mardi 7 août 2007

Dormir pour mieux travailler ou travailler pour mieux dormir ?

Du Latin sexta hora, la sixième heure (sieste) correspondait chez les Romains à l’heure de midi. Notre société a-t-elle évolué ou considère-t-elle toujours honteuse la sieste du midi qui fait tant de bien ? La Hongrie pourrait organiser prochainement un référendum sur l’instauration de la sieste au travail. « Êtes-vous d’accord pour que le Parlement de la république de Hongrie crée une loi sur l’introduction de la sieste? » : c’est l’une des questions susceptibles de faire l’objet d’un référendum populaire qui figure sur le site officiel de la Commission électorale. Une initiative que certaines entreprises ont déjà prise en France et que plusieurs médecins recommandent. Mais où en sommes-nous avec cette question ?

En vertu de la Déclaration universelle des droits de l’homme, tout citoyen et toute citoyenne peuvent revendiquer le droit à la sieste, comme le stipule l’article 24 : Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques. Jacques Chirac, dans une préface, traite le plus sérieusement du monde de ce droit à la sieste : « Le repos est une affaire sérieuse, dont la qualité conditionne notre existence. De nombreuses religions ont sacralisé le sommeil dont Charles Péguy écrivait qu’il est “l’ami de Dieu [et] de l’homme”. Les anciens savaient que la clé des songes est aussi celle de l’équilibre et du bonheur, et recommandaient la pratique de la sieste ». Et dans son propos, le président montre en clair ses connaissances littéraires en la matière : « Parmi nos illustres contemporains, André Gide, qui en était le fervent adepte, avouait lui consacrer deux heures quotidiennes, parfois plus, et en tirait une grande satisfaction ».

Le très sérieux Encarta, de Microsoft, définit en ces termes la sieste : « repos pris en s’allongeant après le déjeuner ou à d’autres moments de la journée ». Ce repos que s’accorde bien volontiers l’homme (et la femme, bien évidemment) est souvent assorti d’un chapelet de mots qui en dévoie parfois le sens : assoupissement, dodo, inaction, méridienne, repos, ronflette, roupillette, roupillon, somme, sommeil.

Wikipedia n’est pas en reste : la sieste désigne un temps de repos pris au milieu de la journée, le plus souvent après le repas de midi. Sa pratique diffère selon les cultures, le climat et les individus. La sieste est couramment pratiquée dans les pays chauds, aux heures les plus chaudes lorsque le soleil est au zénith : la chaleur ne permet pas d’activité très physique et le travail est remis aux heures plus fraîches. Dans les pays plus froids, la sieste est moins courante. Les enfants en bas âge ont souvent besoin d’un tel moment de repos, au moins sous la forme d’un « temps calme » organisé dans les structures d’accueil (écoles, centres de loisirs ou de vacances).

Paul Lafargue , en 1848, y faisait référence : « Les philosophes de l’Antiquité enseignaient le mépris du travail, cette dégradation de l’homme libre; les poètes chantaient la paresse, ce présent des Dieux: O Melibœ, Deus nobis hæc otia fecit - Ô Mélibée, un Dieu nous a donné cette oisiveté », (Virgile, Bucoliques).

Le mot est lâché : la sieste est-elle « mépris » du travail ?

Marie Lambert-Chan, de Cyberpresse, raconte que la firme de consultants Deloitte & Touche, basée à Pittsburgh, a fermé sa pièce réservée à la sieste. L’expérience, quoique positive, donnait mauvaise presse à la compagnie.

Indrani Ganguly-Fitzgerald, de l’Institut de neurosciences de San Diego, y va d’une déclaration surprenante : « les drosophiles nous ressemblent en quelque sorte, si bien que nous pouvons les appeler des petits humains avec des ailes ». Il étudie l’effet de l’expérience sociale sur le sommeil. Il démontré qu’une vie sociale intense chez la drosophile nécessite des siestes plus longues pour la mise en mémoire : la sieste est importante pour la mémoire sociale. Les résultats sont étonnants puisqu’ils ont révélé que les mouches « sociales » dorment quatre fois plus que les mouches « solitaires » (60 min. contre 15 min). Ce besoin accru de sommeil est lié à une stimulation plus importante des mécanismes d’apprentissage et de mémorisation, expliquaient en 2006 Indrani Ganguly-Fitzgerald et ses collègues dans la revue Science.

Comme l’explique Futura-Science : « Il est connu depuis fort longtemps que les humains et les animaux se sentent fatigués et sont moins actifs après avoir mangé, mais le rôle joué par le cerveau était encore mal compris. » Selon les chercheurs Denis Burdakov et ses collègues de l’université de Manchester, le glucose peut inhiber les neurones à orexines. Et cet effet inhibiteur du glucose pourrait expliquer pourquoi nous nous assoupissons facilement après nous être restaurés, et pourquoi la faim nous empêche de trouver le sommeil : plus le taux de glucose dans le sang est faible, plus les neurones sont actifs. Bref, la sensation d’assoupissement qui suit les repas est due à la présence d’un fort taux de glucose dans le sang.

Bâiller est un réflexe de notre organisme pour lutter contre la fatigue ou l’ennui. Cela stimule le cerveau. Quand on est fatigué ou quand on s’ennuie, on respire plus lentement et la quantité de gaz carbonique augmente dans le sang. En provoquant une profonde inhalation, le bâillement rétablit donc le niveau d’oxygène dans le sang.

Il existe une autre théorie selon laquelle le bâillement maintient le gonflement des poumons et empêche l’affaissement des alvéoles pulmonaires.

Pourquoi bâille-t-on après un repas copieux ? Les scientifiques ignorent encore le mécanisme neurologique qui entre en jeu et pourquoi le bâillement est contagieux. Une chose est sûre : tout le monde bâille, l’homme et les animaux, des mammifères aux reptiles en passant par les oiseaux. Bâiller est donc un réflexe de notre organisme pour lutter contre la fatigue ou l’ennui. Cela stimule le cerveau. Quand on est fatigué ou quand on s’ennuie, on respire plus lentement et la quantité de gaz carbonique augmente dans le sang. En provoquant une profonde inhalation, le bâillement rétablit donc le niveau d’oxygène dans le sang.

Selon une vaste étude, menée en Grèce, et qui a duré plus de six ans auprès de 23 681 sujets normaux, des chercheurs ont observé que le risque de mourir des suites d’une maladie coronarienne diminuait de 37 % chez les personnes qui pratiquaient quotidiennement la sieste et de 12 % chez celles qui le faisaient sur une base occasionnelle. Il semblerait donc que l’habitude de faire la sieste durant la journée de travail peut aider à contrer les effets du stress chez les travailleurs, ce qui expliquerait la réduction observée du taux de mortalité attribuable aux maladies coronariennes.

Les chercheurs de l’école de médecine de Harvard et de l’université de médecine d’Athènes démontrent, à l’aide de cette étude publiée dans la revue Archives of Internal Medicine, les effets bénéfiques de la sieste au travail. En effet, ceux qui ont la chance de pouvoir faire la sieste occasionnellement voient leur taux de mortalité résultant d’une maladie coronarienne chuter de 12%. Mieux encore, c’est de 37% que les individus faisant la sieste régulièrement, soit au moins trois fois par semaine, voient leur taux de mortalité baisser. Sont concernés par ces chiffres, les hommes actifs. L’étude n’a pas pu faire ressortir de résultats probants pour les femmes.

« Si vous disposez d’un canapé sur votre lieu de travail, allez-y, faites la sieste », conseille le docteur Dimitrios Trichopoulos, l’un des chercheurs de l’étude.

A Lyon, une société vient de se lancer en proposant, à l’heure de la pause, de dormir dans une ambiance ultrazen. Un marchand de sommeil s’installe donc dans un quartier de la Part-Dieu. Cette société, Emanessens, s’adresse aux salariés qui travaillent loin de chez eux, mais ont envie d’une petite sieste à l’heure de la pause. Emanessens leur offre des chambres qui ont été aménagées dans un petit duplex, près des Halles de Lyon. Tout y est prévu pour une sieste, pas coquine, d’une demi-heure précise. Des mules jetables attendent le visiteur dès l’entrée. Des bambous obscurcissent les vitres ; la décoration évoque la nature ; des matières tapissent certains murs et des petites plumes et pétales ornent le chambranle des portes (Libération).

L’Université Harvard a comparé les résultats de tests de concentration et de rétention d’information après 30 et 60 minutes de sieste, c’est la plus petite sieste qui est la plus efficace.

Durée de la sieste

  • ne pas dépasser 15 à 20 minutes, pour éviter de tomber dans un sommeil profond ;
  • un petit truc pour ne pas dépasser : prendre un petit café d’avant de s’allonger, le temps que la caféine devienne efficace : 20 minutes, exactement la durée qu’il faut pour que la sieste soit réparatrice ;
  • faites un test, quand vous sentez un petit mou en début d’après-midi, étendez-vous, vous verrez à quel point quinze à 20 minutes de repos augmentent votre capacité de concentration par la suite.

Connaissez-vous les Yelocabs ? Nicolas Ronco, un Français installé à New-York, a eu l’idée d’aménager au centre de Manhattan un espace spécialement dédié à la sieste, les « Yelocabs ». Guidé par une hôtesse vers l’une des YeloCabs, vous vous allongez sur un siège ergonomique réglable par télécommande. Pour réduire votre rythme cardiaque, il est conseillé de somnoler avec les pieds plus hauts que la tête. Ensuite, pour décompresser, vous réglez la lumière tamisée et la musique de fond (classique ou jazz). 20 ou 40 minutes plus tard, la lumière se rallume tout doucement et vous émergez de dessous votre plaid en cashmere népalais…

Aux USA, le concept de « sieste régénératrice » possède son messie : Bill Anthony, conseiller fiscal, enseignant à la Boston University et auteur de deux livres (« Art of Napping » et « The Art of Napping at Work ») prêche depuis dix ans la légalisation de la sieste en entreprise au nom du confort au travail et de l’accroissement de la productivité !

La sieste peut rapporter gros, selon la National Sleep Foundation, un organisme américain voué à la recherche sur le sommeil. Une sieste au boulot généralisée dans les milieux de travail doperait ainsi l’économie des États-Unis de 18 milliards de dollars par an en gains de productivité. La National Sleep Foundation fait valoir que la sieste stimule l’imagination, la créativité, réduit le risque de maladies cardiovasculaires, facilite la digestion et améliore la productivité. Son slogan : « éveiller l’Amérique à l’importance du sommeil ».

Le quotidien Le Monde rapporte, dans un article intitulé « Qui fait la sieste paie ses dettes », l’expérience menée par le professeur Pierre Philip qui dirige la clinique du sommeil au CHU de Bordeaux. Selon l’éminent chercheur, même dans des pays où la sieste était traditionnelle, comme l’Espagne, le temps accordé pour la pause déjeuner se réduit. « Le paradoxe est que cela se fait au moment où les arguments médicaux en faveur de la pratique de la sieste sont de plus en plus nombreux ».

L’équipe du professeur Philip, à Bordeaux, a pu établir qu’une sieste de trente minutes (ou la prise de café…) divisait par trois le risque de faire une erreur de conduite la nuit (Le Monde du 14 juin 2006). La sieste permet aussi de supprimer les effets de la privation de sommeil sur la sécrétion d’une hormone, le cortisol, et d’une cytokine, l’interleukine 6. Cela se traduit par une amélioration de la vigilance et de la performance.

Le professeur Philip rappelle que : « pour dormir, il faut trois composantes : un réservoir de sommeil, qui se vide pendant l’éveil et se remplit pendant l’endormissement ; une composante chronobiologique, en l’occurrence des plages horaires plus ou moins favorables à l’endormissement ; et enfin notre système d’éveil, qui va nous aider si besoin à rester vaillant malgré l’envie de dormir ».

La préface, que signait le président Jacques Chirac, était destinée au livre de Bruno Comby, polytechnicien, spécialiste de la santé préventive et de la lutte contre le stress : Éloge de la sieste (Édition J’ai Lu). Bruno Comby est né en France à Rochefort sur mer. Il est ingénieur de l’École et ingénieur en génie nucléaire de l’École Nationale Supérieure de Techniques Avancées de Paris. Loin d’être une activité de paresseux, le repos de la mi-journée permet de commencer l’après-midi ressourcé et ainsi de mieux travailler.

L’efficacité d’une sieste serait de 10 à 15 fois supérieure à sa durée, selon le spécialiste français. L’auteur de L’Éloge de la sieste est un partisan de la micro-sieste ou de la sieste-flash. Bruno Comby écrit dans son livre qu’« une sieste de cinq minutes dissout le stress, augmente vos performances physiques et psychiques, et vous fait gagner du temps en réduisant la durée du sommeil de la nuit suivante d’une durée pouvant aller jusqu’à une ou deux heures ».

Tout a commencé en Asie, où la sieste rime avec reconstruction énergétique des capacités physiques et mentales de l’être humain. Les habitants du pays du Soleil Levant ont des semaines très chargées. Ils n’imposent pas la sieste, elle s’impose à eux comme façon de trouver un peu de repos dans leur existence aux rythmes très soutenus. Modèles en matière de productivité, les Asiatiques ont mis la puce à l’oreille des Occidentaux. Depuis plus d’une dizaine d’années, quelques entreprises ont institué des pauses de relaxation. En 1990, Apple avait mis à disposition de ses employés un centre de remise en forme où l’on pouvait faire des petits sommes.

La sieste est la réponse à un besoin biologique qui ne devrait pas être réservé seulement aux jeunes enfants, aux femmes enceintes et aux personnes âgées. Napoléon Bonaparte, Einstein, John F. Kennedy, Winston Churchill, Bill Clinton, Jacques Chirac ont avoué être des adeptes de la sieste.

Bonne sieste.

__________________________________________