Quelques ministres font leurs classes. D’aucuns créent quelques maux de tête au grand patron. D’autres le satisfont pleinement. Nous passerons en revue trois ministres, trois femmes, trois styles. Des ministres qui ne laissent personne dans l’indifférence. Elles s’expriment. Elles débattent. Elles s’imposent. Voici donc Rama Yade, Rachida Dati et Fadela Amara vues très librement à travers la presse française. Un dénominateur commun dans notre quête : comment ces trois femmes ont-elles réagi à cette question délicate des tests ADN pour prouver les filiations en cas de regroupement familial ? « L’ADN fait aujourd’hui son entrée dans la politique d’immigration : la biologisation touche désormais aux fondements mêmes de la famille, et en même temps de la Nation, dont elle prétend dire la vérité », (Éric Fassin).
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Selon une presse, encline à dénicher les « gaffes ministérielles », la secrétaire d’État aux Affaires étrangères et aux Droits de l’homme aurait commis, en étant interrogée sur la mort d’une immigrée chinoise alors qu’elle tentait d’échapper à la police, un sérieux impair diplomatique en déclarant le plus naïvement du monde : « J’ai envie que nous allions à l’étranger parler droits de l’homme avec les Russes, avec les Chinois, sans avoir honte de nous-mêmes. Nous ne sommes pas la Chine, nous ne sommes pas la Russie. Notre pays n’est pas une dictature. Nous ne sommes pas une nation qui passe son temps à violer les droits de l’homme ». Le rappel à l’ordre vient de haut, semble-t-il : « Rama Yade a gagné haut la main la palme de l’impudence diplomatique », constate Jean-Marie Le Pen dans un communiqué.
La question à se poser, bien évidemment, est la suivante : selon le raisonnement de la ministre, la Chine et la Russie sont-elles des dictatures ? Déjà que Nicolas Sarkozy, devant la conférence des ambassadeurs, avait dénoncé la « brutalité » de la Russie tout en déclarant à l’issue d’une rencontre avec Vladimir Poutine que : « la France veut avoir un partenariat, la France ne veut pas diviser ».
Lilian Thuram, footballeur d’origine antillaise, dans un entretien à l’AFP avec le chanteur Manu Chao, le vendredi 21 septembre dernier, n’a pas hésité pas à dire ce qu’il pense de Rama Yade : « Rama Yade existe parce qu’elle est noire », chose que le footballeur trouve « triste » car pour lui, « il fallait une Noire dans le casting », et ce fut Rama Yade. Or, continue-t-il, « ce n’est pas parce qu’on est noir ou blanc qu’on a telle ou telle valeur ». Cette opinion a été formulée en même que celle, de Lilian Thuram, sur la prestation de Nicolas Sarkozy à Dakar. Le footballeur antillais qualifie : « le discours sarkozyste de Dakar de raciste et colonialiste, ajoutant que le président français n’avait même pas compris pourquoi les Africains se sont sentis insultés. Ca prouve tout le décalage et tout le mépris, la vision raciale des gens ».
En entrevue sur France 2, la ministre, après sa visite aux squatteurs d’Aubervilliers, déclarait : « Ce n’est pas parce qu’on est jeune qu’on n’est pas compétent, il faut faire confiance à cette jeunesse française et c’est ce que Nicolas Sarkozy a fait ». La secrétaire d’État avait, le 6 septembre dernier, et dans l’improvisation la plus complète, rendu visite à des squatteurs d’origine africaine à Aubervilliers. Ce déplacement ministériel faisait suite à l’expulsion de 70 familles en application d’une décision de justice prise à la demande la municipalité communiste d’Aubervilliers. Devant le tollé de commentaires soulevés par cette initiative, le Premier ministre François Fillon lui avait demandé des explications.
Sur l’introduction de tests ADN pour les candidats au regroupement familial, la ministre a eu une réaction mitigée : « Le projet de loi sur l’immigration n’a pas pour objet d’interdire le regroupement familial ni d’interdire l’immigration légale, mais simplement de poser des règles pour que les choses soient claires ». Pour toute réponse, la ministre a expliqué que : « De tels tests sont déjà pratiqués dans plusieurs pays européens », a rappelé Rama Yade, insistant sur la base volontaire de ces tests ADN. « Cette proposition vise à répondre à la difficulté de prouver la filiation des gens dans certains pays à cause des défections en matière d’état-civil ». La ministre a senti le besoin de préciser : « Je ne ferai pas partie de ceux qui vous diront qu’il est illégitime de faire venir sa famille, de par mon histoire personnelle ». Sa patronne, la ministre du Logement, Christine Boutin, s’est dite, pour sa part, choquée par cet amendement, adopté malgré tout par 91 voix contre 45.
Pour montrer à quel point cette jeune ministre respire la candeur et la fraîcheur, elle s’est empressée d’accepter une entrevue sur France 2 pour déclarer, comme le rapporte le Figaro. Jugée gaffeuse par certains de ses collègues, Rama Yade a décidé de ne pas baisser la tête et même de griffer ses contempteurs : « Les jeunes ont besoin aussi d’être entendus, avec leurs imperfections c’est vrai. Ils auront toujours le temps d’être âgés, d’être vieux ».
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Une autre ministre a fait couler beaucoup d’encre. Rachida Dati. Patrick Gaubert, président de la Ligue Internationale contre le Racisme et l’antisémitisme (LICRA) et député européen, qualifie, dans le Nouvel Observateur, son bilan ainsi : « Rachida Dati a quand même beaucoup encaissé à son arrivée au ministère, parce qu’elle était une femme, parce qu’elle était fille d’immigrés. La justice est une vieille dame bien française et bien bourgeoise et des magistrats ont réagi un peu méchamment. Il y a certes eu la valse des départs à son cabinet. C’est vrai qu’elle est un peu dure, mais peut-être que des gens n’ont pas apprécié son attitude tout simplement parce que c’était elle. Aurait-ce été la même si cela avait été Perben ? »
Pour Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Rachida Dati : « a exécuté fidèlement le programme que Nicolas Sarkozy lui avait assigné. Rachida Dati a été nommée parce qu’elle est une femme, parce qu’elle est issue de l’immigration maghrébine. Mais nous ne jugeons pas la ministre sur sa personne. De toute manière, elle est un instrument de communication, tout comme l’est Rama Yade ou Fadela Amara. Mais les parcours personnels de ces personnes ne sont pas importants ».
Pour Florence Aubenas, grand reporter au Nouvel Observateur : « Rachida Dati est une ministre très typique de Nicolas Sarkozy. Elle est dans la norme. Et, je pense qu’il est malvenu de dénoncer cette soi-disant maltraitance quand on sait comment elle traite ses collaborateurs à son cabinet. Sept d’entre eux sont partis grosso modo parce qu’elle s’était conduite de manière insultante avec eux ». Et Serge Portelli, vice-président du tribunal de Paris, ajoute : « Les premiers mois de Rachida Dati sont calamiteux. Son action est confuse, part dans tous les sens et est dans la ligne démagogique de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. Son bilan signe la fin du Garde des Sceaux : Rachida Dati n’est pas Garde des Sceaux mais porte-parole de Nicolas Sarkozy ».
Interpellée sur la mise en place de tests ADN pour prouver les filiations en cas de regroupement familial, la ministre a prudemment indiqué qu’elle « n’avait pas lu le texte de l’amendement ».
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« Pour nous les femmes des cités, Fadela, c’est une icone, comme Rachida Dati. Ce sont des modèles, ce sont des femmes des cités qui sont arrivées à un certain niveau, alors pour nous c’est très encourageant, on se dit si elles sont arrivées, alors, nous aussi on va y arriver », confie Lynda Maouchi, 34 ans, jeune vaudaise d’origine algérienne, au quotidien Le Monde.
Ex-présidente du mouvement « Ni putes, ni soumises » (NPNS), Fadela Amara est co-auteure d’un livre, publié en 2006 et intitulé « La racaille de la République », qui devait rendre la parole aux jeunes des quartiers insultés par Nicolas Sarkozy. Son passage au gouvernement n’est pas passé inaperçu. Elle a été nommée secrétaire d’État chargée de la politique de la Ville, sous la tutelle de Christine Boutin. Jusqu’à la présentation au Conseil des ministres de son travail préparatoire au prochain plan gouvernemental destiné aux banlieues, Fadela Amara avait peu fait parler d’elle. Elle a mis en ligne, sur Internet, un site bien spécial : « Tolérance zéro contre la glandouille ».
Dans cette action « à donf », l’ex-chef de file de « Ni putes ni soumises » déplore qu’en banlieue, « trop d’acteurs de terrain et d’associations (soient) marginalisés, méprisés, vassalisés. Trop de talent négligé. Trop de blocages, trop de lobbies, trop de chasses gardées, trop de forteresses, trop de tabous. Trop de convenances et d’habitudes qui ont sclérosé et empêché d’agir efficacement ». Une énumération relatée par Le Figaro.
Cette initiative a donné lieu à un commentaire du collectif AC le feu qui a estimé que Fadela Amara participait à une « stigmatisation » et une « dévalorisation » des jeunes sans travail en ayant intitulé son plan sur les banlieues « Tolérance zéro contre la glandouille », et lui a demandé de « parler français ». Ce à quoi la ministre a répliqué : « Fadela Amara a estimé que le collectif avait «le droit de s’exprimer», tout en regrettant qu’il «ne réponde pas aux demandes de participation» aux projets du gouvernement pour la banlieue ».
Une consultation du site en question démontre bien, qu’au-delà du titre un peu provocateur, tout est rédigé dans un français correct. La ministre annonce notamment : « A partir de la mi-septembre jusqu’à la fin-novembre, des réunions publiques se tiendront dans tous les départements de métropole et d’Outre-mer, dans chaque ville, dans chaque quartier pour permettre à tous d’échanger et de donner leur opinion sur ce que doit être la ville de demain. Fin novembre, nous aurons les propositions du terrain. Nous les inclurons dans le plan. Et nous proposerons avant la fin de l’année, dans le cadre d’une conférence associative et dans un endroit symbolique le tracé d’un renouveau pour la ville ».
Seul problème avec cette excellente initiative d’un blog sur la Tolérance zéro, est qu’il n’est pas mis à jour fréquemment. Pour exemple, la page principale a fait l’objet d’une dernière rédaction le 7 septembre dernier. Seuls les commentaires s’accumulent au fil des jours et de leurs publications. La section de la Revue de presse n’affiche qu’un seul communiqué en date du 20 juin 2007. Sous la rubrique La politique de la ville, une cause nationale, la dernière mise à jour relève également du 7 septembre. Tout s’est figé le 6 septembre. Il convient de s’interroger sur le sérieux de cette initiative et sur les résultats qu’en escompte la ministre.
Sur le site officiel du ministère du Logement et de la Ville, Délégation interministérielle de la Ville, peu d’informations sont remises à jour relativement à la tournée de la ministre et aux résultats de ses réunions publiques qui se tiennent, semble-t-il, dans tous les départements de métropole et d’Outre-mer, dans chaque ville, dans chaque quartier, « pour permettre à tous d’échanger et de donner leur opinion ».
Autant sur le site du ministère que sur celui du blog de la ministre, tout s’est arrêté le 6 ou le 7 septembre 2007. Cherchez à comprendre. Pour comprendre la démarche de la ministre dans son programme de consultations des départements et des villes, j’ai consulté son agenda en ligne. La ministre semble aux abonnées absentes. Rien.
Sur la mise en place de tests ADN pour prouver les filiations en cas de regroupement familial, la ministre Amara s’est déclarée défavorable aux tests ADN pour les candidats au regroupement familial, une pratique qui la « heurte » parce qu’elle « jette l’opprobre sur les étrangers qui veulent venir chez nous ». La ministre a poursuivi : « Je respecterai le débat démocratique de notre pays, mais oui ça me heurte en tant que fille d’immigrés ».
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