Il y a un an, un rapport des services français de renseignement, citant les services saoudiens, rapportait que ben Laden aurait succombé au typhus au Pakistan, mais l’Arabie saoudite avait parlé de simple spéculation. Oussama ben Laden, chef d’Al-Qaïda, l’homme de 50 millions de dollars, vient de réapparaître en costume traditionnel blanc et drapé d’un manteau jaune. Avec une barbe semblant teinte, ben Laden, un Saoudien proche des wahhabites, déchu de sa nationalité, semble en bonne santé malgré des cernes sous les yeux. Sa barbe, habituellement grisonnante, est soigneusement coupée et teintée au henné noir. Tradition arabe impose. Ce retour veut marquer les esprits à quelques jours du 11 septembre 2007.
La dernière vidéo du chef du réseau Al Qaïda remonte en effet à près de trois ans : octobre 2004. Des observateurs estiment que le chef d’Al Qaïda limite volontairement ses interventions pour leur donner un impact maximal ; d’autres sont plutôt enclins à penser que ben Laden, qui aurait été victime d’une maladie rénale, est trop malade ou que ses conditions de vie dans la clandestinité sont trop précaires pour enregistrer des messages. Quoiqu’il en soit, pour Michael Taarnby, spécialiste des réseaux islamistes à l’Institut danois des études internationales, l’importance de la vidéo annoncée tient précisément dans le fait qu’elle constituera une « preuve de vie » du chef d’Al Qaïda. Les services de renseignement, chargés de son analyse, s’intéressent, en premier lieu, aux indices sur son état de santé.
Devenu l’homme le plus recherché de la planète, traqué depuis l’invasion américaine en Afghanistan, en octobre 2001 contre le régime des talibans, ben Laden, la cinquantaine, se cacherait dans une région montagneuse à la frontière de l’Afghanistan et du Pakistan selon les États-Unis. Si les Américains n’ont toujours pas réussi à capturer Oussama ben Laden, ils ont réussi à obtenir la nouvelle bande vidéo, avant qu’elle ne soit diffusée par un site Internet proche d’Al-Qaïda. Pourtant, la Maison Blanche tentait de relativiser cet enregistrement : « Nous avons eu beaucoup de succès en traduisant des responsables d’Al-Qaïda en justice et il n’y a pas de cible plus importante sur notre liste d’Al-Qaïda que ben Laden », déclarait sur CNN la conseillère du président Bush pour la sécurité intérieure, Frances Townsend, tout en poursuivant : « Nous nous intéressons à des choses qui ont une réelle importance. Ces messages publics ne sont pas vraiment importants pour moi ».
Les responsables du renseignement américain confirment que les analyses d’authentification permettent d’être quasiment sûrs que c’est bien ben Laden dans cette vidéo qui est la première depuis trois ans. Elle a été annoncée jeudi par As-Sahab, la branche médiatique d’Al-Qaïda : « Prochainement si Dieu le veut, (sera diffusée) une vidéo du cheikh le lion, Oussama ben Laden, que Dieu préserve », pouvait-on lire en arabe sur le bandeau affiché sur des sites islamistes et signé As-Sahab.
Oussama ben Laden est connu, indique le FBI, sous plusieurs pseudonymes dans les milieux terroristes, dont « le Prince », « l’Émir », « Abou Abdallah », « Moudjahid Cheikh », « Hajj », « le directeur ». Fait à noter : le site du FBI ne recherche pas ben Laden pour l’attentat du 11 septembre 2001 mais pour d’autres actes terroristes (attaques contre l’ambassade des États-Unis de Nairobi et de Dar El Salem). Même s’il s’en félicite, il n’a lui même jamais revendiqué les attentats contre le World Trade Center. Il convient enfin de rappeler que la Commission islamique d’Espagne avait lancé une fatwa contre Oussama ben Laden en mars 2005 : il était accusé de faire le jeu de l’administration américaine et ses actions de porter préjudice à l’islam.
Tout en dénonçant George Bush et Tony Blair, ben Laden évoque, pour actualiser son message - dont le lecteur pourra parcourir, en français, le discours intégral ici - le président français Nicolas Sarkozy élu en mai 2007 et Gordon Brown, le nouveau premier ministre britannique. ben Laden trace également un parallèle entre l’Irak d’aujourd’hui et l’Afghanistan d’hier sous occupation soviétique : « George Bush répète les erreurs que les Soviétiques ont commises en Afghanistan, en refusant de reconnaître les revers subis par l’armée américaine en Irak. Votre position est, ô combien, semblable à la leur il y a peu près 20 ans ». Selon ben Laden : « L’impotence du système démocratique et la façon dont ce système joue avec le sang du peuple sont désormais claires aux yeux du monde et à vos yeux ».
En lien direct avec les événements du 11 septembre 2001, ben Laden déclare : « bien que l’Amérique soit la plus grande puissance économique et possède également l’arsenal militaire le plus puissant et moderne, bien qu’elle dépense pour son armée et la guerre plus que ce que le monde entier dépense pour les armées, et bien qu’elle soit la nation la plus importante pour influencer les politiques dans le monde, comme si elle avait un monopole sur un injuste droit de veto ; et bien en dépit de tout cela, 19 jeunes hommes ont été capables de changer la direction de la boussole - par la grâce d’Allah, le plus Grand ».
Dans un moment fort, ben Laden s’adresse directement au peuple américain : « il m’est impossible d’être indulgent avec aucun d’entre vous pour l’arrogance et l’indifférence que vous montrez pour la vie humaine en dehors des USA, ou d’être indulgent pour les mensonges de vos dirigeants (...) ». Sur les événements aux États-Unis, ben Laden mentionne « les dettes lourdes, les impôts ridicules, la crise des prêts hypothécaires, le réchauffement de la planète ». Il invite le peuple américain à renoncer à son système démocratique de gouvernement et à rejoindre l’islam : « J’invite les Américains à embrasser l’islam parce que l’une des erreurs les plus graves que quelqu’un puisse commettre, c’est de mourir en-dehors de l’islam ».
En réaction, aux États-Unis, le modérateur de la chaîne NBC interrogeait chaque invité : « La chance est-elle passée de capturer ben Laden et la guerre en Irak nous a-t-elle détournés de cette mission ? Nous sommes-nous trompés d’ennemi ? » Le maire démocrate de San Francisco, Willie Brown, a eu cette réaction spontanée : « Notre président a laissé courir ben Laden, et on voit le résultat ». Pour Georges W. Bush, cette vidéo rappelle dans quel monde dangereux nous vivons, et cela nous rappelle que nous devons travailler tous ensemble pour protéger nos peuples respectifs.
Force est de constater des déclarations contradictoires des autorités américaines par suite de l’analyse de cette vidéo d’Oussama ben Laden : au ministère américain de la sécurité intérieure, le ministre Michael Chertoff a réagi en soulignant que ses services n’ont détecté aucune menace imminente d’attentat contre les États-Unis. Par contre, lors d’un discours à New York, le chef de la CIA américaine, Michael Hayden, a déclaré qu’Al-Qaïda préparait des attentats « de grande envergure » visant les États-Unis : « « Al-Qaïda vise des cibles qui feraient un grand nombre de victimes, causeraient des destructions massives et auraient des conséquences économiques importantes ». Selon un communiqué d’IntelCenter, organisation américaine spécialisée dans la surveillance des sites Internet islamistes, la vidéo « contient certaines phrases au début et à la fin qui peuvent indiquer que le message d’OBL (Oussama ben Laden) participe des efforts d’Al-Qaïda pour accomplir son devoir de prévenir et de donner une chance à l’ennemi de changer avant de mener un attentat ».
Selon l’hebdomadaire américain Newsweek, les forces américaines en Afghanistan étaient si proches de découvrir Oussama ben Laden, à l’hiver 2004-2005, que ses partisans étaient sur le point de l’abattre pour éviter sa capture. « S’il y a 99 pour cent de risques que le cheikh [ben Laden] soit capturé, il a dit à ses hommes qu’ils devaient tous mourir et le faire lui-même mourir en martyr », aurait déclaré, selon Newsweek, un chef égyptien d’Al-Qaïda, le cheikh Said, à un responsable taliban, Omar Farooqi. L’hebdomadaire américain, qui consacre sa couverture au cerveau des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, ajoute que les intenses recherches menées par Washington pour le retrouver avaient fait peu de progrès en six ans. « Il n’y a pas eu de sérieux indice sur Oussama ben Laden depuis début 2002 », a dit Bruce Reidel, expert de l’Asie du Sud-Est à la CIA à la retraite.
Vincent Marissal tire cette analyse de l’échec de la capture d’Oussama ben Laden : « Newsweek relate la réaction de George Bush, en 2005, après que les dirigeants de la CIA lui eurent fait part du peu de progrès dans la traque de ben Laden en Afghanistan et au Pakistan. « Vous n’avez pas plus de ressources sur place ? » s’est étonné le président. « Non, monsieur le président, l’Irak draine l’essentiel de nos ressources », lui ont répondu les sbires de la CIA. Les Américains, après avoir mis toute la gomme en Afghanistan, s’en sont détournés, comme un enfant jette un jouet dont les piles ne fonctionnent plus, pour se tourner vers l’Irak. Et maintenant, le petit Canada devrait accomplir des miracles en quelques années ? Mission impossible ».