L’annonce, ce dimanche, d’une relance du processus de réconciliation en Irak survient alors que G. W. Bush fait face aux pressions du Congrès américain pour qu’il force le premier ministre irakien Nouri al-Maliki à agir pour réduire les tensions et violences confessionnelles. Les dirigeants chiites, sunnites et kurdes d’Irak se sont engagés à relancer le processus de réconciliation nationale en acceptant de résoudre les problèmes clé qui les opposent. Cet accord porterait notamment sur la possible réintégration des anciens membres du parti Baas, au pouvoir sous Saddam Hussein, au sein de la fonction publique et de l’armée.
Aujourd’hui, mardi et mercredi, nous passerons en revue les relations de l’Irak avec les États-Unis, avec l’Iran, avec la Syrie et avec la Russie. Bien évidemment, l’actualité risque de précéder notre analyse et d’en modifier certaines observations. Je prie le lecteur de prendre ce fait en considération.
Le républicain John Warner, sénateur de Virginie et membre de la commission du Sénat sur les forces armées demande au président américain George W. Bush d’annoncer un plan de retrait des troupes américaines d’Irak le 15 septembre, lors de la publication d’un nouveau rapport sur la situation en Irak : « Je dis respectueusement au président choisissez n’importe quel nombre (…) mais, dans les quelque cent soixante mille [soldats américains déployés en Irak]. Disons 5 000 soldats ! Ils pourraient commencer leur retrait et être à la maison avec leurs familles pas plus tard qu’à Noël cette année. Ça, c’est un premier pas ». « C’est le président, pas le Congrès, qui doit établir un calendrier de retrait », a-t-il dit. Le sénateur Warner vient de se rendre en Irak avec le sénateur démocrate Carl Levin, président de la Commission. Son retour coïncide avec la publication d’un rapport des services de renseignement américains pointant le risque de « précarisation » accrue du gouvernement du Premier ministre irakien Nouri al Maliki dans les prochains mois. M. Warner, particulièrement indisposé par ce qu’il a vu à Bagdad, compte parmi les hommes politiques influents à Washington. Engagé volontaire durant la Seconde Guerre mondiale puis durant la guerre de Corée, ce que dit ou ce que croit John Warner ne peut être ignoré à Washington. Sa prise de position risque surtout de peser lourd sur le camp des républicains. John Warner se dit persuadé qu’une telle initiative enverrait le message au gouvernement de Bagdad que l’engagement américain en Irak n’est pas illimité.
Réaction prévisible de la Maison Blanche : elle rejette poliment le conseil de M. Warner se réfugiant derrière le calendrier qu’aucune décision ne serait prise avant la publication du rapport du général Petraeus qui doit évaluer le 12 septembre prochain, devant le Congrès, la situation en Irak depuis le déploiement de quelque 30 000 soldats américains supplémentaires. Beaucoup d’attentes entourent ce rapport. S’agissant du républicain, John Warner, il est intéressant de rappeler que Georges W. Bush avait évité de justesse une humiliation, en mai dernier, lorsque l’influent sénateur avait proposé un amendement qui stipulait que le gouvernement irakien devait respecter un certain nombre de critères pour obtenir le maintien des troupes américaines dans le pays. Amendement qu’avait rejeté le Sénat.
Los Angeles Times lui révèle une autre mauvaise nouvelle : selon les informations du quotidien, le chef de l’état-major de l’armée américaine, le général Peter Pace, s’apprêterait à recommander au chef de l’État de réduire ses troupes en Irak de près d’un tiers et ceci à partir de l’année prochaine. Bien évidemment, cet avis du général Pace n’est pas sans produire une forte valeur symbolique : les préoccupations des officiers généraux de l’état-major, de moins en moins convaincus par le bien fondé de la stratégie des États-Unis en Irak, vont dans le même sens.
À Washington, la question républicaine n’est plus de sauver l’Irak mais bien de s’interroger sur « comment ne faudrait-il pas quitter le navire Bush pour limiter l’ampleur de la défaite électorale annoncée pour 2008 ? ». Plusieurs républicains et démocrates en sont arrivés à se demander si la solution n’est pas double : le sénateur Warner a ajouté ne pas vouloir aller « aussi loin » que son collègue démocrate du Michigan, Carl Levin, qui avait appelé purement et simplement au remplacement de Al-Maliki. Retirer un contingent de 5000 soldats, sans exiger pour l’instant le départ d’Al-Maliki, constituerait aux yeux de John Warner un signal suffisant qui aiguillonnerait le gouvernement irakien et l’inciterait à faire davantage d’efforts en vue de la réconciliation nationale.
Lors du récent débat télévisé de 90 minutes, le 19 août dernier, les huit candidats démocrates pour la présidentielle de 2008 avaient exprimé le désir de mettre fin à la guerre en Irak sans toutefois parvenir à éliminer leurs divergences d’approche sur la manière de retirer rapidement les troupes américaines et sur le nombre de « G.I. » qui doit rester en Irak. Dennis Kucinich, représentant de l’Ohio et l’ancien sénateur de l’Alaska, Mike Gravel, ont proposé un retrait immédiat. « Il faudrait un certain temps », soutient Hillary Clinton, sénatrice de New York. Joseph Biden, sénateur du Delaware, estime qu’un « retrait imprudent » risquerait de provoquer des divisions en Irak ainsi qu’une guerre régionale alors que Barack Obama, sénateur de l’Illinois, s’est, pour sa part, prononcé pour un « retrait en ordre et graduel ». Dans son cas, le sénateur rencontrerait les dirigeants des pays dits « voyous » et enverrait des troupes au Pakistan, si la présence du leader d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, était avérée. Cette position du sénateur Obama en avait fait sursauter plus d’un, dont la sénatrice Hillary Clinton.
George W. Bush et le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, partagent bien différemment leurs deux solitudes. George Bush, malgré un instant d’hésitation au Sommet de Montebello, persiste et signe : il s’est exprimé devant d’anciens combattants à Kansas City et réaffirmé son soutien au Premier ministre irakien. La démocrate Hillary Clinton pousse Nouri al-Maliki au départ. Elle appelle le Parlement irakien à nommer une personnalité qui créé moins de divisions entre Chiites et Sunnites : « Je partage l’espoir du sénateur Levin que le parlement irakien remplace le Premier ministre Maliki par une personnalité moins controversée et plus unificatrice lorsqu’il retournera en session dans quelques semaines ». Al-Maliki est furieux : « Hillary Clinton et Carl Levin sont des démocrates et devraient respecter la démocratie. Ils parlent de l’Irak comme s’il s’agissait de leur propre bien ».
Le Premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki, se sentant de plus en plus abandonné par les américains, vient d’apprendre que la France le lâche également : le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, suggère maintenant, dans un entretien à l’hebdomadaire américain Newsweek, la démission de Nouri al Maliki. « Je viens d’avoir Condoleezza Rice (la secrétaire d’Etat américaine) au téléphone (…) et je lui ai dit : écoutez, [Maliki] doit être remplacé ». La riposte est venue rapidement : « Par le passé, vous avez soutenu l’ancien régime (de Saddam Hussein). Aujourd’hui nous étions satisfaits [de la visite française en Irak] et c’est le moment que vous choisissez pour apporter votre soutien aux partisans de l’ancien régime. Nous exigeons des excuses du gouvernement français ». Abandonné, al-Maliki n’a d’autre choix que de se tourner vers l’Iran et la Syrie. Lors de sa visite à Damas, le premier ministre s’est braqué devant les critiques des États-Unis : personne n’était autorisé à lui fixer des échéances. Selon lui : « c’est au peuple d’Irak de changer de gouvernement, ce n’est pas l’affaire de politiciens des États-Unis ». Ce refrain a été repris par le président américain lui-même : « ce n’est pas aux politiciens de Washington de décider s’il doit rester à son poste », a dit M. Bush devant d’anciens combattants à Kansas City. Cette décision revient « au peuple irakien, qui vit aujourd’hui en démocratie et non en dictature ». Pour rappel, monsieur Bush n’a pas été aussi généreux avec le gouvernement élu de Palestine.
Nouri Al-Maliki multiplie les mauvaises fréquentations, aux yeux de plusieurs observateurs de Washington : pendant qu’il s’entretient avec le président Bachar al-Assad, à Damas, Mahmoud Ahmadinedjad fait savoir, de Téhéran, qu’il accepte l’invitation du Premier ministre de visiter Bagdad prochainement. Rien pour décrisper l’Amérique. D’où la violente riposte du sénateur Levin : « J’espère qu’à son retour de vacances, le Parlement chassera le gouvernement Maliki et le remplacera par une équipe non sectaire et unificatrice ».
Maliki a perdu 17 de ses 37 ministres et n’arrive pas à rallier les sunnites. À ce rythme, le gouvernement irakien ne sera plus, bientôt, que l’ombre de lui-même. Au Kurdistan, Masoud Barzani et Jalal Talabani se querellent sur la loi du pétrole tant souhaitée par les États-Unis. Georges Clemenceau disait après la Première guerre mondiale : « Désormais, une goutte de pétrole a la valeur d’une goutte de sang ». « Les Britanniques ont été défaits », clame, dans un élan de victoire, le chef chiite Moqtada Sadr. Ce que nie bien évidemment Londres. « Maliki ne gouverne rien », disait récemment à La Presse Mokhtar Lamani, ex-envoyé de la Ligue arabe en Irak. « Son remplaçant héritera du même chaos », ajoutait-il, « à moins que toutes les parties définissent ensemble de nouvelles règles de jeu pour repartir à neuf ». « Un type bien », disait d’Al-Maliki Georges W. Bush à Kansas City la semaine dernière.
Du même souffle, le président américain a présenté un nouvel argument, qui en a surpris plus d’un, pour appuyer sa ténacité à ne pas quitter l’Irak : « Les idéaux et les intérêts qui ont conduit l’Amérique à aider les Japonais pour transformer la défaite en démocratie sont les mêmes qui nous conduisent à rester engagés en Afghanistan et en Irak ». Citant en exemple la Corée du Sud, Georges W. Bush maintient que : « Le résultat du sacrifice et de la persévérance américains en Asie est un continent plus libre, plus prospère et plus stable dont la population veut vivre en paix avec l’Amérique, pas attaquer l’Amérique ». Il a ainsi demandé aux Américains de reprendre confiance.
Selon un sondage de l’institut Pew, réalisé en juin dernier dans 47 pays, « depuis cinq ans, l’image des États-Unis s’est ternie auprès de la majeure partie des pays du monde et s’est dégradée considérablement chez les alliés traditionnels des États-Unis, dans les Amériques, au Moyen-Orient et ailleurs ». La Turquie établit un record avec 83 % d’opinions défavorables. En France, 76 % des personnes interrogées désapprouvent « les idées américaines de la démocratie », selon Pew, qui a sondé un total de 45 000 personnes. Des scores presque similaires sont enregistrés en Allemagne, en Espagne, au Pakistan. Seule l’Afrique noire a globalement une vision positive des États-Unis et rares sont les pays qui ne se réjouissent pas de l’humiliation subie en Irak par la superpuissance. « Tout le monde ne peut pas nous aimer, mais il ne faut pas non plus que tout le monde nous haïsse», rappelait, le mois dernier, la candidate Hillary Clinton à un partisan qui lui faisait remarquer que les États-Unis « ne sont plus la puissance mondiale qu’ils ont été ». Les Américains ont également perdu la foi puisqu’ils sont désormais 65 pour cent à désapprouver les actions de leur président, George W. Bush. (Le Devoir, Montréal, Édition du 18 et 19 août 2007).
À Washington, le président américain devrait peut-être réfléchir sur cette remarque du ministre des Affaires étrangères de la France, Bernard Kouchner, lors de sa visite à Bagdad, au Premier ministre Al-Maliki : « Notre but était modeste, donc il a été atteint ».
La deuxième partie, demain, mardi.
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