lundi 6 août 2007

« En Irak, nul ne sait qui vous tuera », craignait le capitaine de l’équipe de football irakienne

Chronique d’une banalité ! Avis au lecteur. Je sens que je serai banal aujourd’hui. Je vais prendre à mon compte cette constatation d’Emil Michel Cioran : « Ce qui est fâcheux dans les malheurs publics, c’est que n’importe qui s’estime assez compétent pour en parler ». Qui relaiera cette insupportable banalité de la vie quotidienne en Irak ? Lire l’actualité n’est pas la vivre mais écrire peut aider à vivre.


C'était hier, ou presque : « Nous ne sommes pas sunnites, nous ne sommes pas chiites, nous sommes unis ». Des centaines de supporters de l'équipe d'Irak championne d'Asie ont chanté ce refrain à l'arrivée des joueurs à Amman, en Jordanie, dernière étape avant leur retour à Bagdad. Victoire qui aurait pu être l'occasion d'un rare moment d'union en Irak où tous les partis ont salué l'événement historique. Le gardien du but, Nour Sabri, avait exprimé sa « joie d'avoir rendu le sourire à chaque irakien et irakienne ». Benoit XVI s'était personnellement dit ému par la victoire de l'Irak face à l'Arabie Saoudite en finale de la Coupe d'Asie dimanche dernier. Pour récompenser l'Irak de sa victoire, l'émir de Dubaï, Cheikh Mohammad ben Rached Al-Maktoum, aurait offert quatre millions d'euros aux joueurs irakiens pour leur performance exceptionnelle. L'émir voulait souligner « la capacité du peuple irakien à affronter l'adversité, un exemple de la manière de se dévouer pour sa nation ».


Sport et politique font rarement bon ménage : si l'équipe de football d'Irak était attendue vendredi à Bagdad pour fêter parmi les siens sa victoire historique en Coupe d'Asie des Nations, sept joueurs ont manqué à l'appel, déchirés par les violences. Nachat Akram, Hawar Mullah Mohammed et le capitaine Younès Mahmoud sont restés dans la capitale des Émirats arabes unis (Abou Dhabi) afin de signer des contrats professionnels avec les clubs des Emirats. Quatre autres joueurs se sont également absentés : Qousay Mounir, Haider Abdel-Amir ainsi que Ahmed Mnajed et Saleh Sadir. « J'aimerais rentrer à Bagdad pour fêter ça, mais qui protègera ma vie ? », s'est demandé le capitaine Younès Mahmoud. « En Irak, nul ne sait qui vous tuera », avait-il lancé. Vieux proverbe chinois : Quand mille personnes prennent la route, il en faut une pour prendre la tête. Pour une fois que le pays ne parlait que d’une voix, rare symbole d'unité nationale composée de chiites, sunnites et kurdes !


Le Capitaine Younès Mahmoud n’a jamais su si bien dire. L’Orient Le Jour relate en quelques mots la douleur d’un père irakien : « Donnez-moi un fusil, je veux me tuer » : le cri déchirant de douleur d’un père éploré. Mahmoud Wagaa est âgé de 65 ans. Son petit garçon de 8 ans lui aussi est au désespoir : « Je veux être le sixième. Je ne veux plus vivre ». Le père raconte le drame : « Mes fils rentraient à la maison lorsque des hommes armés les ont arrêtés et mis dans un cabanon. Il y avait des voix de femmes et d’enfants non loin », raconte le père, rapportant les propos de son fils Abdallah. « Ils les ont attachés et fouettés. Quelques heures plus tard, ils ont appelé pour exiger une rançon les accusant d’être de connivence avec le gouvernement fantoche », dit-il en posant les yeux sur son jeune fils terrorisé. « Les hommes armés nous ont attrapés hier et ont tué quatre de mes frères. Ils ont emmené mon autre frère, je ne sais pas où », raconte Abdallah.


Le petit Abdallah était retrouvé par la police accroupi à côté des dépouilles de quatre de ses frères baignant dans leur sang. Le cinquième, découvert plus tard, avait été, comme les autres, abattu d’une balle dans la tête.


Les frères Wagaa n’étaient ni soldats, ni policiers, ni même combattants rebelles. Ils étaient peintres et décorateurs, vivant de petits contrats obtenus auprès du gouvernement d’abord à Mossoul, leur ville d’origine, puis à Kirkouk.


Le petit Abdallah et son père crient maintenant vengeance : « Je jure au nom du ciel et de la religion : je ne trouverai jamais le repos et le sommeil avant d’avoir vengé moi-même mes fils, de ceux qui empoisonnent l’islam et tuent les Irakiens en raison de leur appartenance communautaire », hurle-t-il.


De ce côté-ci des frontières irakiennes, les actualités n’en ont que pour les violences et les morts. Le mois d'août commence donc par une journée particulièrement meurtrière en Irak : 142 personnes ont été tuées ou retrouvées mortes à travers le pays, dont près de la moitié (70) dans la seule capitale Bagdad. C’est presque devenu une banalisation : « Les violences se poursuivent dans le reste du pays, au lendemain d'attentats ayant fait plus de 80 morts et 100 blessés dans la capitale, selon un nouveau bilan ». Même les statistiques ne surprennent plus. Nous n’éprouvons plus de frémissement d’horreur devant l’étalage des morts et des blessés, comptabilisés en données statistiques.


Quelques événements peuvent parfois nous tirer de la grisaille. Le soldat américain de seconde classe, Jesse Spielman, 22 ans, était en 2006 en Irak. Pour défendre la liberté. Il aurait participé aux préparatifs de l'attaque contre une famille irakienne alors que les soldats buvaient du whisky et jouaient aux cartes. Il aurait fait le guet lors des faits. Une cour martiale vient de le reconnaître coupable du viol et du meurtre d'une jeune Irakienne âgée de 14 ans, Abeer Kassem Hamza al-Janabi. Le groupe de cinq militaires dont faisait partie Spielman avait, en mars 2006 à Mahmoudiya, au sud de Bagdad, assassiné un père de famille, sa femme et sa fille de 6 ans. Deux des soldats, Cortez et Barker, ont reconnu avoir violé la jeune fille et ont expliqué que Steven Green, 22 ans, le meneur du groupe, avait abattu sa petite sœur et ses parents. Il avait alors violé la sœur aînée avant de la tuer. Les soldats ont ensuite arrosé le corps d'essence et y ont mis le feu afin de dissimuler leur acte. Green a été radié des cadres de l'armée pour « troubles de la personnalité ». Il doit être jugé par un tribunal civil et encourt la peine de mort.


Chris Hedges et Laila Al-Arian sont journalistes au magazine The Nation. Ils ont interviewé, dans un grand reportage, The Other War: Iraq Vets Bear Witness, une cinquante vétérans qui ont combattu dans la guerre d'Irak, originaires de tous les États-Unis, afin de connaître l'impact de quatre ans d'occupation sur les citoyens irakiens moyens. Le site canadien Mondialisation en propose une version française : « L'autre guerre : des vétérans d'Irak témoignent ».


Les auteurs ont constaté que, selon les vétérans, la culture de cette guerre anti-insurrectionnelle, dans laquelle la plupart des civils irakiens sont présumés hostiles, empêchait les soldats de sympathiser avec leurs victimes - du moins jusqu'à leur retour aux USA, quand ils ont pu réfléchir. « Je crois que quand j'étais là-bas, l'attitude générale était qu'un Irakien mort, c'est juste encore un Irakien mort, dit le caporal Jeff Englehart, qui a été affecté en février 2004 à la 1ère division d'infanterie à Baquba, pendant un an. Vous savez, et alors ? Les soldats croyaient honnêtement que nous étions en Irak pour essayer d'aider les gens, et ils étaient furieux de se sentir presque trahis. Tu vois, nous sommes ici pour vous aider, me voici, tu vois, à des milliers de miles de chez moi, en train d'essayer de vous aider, et vous essayez de nous tuer. Ce n'est qu'une fois rentrés chez nous que la culpabilité, alors, s'enracine vraiment ».


Une photo, parmi des douzaines confiées au Nation, montre un soldat américain faisant semblant de manger, avec sa petite cuillère réglementaire en plastique marron, la cervelle répandue d'un Irakien tué. « Prends une photo de moi et de cet enculé, a dit un soldat de l'escouade en mettant le bras autour d'un cadavre. Mejia se souvient que le tissu recouvrant le corps avait glissé, révélant que le jeune homme ne portait qu'un pantalon et qu'il avait été tué d'une balle dans la poitrine. « Merde, ils t'ont vraiment amoché, hein ? » rigola le soldat.


Des cadavres de 17 Irakiens, dont des femmes et des enfants, ont été découverts la semaine dernière dans une fosse commune dans la province de Diyala, au nord de Bagdad. Le mois de juillet aura été particulièrement meurtrier, avec 1.652 civils tués contre 1.241 en juin (+ 33 %), selon les ministères de la Défense et de la Santé irakien.


Le Courrier international titre : « Le gouvernement risque de s’effondrer » : Le retrait, le mercredi 1er août, des ministres du principal bloc sunnite irakien fragilise le gouvernement de Nouri Al-Maliki déjà affaibli par les critiques qui fusent de toutes parts. Le Front de la Concorde compte cinq ministres et occupe 44 des 275 sièges au sein du Parlement. Les ministres du Front avaient entamé en juin un boycottage du gouvernement pour protester contre un mandat d'arrêt lancé contre un des leurs, soupçonné d'avoir fomenté une attaque contre un député sunnite début 2005. Le bloc avait posé un ultimatum d'une semaine au cabinet du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki menaçant de le quitter. Il exigeait la cessation des raids et campagnes d'arrestations menés par des milices chiites alliées à la coalition de M. Maliki contre les localités sunnites.


Ils ont annoncé leur démission « au moment où la secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice, et le ministre de la Défense, Robert Gates, entamaient leur tournée dans la région afin de convaincre les États arabes de soutenir le Premier ministre irakien », constate l'éditorialiste d'Al-Quds Al-Arabi. Georges Bush a, pour sa part, averti le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki : « Le peuple irakien et le peuple américain ont besoin de voir des actions, et non de simples paroles, mais ont besoin de voir des actions sur le front politique ».


Le Danemark vient de mettre fin à quatre années de présence militaire en Irak, une période pendant laquelle six de ses soldats ont trouvé la mort. Cette intervention avait été très controversée dans le pays. Aujourd’hui, 57 % de la population seraient favorables à de nouvelles interventions à l'étranger, mais seulement sous l'égide de l'ONU. À ce propos, la Mission d’assistance de l’ONU, en Irak (Manui), expire le 10 août.


Les États-Unis et la Grande-Bretagne font circuler au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution pour que le représentant spécial de l'ONU en Irak et la Manui puissent notamment, « si les circonstances le permettent », apporter « conseil, soutien et assistance » au gouvernement irakien dans les domaines politique, électoral, constitutionnel, juridique, économique, ainsi qu'en matière de retour et de réintégration des réfugiés et de promotion des droits de l'Homme. L’agence américaine Associated Press s’est procuré une version de travail selon laquelle l’ONU aurait aussi pour mission de « faciliter le dialogue entre les régions en gérant les problèmes de sécurités aux frontières, d’énergie et de réfugiés », de promouvoir le respect des droits de la personne et une réforme de la loi, et d’aider à l’organisation d’un recensement. A juste titre, l'ONU demeure très préoccupée par la sécurité en Irak, depuis la mort de 22 fonctionnaires onusiens, dont le représentant spécial, le Brésilien Sergio Vieira de Mello, le 19 août 2003, à Bagdad.


Aux États-Unis, l’Irak est gérée à coups de lois et de vétos. Cette fois-ci, la Chambre des représentants vient de voter un texte garantissant aux soldats américains, engagés en Irak, de plus longues plages de repos entre leurs missions, une nouvelle tentative des démocrates pour avancer vers un retour des troupes d’occupation. George W. Bush a menacé d’opposer son veto à cette mesure adoptée par 229 voix contre 194. Et le constat se fait amer : « D’une certaine manière, nous avons probablement sous-estimé la profondeur de la méfiance entre les communautés irakiennes et la difficulté pour elles à se rassembler », a déclaré au Moyen-Orient le secrétaire à la Défense Robert Gates. Ce dernier reconnaît volontiers des lacunes dans la stratégie américaine en Irak. Un sondage de l’Institut Pew montre, une fois de plus, que plus de 60% des Américains soutiennent l’idée d’un retrait des troupes d’occupation.


La guerre en Irak pourrait coûter à la fin bien plus de 1 000 milliards de dollars, selon une nouvelle analyse officielle américaine. C'est au moins le double de ce qui a déjà été dépensé, indique le rapport mis au point par le Bureau non partisan du Congrès chargé du budget CBO. Le coût de la guerre en Irak et d'autres opérations militaires a augmenté « à tel point que nous dépensons aujourd'hui dans ces activités plus de 10 % de l'ensemble des fonds gouvernementaux annuels », selon Robert A. Sunshine, directeur assistant du CBO pour l'analyse du budget. En 2003, Lawrence Lindsey, un des principaux conseillers budgétaires de Bush, avait estimé à 200 milliards de dollars le coût total des opérations. Il avait, plus tard, été limogé.


L'office indépendant GAO, chargé des audits pour le Congrès, a, la semaine dernière, révélé que le gouvernement américain n'est pas en mesure de dire ce que sont devenues quelque 190.000 armes distribuées aux forces de sécurité irakiennes en 2004 et 2005. Selon le rapport, l'armée « ne peut pas complètement dire ce que sont devenus les 110.000 fusils d'assault de type AK-47 (kalachnikov), 80.000 pistolets, 135.000 équipements de protection et 115.000 casques comptabilisés comme ayant été remises aux forces irakiennes ». Ces armes ont disparu des statistiques entre juin 2004 et septembre 2005, alors que l'armée travaillait à la refondation des forces armées irakiennes. Depuis 2003, les États-Unis ont financé à hauteur de 19,2 milliards de dollars (environ 14 milliards d'euros) les forces irakiennes, dont 2,8 milliards de dollars (2 milliards d'euros) pour leur équipement. Et dire que les Américains accusent régulièrement les États étrangers, tels que l'Iran, d'alimenter en armes les milices clandestines en Irak. Le mois dernier, la Turquie par exemple s'inquiétait du fait que des militants séparatistes kurdes depuis le nord de l'Irak utilisaient des armes destinées aux forces de sécurité irakiennes.


L'Iran, l'Irak et les États-Unis discuteront ce lundi des « détails d'un comité de sécurité trilatéral », a expliqué, au cours du week-end, l'ambassadeur Hasan Kazemi Qomi. Cette rencontre, la troisième depuis la réunion historique du 28 mai, vise la création du comité sur la sécurité en Irak qu'ils sont convenus de mettre en place le mois dernier. Selon l'Iran, les discussions porteraient notamment sur « la composition et les objectifs du comité de sécurité ». Les États-Unis accusent toujours l'Iran d'aviver les tension Irak en encourageant les militants et Téhéran réfute toujours ces accusations.


D’un côté, l’armée perd le contrôle des armes, de l’autre, elle en réexpédie de nouvelles en franchissant un pas supplémentaire dans la militarisation des robots, puisque quelques exemplaires du robot SWORDS équipés d'armes à feu automatiques seront bientôt en sol Irakien pour y être testés dans un environnement de combat urbain. Selon Wired, les problèmes de sécurité auraient été résolus, notamment en cas de perte de contrôle du robot.


Vaut mieux tard que jamais : l'Australie va envoyer une équipe de six personnes qualifiées, avocats, d'enquêteurs et autres membres du personnel juridique, en Irak pour contribuer au renforcement du système juridique du pays, ont annoncé jeudi des autorités australiennes. Les membres de l'équipe formeront leurs homologues locaux pour que le système juridique soit en mesure de juger rapidement, avec justice, et selon la loi irakienne, les accusés poursuivis pour des faits graves tels que des meurtres, des viols, des enlèvements et des actes terroristes, ont précisé autorités australiennes. « Renforcer la capacité du secteur juridique irakien est un élément essentiel de la construction d'un Irak stable et démocratique, capable de se gouverner et de se protéger lui-même », ont affirmé le ministre des Affaires étrangères, Alexander Downer, et le ministre de la Défense, Brendan Nelson.


L'intellectuel canadien, Michael Ignatieff, a, un jour, quitté son prestigieux poste de professeur à Harvard pour se lancer en politique canadienne. Il a perdu la course à la chefferie libérale. Il n’est plus que simple député. Cela ne l’empêche pas de réfléchir. Il avait en 2003 approuvé la décision de Georges W. Bush d’envahir l’Irak et de chasser le tyran. Il vient de publier son mea culpa : « La leçon que je retiens pour l’avenir est d’être moins influencé par les gens que j’admire - les exilés irakiens, par exemple - et moins entraîné par mes émotions. Je suis allé dans le nord de l’Irak en 1992. J’ai vu ce que Saddam Hussein avait fait aux Kurdes. Dès lors, j’ai cru qu’il devait partir… J’ai laissé mes émotions me transporter au-delà des questions difficiles : les Kurdes, les sunnites et les chiites peuvent-ils maintenir par la paix ce que Saddam Hussein a maintenu par la terreur? » (Cyberpresse, 5 août 2007)


L'acteur américain Martin Sheen a affirmé être toujours opposé à la guerre américaine contre l'Irak « qui emporte des innocents et laissent des handicapés de toutes sortes ». « Le peuple américain commence à voir clair l'image de l'arrogance de l'administration américaine », a fait noter M. Sheen qui visite en Syrie un ami qui est le chef de la mission archéologique américaine qui entreprend des fouilles au site de Tall Mozane à Hassaké. « La guerre contre l'Irak a ouvert sur nous, les Américains, les feux de l'enfer. Nous, Américains, nous nous détruisons », a déploré l'illustre acteur américain dans un entretien au correspondant de SANA à Hassaké (nord-est de Syrie), avertissant que cette guerre a provoqué une catastrophe humaine.


Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple, écrivait Jean Giraudoux. Quelques mensonges aussi.