mercredi 8 août 2007

Cologne - Les évêques proposent pour chaque mosquée, une église

Monseigneur Walter Mixa est Évêque d’Augsburg et membre de la Commission de liturgie de la Conférence épiscopale allemande. Il s’exprime parfois avec truculence : l’évêque d’Augsbourg constate que, chaque dimanche, en Allemagne, il se trouve davantage de personnes pour aller à la messe, qu’on en trouve le samedi dans les stades de football. Dès le début de son mandat, il avait annoncé qu’un de ses soucis prioritaire serait de chercher à renforcer toujours davantage l’estime des croyants envers la sainte messe.

Monseigneur Mixa, devant certaines initiatives de ses prêtres, n’a pas hésité à les rappeler à l’ordre : « les textes liturgiques ne pouvaient pas être modifiés selon leur bon gré, ou remplacés par des textes littéraires profanes, et ce même si d’aucuns les y poussent, ou le réclament. L’accès à une liturgie non falsifiée constitue un droit pour tout croyant, et chaque prêtre est personnellement le garant de ce droit ».

Il s’était fait remarquer lorsque, en mars dernier, des évêques allemands avaient visité Israël et les territoires occupés. Ils sont revenus bouleversés. Ils avaient alors émis des commentaires qui ont déclenché une salve de protestations. Mgr Walter Mixa avait dénoncé « une situation de ghetto », fondée sur une situation « de racisme ou presque ». Une violente polémique s’en était suivie entre le Conseil central des juifs et la conférence épiscopale allemande.

Dans le quotidien allemand, Rheinische Post, Monseigneur Walter Mixa s’est, tout récemment, opposé au projet de construction d’une grande mosquée à Cologne, car « dans les pays et cultures majoritairement musulmans, les chrétiens n’ont à ce jour quasiment pas le droit d’exister ». Mgr. Walter Mixa soutient que les pays de culture chrétienne sont en droit d’attendre une certaine mesure de réciprocité de la part des pays musulmans : « on serait en droit en Allemagne de dire aux musulmans, en toute amitié : alors justement il n’y a pas lieu d’avoir de grandes mosquées, d’aspect ostentatoire, avec de hauts minarets, car il devrait suffire dans un pays de tradition de culture chrétienne pour les musulmans d’avoir des lieux de prière modestes ». Petite mosquée, grande église, pour chaque mosquée, une église en Orient. D’autres prélats, dont le cardinal de Cologne, Mgr Joachim Meisner, ont également exprimé leur « malaise » devant la construction d’une mosquée gigantesque.

Environ 2,5 millions des habitants en Allemagne sont d’origine turque, sur une population totale de 80 millions. La DITIB (Union turque islamique des affaires théologiques), la plus importante organisation islamique en Allemagne, a été créée en 1984 et elle dépend du Ministère des affaires théologiques de l’État turc. Elle regroupe 860 associations et environ 140 000 membres. La DITIB veut construire à Cologne une nouvelle mosquée dotée de deux minarets de 55 mètres de haut, d’une coupole de verre de 34 m, et d’une capacité de 2000 personnes. Ce projet, dont la construction est estimée à 14,5 millions d’euros, suscite un vif débat au sein de la communauté : située dans la banlieue de Cologne, plus précisément à Ehrenfeld, la future mosquée devrait remplacer le hangar dont disposent actuellement les musulmans de la ville pour faire leur prière. Sur une surface totale de 22 000 m², le projet devrait, s’il voit le jour, comporter la mosquée ainsi qu’un centre culturel et commercial. L’installation de plusieurs vitres en verre, de grande dimension, est prévue afin que l’on puisse voir ce qui se passe à l’intérieur. Les lieux devraient accueillir jusqu’à 4000 personnes.

Le droit allemand ne prévoit pas d’opposition lorsque les maîtres d’oeuvre possèdent une autorisation de construction. Toutefois, le parti d’extrême droite, Pro Cologne, s’oppose ferme, lui qui détient 5 des 90 sièges du conseil municipal. Il a déjà récolté 23 000 signatures contre le projet.

Nikola Tietze, sociologue au Hamburger Institut fur Sozialforschung, explique les débuts de cette polémique : « Le débat s’est élargi lorsqu’un intellectuel, Ralph Giordano (plutôt du centre, politiquement) est intervenu. Il a pris l’exemple de la construction de la mosquée pour critiquer l’islam en général et surtout pour exprimer son dégoût à propos des vêtements des musulmanes. Il les a qualifiées de “pingouins.” A partir de là, d’autres intellectuels (qui ne connaissent pas vraiment la situation à Cologne) sont intervenus, entre autres une sociologue, Necla Kelek qui est connue pour ses positions critiques sur l’islam. La discussion s’est par conséquent éloignée du problème local et concerne aujourd’hui des questions sur la place de l’islam en général en Allemagne ».

Nikola Tietze poursuit : « Avant la réforme du code de la nationalité (lorsque les musulmans étaient en général des étrangers), en 2000, les représentants des Églises chrétiennes ont plutôt soutenu les organisations islamiques dans leurs revendications de droits religieux. Mais depuis un certain temps, (peut-être à cause du fait que les musulmans sont au moins potentiellement aussi allemands que les Chrétiens, ou peut-être à cause du 11 septembre et le choc qu’une partie des terroristes vivaient en Allemagne), les représentants des Églises accentuent les différences envers les organisations islamiques, voire revendiquent des privilèges par rapport aux musulmans. Des privilèges qu’ils fondent sur leur ancienneté et leur poids culturel ».

Cécile de Corbière, correspondante du Figaro, confirme cette tendance : « Non sans mal, l’Allemagne prend conscience que les « travailleurs invités » venus contribuer à la reconstruction du pays dans les années 1950, s’installent durablement. Sur plus de 80 millions d’habitants, le pays compte désormais 15 millions de personnes d’origine étrangère, dont 2,5 millions d’origine turque. À l’occasion du premier sommet sur l’intégration, l’année dernière, la chancelière Angela Merkel avait qualifié son pays de « terre d’immigration », une réalité longtemps ignorée. Les querelles provoquées par le projet de mosquée à Cologne en sont un signe ».

Mgr Joachim Meisner, cardinal de Cologne, comme Monseigneur Mixa, considère que : « la Turquie devrait donner plus de droits à sa minorité chrétienne si les immigrés turcs de Cologne pouvaient ajouter un dôme et deux hauts minarets à l’horizon de la ville ». L’association islamique turque DITIB, par la voix de son représentant, Bekir Alboga, a accusé les autorités chrétiennes de diaboliser la communauté musulmane afin d’attirer de nouveaux fidèles dans leurs églises, qui se vident peu à peu. « Le débat sur l’islam en Allemagne a pris une nouvelle dimension », note l’hebdomadaire Die Zeit. « Reconnaître la légitimité de la présence de l’islam en Allemagne n’a pas marqué la fin, mais le commencement d’un conflit culturel ».

Dans le quartier d’Ehrenfeld, où il habite depuis des années, Günter Wallraff croit, relate le quotidien Le Monde, que le projet peut contribuer au dialogue des cultures. Wallraff est l’auteur de Tête de Turc, une enquête sur les immigrés venus travailler en Allemagne dans les années 1980. « Dans toute mon œuvre, dans toute ma vie même, je me suis battu pour une meilleure intégration des immigrés », affirme-t-il. Aujourd’hui, il veut « prendre au mot » les musulmans d’Allemagne quand ils affirment être modernes. Ainsi il propose, « pour lancer un débat », de lire à l’automne dans des locaux de l’actuelle mosquée des extraits des Versets sataniques, de Salman Rushdie, qu’il a hébergé à plusieurs reprises après qu’une fatwa a été lancée contre lui. « Ce n’est pas un sacrilège », se défend-il. « Cela pourrait marquer le début d’un islam européen ».

Demain 9 août 2007, les opposants à la grande mosquée de Cologne, regroupés sous le parti d’extrême droite, Pro-Köln, entendent bien s’inviter à la réunion du conseil municipal consacrée au projet qui agite la capitale rhénane où vit l’une des plus grandes communautés turques d’Allemagne. « Montrons aux dirigeants de notre ville ce que nous pensons de leur prestigieux projet de multiculturalisme ! Mettons un terme à cette folie ! », clament-ils haut et fort. Ce parti compte cinq élus à la municipalité. Il a reçu le soutien du parti d’extrême droite autrichien FPÖ pour mener campagne.


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