dimanche 9 septembre 2007

« La télévision est la pratique par excellence de la barbarie », (Michel Henry)

« J’avais la télé
Mais ça m’ennuyait
Et j’l'ai
R’tournée
D’ l’aut’ côté c’est passionnant ».
(Boris Vian)

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En 1990, chaque français de plus de 6 ans passait en moyenne 3 heures par jour devant le poste. L’espérance de vie étant à l’époque de 76.6 ans, tout français de plus de 6 ans pouvait donc être condamné à passer 77 307 heures de sa vie devant son téléviseur. Les français regardent beaucoup la télé (3h30 par jour environ). Aujourd’hui, seuls 5 pour cent des foyers n’ont pas de téléviseur et 43 pour cent ont plus d’un poste. Avec la démocratisation du câble, près de 30 pour cent des ménages français sont abonnés à des offres de câble et de satellite. Près de 15 pour cent des français ont investi dans un écran 16/9ème. Les offres Internet incluent maintenant la retransmission de canaux de télévision. La télévision sur le net est en passe de devenir le moyen le plus simple pour s’informer. La télévision est partout.

Pourrait-on à ce rythme vivre sans télévision ? Il semblerait que oui. Selon une autre étude, de New Paradigm cette-fois, citée par Les Affaires, 77 pour cent des jeunes pourraient vivre sans télévision, mais pas sans Internet. Les plus accros sont les Chinois pour lesquels le taux de préférence pour l’Internet passe à 87 pour cent. Cette étude sur la N-gen (Génération Internet) porte sur 7 600 jeunes de 16 à 29 ans dans 12 pays. Elle a été réalisée par New Paradigm, le laboratoire d’idées dirigé par l’auteur Don Tapscott.

Le Figaro confirme un peu cette tendance : « La télévision est en train de perdre sa place de média principal, révèle une étude de l’Institute for business value d’IBM réalisée auprès de 2 423 individus. Sans surprise, sa suprématie est attaquée par Internet, nouveau pourvoyeur d’information et de divertissement. Le temps passé devant la télévision et sur Internet serait désormais presque identique. 66 pour cent des interrogés indiquent regarder la télé entre trois et quatre heures par jour, tandis que 60 pour cent affirment qu’ils restent devant leur ordinateur connecté au Web pendant une durée similaire. Alors que 31 pour cent des Américains passent autant de temps devant leur petit écran, ils sont 32 pour cent à surfer sur Internet aussi longtemps. L’écart est plus important dans certains pays, comme l’Allemagne et le Japon, où les consommateurs privilégient déjà massivement Internet à la télévision. Les consommateurs sont plus nombreux à souscrire à divers services en ligne : 23 pour cent sont inscrits sur un site de téléchargement de musique, 11 pour cent sont abonnés à une publication électronique et 7 pour cent reçoivent des vidéos sur leur téléphone mobile ».

Plus les jeunes internautes, âgés de 13 à 17 ans, utilisent la Toile, note l’institut Médiamétrie, dans son étude « Media in life », plus ils sont en contact avec les médias classiques. Les adeptes d’Internet seraient « plus en contact que les autres jeunes avec la télévision », par exemple. Près de 83 pour cent d’entre eux sont en contact avec ce média sur un jour moyen, contre 79,8 pour cent chez les autres. À l’inverse, les fans de Web sont légèrement moins touchés par la radio : 82,9 pour cent d’entre eux ont au moins un contact avec la radio sur un jour moyen, contre 87 pour cent pour le reste de cette tranche d’âge.

En 2007, parvenu à l’âge de 60 ans, un américain moyen aurait, selon certaines statistiques, passé 15 années de sa vie devant la télévision. Ce chiffre peut paraître excessif, mais il est à peu près identique dans tous les pays européens. 3h 30 par jour est une durée banale dans les classes moyennes. Günter Anders avait toutes les bonnes raisons d’écrire : « L’homme est ce qu’il mange… on produit des hommes de masse en leur faisant consommer des marchandises de masse - ce qui signifie en même temps que le consommateur de marchandises de masse collabore en consommant à la production des hommes de masse » (L’homme de masse, travailleur de la consommation).

S’agissant du pouvoir même de la télévision, J. Baudrillard estimait « qu’il est inutile […] de fantasmer le détournement policier de la TV par le pouvoir. La TV, c’est par sa présence même, le contrôle chez soi. Pas besoin de l’imaginer comme périscope espion du régime dans la vie privée de chacun, puisqu’elle est mieux que cela : elle est la certitude que les gens ne se parlent plus, qu’ils sont définitivement isolés face à une parole sans réponse » (Pour une critique de l’économie du signe).

Est-il possible de se priver de télévision ? Il semble que oui. Dans ses Carnets, Mark Raison cite deux moyens pour faire en sorte de ne plus regarder la télévision : « j’ai deux idées simples à recommander pour vivre sans télé. La première ? N’allumez pas le poste ! La deuxième ? Si par malheur vous l’avez allumée, éteignez-la de suite ! Sinon vous risquez de passer 13 ans de votre vie devant votre poste ».

D’une approche éminemment plus humoristique, Mani l’Africain confesse qu’il a, lui-même, quitté ce qu’il qualifie « la religion cathodique » : « Ce que je vous fais ici est une confession. Je me confie à vous et j’avoue avoir quitté l’Église Cathodique depuis quelques années. Ca n’a pas été facile, loin de là. Ca m’a pris des années pour m’assumer en tant qu’athée. La première fois que j’ai douté de ma foi était un soir pendant lequel j’ai joué à Solitaire devant mon ordinateur au lieu de suivre la messe du soir. Je m’absentais de plus en plus des prières en prétextant des devoirs à rendre pour l’école le lendemain. En réalité, je lisais des livres, j’écrivais, ou je sortais rencontrer des amis. J’ai découvert de nouvelles façons de vivre dans lesquelles la télé n’a aucune place. Au début j’avais peur puisqu’on n’a pas arrêté de nous marteler que quelqu’un qui vit sans télé ne peut qu’être corrompu et immoral. Mais j’ai poursuivi mon chemin loin des voies tracées. J’avais toujours une télé chez moi, mais je la regardais de moins en moins. Je ne suivais plus le championnat et cela a levé des doutes autour de moi quant à mon attachement à nos traditions. Je ne savais plus réciter les noms des joueurs de l’équipe nationale de football, ce qui était un signe pour mes amis de mon égarement. Ils cherchaient à savoir si une autre secte ne m’a pas récupéré. Non, je ne me suis pas converti, je n’écoute pas la radio et encore moins les matchs de volley à la radio. Je suis devenu tout bonnement athée ».

Nous pouvons quitter la religion cathodique, mais il reste que nos habitudes de consommation ne varient guère : la dépense en matière d’électronique grand public se chiffrerait à 580 milliards de dollars cette année pour la zone employant la monnaie américaine. Trois catégories de produits devraient enregistrer les meilleures progressions en termes de ventes. Il s’agit du PC (+20 pour cent), des téléphones mobiles (+16 pour cent) et de la télévision (+12 pour cent) qui à eux trois totalisent près de 60% du marché de l’électronique (GfK Group).

Mais jusqu’où nous mènera donc cette pratique de la barbarie dont parle le philosophe Michel Henry : « Qu’est donc la télévision en tant que pratique, s’interrogeait Michel Henry ? Ce comportement en lequel, incapable de demeurer et de reposer en soi, de se suffire à soi-même et de se satisfaire de soi, de son activité propre, la vie se jette hors de soi afin de se défaire de soi et de se fuir soi même. Si le système technicien en général manifeste une telle finalité, celle-ci acquiert avec les médias sa forme d’expression la plus extrême : la télévision est la vérité de la technique, elle est la pratique par excellence de la barbarie ». Michel Henry, La Barbarie (Grasset 1987)

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