décisions lourdes de conséquences qui bouleversent les convictions profondes d’un peuple.


Dans le cadre d’une élection complémentaire fédérale, qui se déroulera dans les trois circonscriptions d'Outremont, Roberval-Lac-Saint-Jean et Saint-Hyacinthe-Bagot, le 17 septembre prochain, Élections Canada permettra aux femmes de voter voilées en présentant une pièce d’identification avec photo ou un autre document qui prouve leur identité. Si elles n'ont pas ces deux documents, elles pourront faire confirmer leur identité par un autre électeur inscrit dans la même section de vote. Elles devront cependant ôter leur voile si elles n'ont pas les papiers nécessaires ou si elles ne sont pas accompagnées d'une personne qui peut confirmer leur identité.


Dans le cadre d’une élection complémentaire provinciale, qui se déroulera dans la circonscription de Charlevoix, le 24 septembre prochain, Élections Québec utilise ses pouvoirs pour interdire le vote à visage voilé.


Selon Michael Oliveira et Steve Rennie, de la Presse Canadienne, les règles controversées qui permettent aux électrices canadiennes de voter, vêtues d'une burqa ou le visage voilé, sont encore plus permissives dans d'autres provinces, dont l'Ontario, où le droit de vote est accordé même à un électeur portant un masque de gardien de but ou un sac en papier sur la tête. Le directeur général d’Élections Ontario, John Hollins, dit avoir consulté plus de 500 organisations avant de décider qu'une pièce d'identité sans photo était acceptable. Les leaders des trois principaux partis politiques de la province se sont ralliés à lui.


Le gouvernement du Canada a demandé au directeur général d’Élections Canada, un fonctionnaire, de revenir sur sa décision. Il a essuyé, lundi matin, une fin de non-recevoir. La position du gouvernement du Canada est claire : le Premier ministre, Stephen Harper, a déclaré qu’il était « en profond désaccord avec la décision d'Élections Canada. Le rôle d'Élections Canada n'est pas de faire les lois mais de les mettre en vigueur ». Le Premier ministre Harper a poursuivi : « les intentions du gouvernement et, je pense, de tous les partis du Parlement, étaient d'avoir une vraie identification des électeurs et des électrices ».


Lundi matin, le directeur général d’Élections Canada a rencontré la presse. Deux options s’offraient alors au fonctionnaire fédéral : a) au mieux, faire marche arrière et reconnaître que sa décision était, dans les circonstances, inappropriée ; b) au pire, maintenir sa décision en faisant fi de toutes les demandes et commentaires qui lui ont été adressés depuis la mise en application de sa décision. La conclusion aurait été la même dans les deux cas : une profonde erreur de jugement et une très mauvaise interprétation du seuil de tolérance d’une population auprès de laquelle le DG d’Élections Canada n’a pas su se mettre à l’écoute. En réponse au Premier ministre, et aux partis qui le critiquent dans sa décision, le directeur général d’Élections Canada, Marc Mayrand, a répondu que : « son rôle n'est que d'administrer la loi telle qu'écrite par les parlementaires ». Le fonctionnaire invite même les parlementaires à revoir leur loi s'ils le jugent nécessaire, mais il répète que ce n'est pas à lui de trancher le débat qui fait rage depuis jeudi dernier. Il a donc maintenu sa décision envers et contre toutes et tous.


Le fonctionnaire, Marc Mayrand, a admis qu'il a le pouvoir de modifier ou d'adapter la loi électorale, mais qu'il s'agit là d'un pouvoir exceptionnel qui ne doit être utilisé qu'avec circonspection. Il ne lui revient pas, répète-t-il, de se substituer au législateur. Qui plus est, ce pouvoir doit être utilisé afin de faciliter le déroulement du vote, et non pas pour restreindre les droits des électeurs.


Le ministre Lawrence Cannon, responsable de la région du Québec auprès du Premier ministre du Canada, considère que la rectitude politique prend le dessus sur le gros bon sens. C'est le genre de chose que les gens ordinaires ne comprennent pas. Afin de dénoncer cette situation, quatre femmes sont allées voter par anticipation, drapées dans des burqas, vendredi, dans la circonscription d'Outremont.


Le premier ministre du Québec, Jean Charest, estime que la décision d'Élections Canada de permettre aux femmes voilées de voter à visage couvert, lors des trois scrutins complémentaires fédéraux du 17 septembre au Québec, est « mauvaise ». Il rappelle que le débat sur cette question a eu lieu au Québec, lors de la dernière campagne électorale, et que décision a été prise d'interdire cette pratique.


Le Bloc québécois (Parti d’opposition – Ottawa) n’a pas tardé à mettre au compte de la provocation pure et simple cette décision d’un fonctionnaire fédéral en sol québécois : « Il y a quelque chose d'un peu provocateur à faire en sorte qu'un débat qui a été conclu au Québec et qui s'est conclu par le fait que tout le monde doit voter à visage découvert soit remis en cause par Élections Canada, dans le cadre d'élections partielles qui n'ont lieu qu'au Québec. Là, il s'agit, à mon sens, presque d'un geste qui frôle la provocation ». Le leader du Bloc québécois y perçoit une différence fondamentale entre les visions québécoise et canadienne de l'intégration. « La nation québécoise a une perception de l'intégration qui est différente de celle du Canada, qui elle vise le multiculturalisme. Ce que ça révèle, une fois de plus, c'est que la nation québécoise et la nation canadienne ont une vision de leur avenir totalement différente ».


La présidente de la Fédération des femmes du Québec, Michèle Asselin a rappelé simplement : « que les femmes qui portent le niqab ou la burqa doivent s'identifier comme le font toutes les électrices et tous les électeurs. C'est une règle obligatoire qui doit s'appliquer sans distinction de sexe ou de religion ». La Coalition canadienne pour la démocratie estime pour sa part qu'il s'agit d'une violation des principes d'égalité : « L'initiative d'Élections Canada viole le principe de base du vote public au Canada et le principe de l'égalité de tous les Canadiens devant l'urne »


La porte-parole du groupe Canadian Council on American-Islamic Relations, Sarah Elgazzar, s'explique mal la controverse puisque ces femmes se dévoilent déjà le visage quand elles vont à la banque et les photos de leurs cartes d'identité montrent toujours un visage découvert : « Elles n'ont pas de problème à se dévoiler pour s'identifier, ça n'a jamais été un problème. Peut-être que le directeur général d'Élections Canada avait de bonnes intentions, mais le moment où c'est sorti, la manière que c'est sorti, ce n'était pas une bonne idée. Ces femmes n'ont jamais demandé d'accommodement. Ça a été très mal géré ».


L'organisme Présence Musulmane Montréal se questionne aussi sur cette décision d'Élections Canada de permettre aux musulmanes de voter avec un voile qui cache complètement leur visage. Certains estiment qu'elle ne fait qu'attiser les tensions sociales entre musulmans et non-musulmans, soulignant que les femmes musulmanes n'ont jamais demandé une telle mesure. « Ça fait des années que ces femmes-là votent, elles n'ont jamais demandé de traitement spécial, tout en sachant qu'elles ont le droit de le faire. Elles, par elles-mêmes, ont pris l'initiative de dévoiler leur visage parce qu'elles trouvaient que c'était très-très normal pour une question de sécurité, la même chose qu'elles font aux douanes ou au bureau de passeports. Donc pour elles, c'est très normal qu'elles dévoilent leur visage ».


Le président du Congrès islamique canadien, le Docteur Mohamed Elmasry, croit pour sa part que le système électoral canadien devrait exiger que les femmes voilées montrent leur visage, mais devant une autre femme et à l'abri du regard des hommes : « Le Congrès est contre toute forme de discrimination, mais en même temps, les gens doivent être identifiés lors des élections », ajoutant qu'il s'agit là de la méthode utilisée dans plusieurs pays musulmans.


Michèle Ouimet est « chroniqueur » au quotidien La Presse. Elle s’interroge, en tant que femme, sur une décision hautement controversée balancée en pleine figure : « Je suis généralement en faveur des accommodements raisonnables. J'étais d'accord avec le port du kirpan à l'école, l'érouv dans Outremont, la souccah sur les balcons des condos. C'est pour vous dire. Mais le niqab? Non, c'est trop. Tout simplement trop. Le niqab n'est pas un simple bout de tissu. Au contraire. Il nous jette en pleine figure l'inégalité entre les hommes et les femmes et il rappelle la charia, la loi islamique où les femmes sont traitées comme des mineures. Si des musulmanes veulent se promener dans la rue avec leur niqab, libre à elles, mais les institutions publiques ne doivent pas céder un pouce. Donc pas de niqab à l'école, dans les tribunaux, les bureaux de vote, les aéroports. Le feu couve et, avec cette histoire de niqab, le directeur général des élections vient de fournir l'huile ».


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