La station balnéaire de la mer Baltique (nord-est), Heiligendamm, transformée pour l'occasion en véritable camp retranché, accueille, aujourd'hui, le G8, toute protégé par une barrière métallique de 12 km de long et quelque 16.000 policiers. La question du réchauffement climatique, dont l'Allemagne a fait sa priorité pour ce sommet, promet de donner lieu à d'âpres échanges. Nicolas Sarkozy, dont c'est la première rencontre au G8, a quant à lui appelé à adopter « des objectifs chiffrés » de lutte contre le réchauffement climatique. George W. Bush veut ouvrir un nouveau cycle de négociations avec les grandes économies mondiales sur des objectifs de lutte contre le réchauffement, mais hors du cadre de l'ONU. Un sommet parallèle réunira, autour de huit podiums de discussions et de 120 ateliers, les organisations anti-G8.
Quelle sera l’issue de ce sommet ? Un bouclier de discordes plane au-dessus du G8. Les grandes puissances pourront-elles dialoguer avec, en arrière-plan, l’aménagement d’un système américain de défense « antimissiles » en Europe ?
Depuis quelques semaines, les grands ne sont pas aux devoirs à accomplir dans le cadre du G8. Ils se chicanent plutôt sur un bouclier. Derrière l’ancien rideau de fer, les couteaux volent bas. Le premier ministre polonais, Jaroslaw Kaczynski, vient de le démontrer à l’égard de l’ex-grand frère, Moscou. Au sujet du déploiement d'un système américain de défense « antimissiles » en Europe, le président Poutine avait déclaré dans une interview accordée aux journalistes des pays membres du G8 que les missiles russes auraient de nouvelles cibles en Europe si une partie du potentiel nucléaire stratégique américain apparaissait sur le continent européen et si elle représentait une menace pour la Russie. M. Kaczynski, cité par l'agence Reuters, trouve ces propos semblables aux discours des dirigeants soviétiques datant de la guerre froide : « Ce langage n'a jamais été tenu par Eltsine, ni par Gorbatchev, ni même par Brejnev. C'est le langage de Khrouchtchev. Il y a longtemps qu'un conflit aussi aigu n'avait pas éclaté en Europe, ni dans le monde. C'est une question très sérieuse, car les paroles, en politique, doivent être prises au sérieux ».
Il est important de remettre en contexte les déclarations de Kaczynski. La Pologne s'apprête à accueillir sur son territoire des éléments du système américain de défense « antimissiles ». En effet, pour rappel, les États-Unis veulent installer dix missiles intercepteurs en Pologne et un radar ultra-perfectionné en République tchèque dans le cadre de leur projet de bouclier antimissile destiné à contrer une éventuelle attaque de la Corée du Nord ou de l’Iran.
Tout en jouant le chaud et le froid, et en réaffirmant son amitié avec les États-Unis, le chef de l’État russe se dédouane, dans une entrevue accordée à la presse, de toute course à l’armement et rejette la faute sur le bouclier anti-missile que veut mettre en place George Bush. Pour le président russe, le risque de « transformer l'Europe en poudrière », si les États-Unis y déploient leur bouclier antimissile, est bien réel. Il faut noter que le radar installé en République tchèque serait relié aux radars de Fylingdales (Angleterre), Vardo (Norvège) et Thulé (Groënland), qui font partie des systèmes d'alerte avancée des forces stratégiques américaines. Le 30 Mai, la Russie, selon les déclarations de Poutine, a testé un nouveau missile intercontinental à têtes multiples, en « réponse aux actes unilatéraux et infondés de nos partenaires ».
Dans l’attente d’une certaine escalade dans les stratégies militaires de défense, la place est aux frondes verbales : « les États-Unis créent un immense système de défense antimissile onéreux qui coûtera plusieurs dizaines de milliards de dollars. La Russie créera des systèmes bien moins onéreux, mais suffisamment efficaces pour contrer ce système de défense antimissile. Nous maintiendrons ainsi l'équilibre des forces dans le monde », déclare Vladimir Poutine.
Le plus gênant, pour monsieur Poutine, vient de la demande spontanée du ministre bulgare des Affaires étrangères, Ivaïlo Kalfine, que l'OTAN lui donne le même niveau de sécurité qu'aux pays qui seront protégés par le bouclier antimissile américain. Kalfine entend même soulever cette question lors de la visite du président américain George W. Bush en Bulgarie les 10 et 11 juin prochains. « La Bulgarie est un des rares membres de l'UE et de l'OTAN qui ne sera pas couvert par ce bouclier », se plaint le ministre des Affaires étrangères.
De leur côté, Bucarest et Sofia envisageaient de proposer à la Russie des manœuvres militaires conjointes pour tenter de désamorcer la tension avec Moscou.
George W. Bush, rapporte l'agence Associated Press, se fait rassurant : « Vous n'avez rien à craindre d'un système de défense antimissile, coopérez donc avec nous ». Le bouclier n'a qu'un but : protéger les alliés des États-Unis de la menace balistique d' « États voyous », comme la Corée du Nord et l'Iran. Ce n’est pas le point de vue de la Chine qui estime que la mise en œuvre des plans de déploiement de systèmes de défense antimissile (ABM) en Europe de l'Est peut entraîner la prolifération des armements. Selon ses dirigeants, de tels systèmes ne contribuent pas à la confiance mutuelle entre les grandes puissances et à la stabilité régionale et ils peuvent engendrer une nouvelle course aux armements. Le conseiller de George Bush à la sécurité nationale, Steve Hadley, maintient pour sa part qu’il faut privilégier un dialogue constructif avec la Russie.
Condoleezza Rice n’a pas hésité à dire que les propos du dirigeant russe ne détourneraient pas les États-Unis de leurs objectifs et qu'elles appartenaient aux années de la guerre froide. Nous sommes en 2007, pas en 1987 ! Pour le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov : « Lorsque nous disons que nous ne comprenons pas (le projet US antimissile) et que nous estimons qu'il constitue une véritable menace contre la Russie, nous sommes accusés d'user d'une rhétorique type Guerre froide. Alors cessons de mettre en œuvre des choses dignes de la Guerre froide et, j'en suis sûr, plus personne ne sera soupçonné de recourir à la rhétorique de la Guerre froide ».
Pour la France, ce n’est qu’une simple querelle entre deux camps opposés : « Selon le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, les projets de déploiement du système américain d’ABM en Pologne et en République tchèque doivent donc être traités dans le cadre des "discussions bilatérales" entre Washington et Moscou ». Pour la nouvelle amie des États-Unis, « le projet américain, tel qu’il nous a été présenté », rappelle Jean-Baptiste Mattéi, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, « ne nous semble pas avoir un impact sur les équilibres entre la Russie et les Etats-Unis. Par contre, la prolifération des missiles balistiques est un problème très important, notamment au Moyen-Orient ».
La dégradation des relations entre les États-Unis et la Russie au cours des dernières semaines risque d'occulter la tournée de M. Bush en Europe et le sommet des pays industrialisés. Georges W. Bush, qui s’inspire de lois divines, en remet : « En Russie, on a fait dérailler des réformes qui promettaient autrefois de donner le pouvoir aux citoyens, avec des conséquences perturbantes pour le développement démocratique », déclaration faite lors d'une conférence sur la démocratie organisée par d'anciens dissidents. « Nous nous inquiétons pour la démocratie en Russie. Vladimir Poutine nous assure que la démocratie va très bien dans son pays, mais nous voyons cela de façon différente. Nous n`hésitons pas à soulever cette question, de même que celle des relations de la Russie avec ses voisins. Nous avons eu récemment un différend entre la Russie et l`Estonie. Cela n`était pas pour nous un signal positif », a rappelé le président américain.
M. Bush, conscient des « forts désaccords » avec M. Poutine, n’hésite pourtant pas à multiplier les déclarations inamicales à l’égard de Moscou, à commencer par la question des libertés. Il a associé la Russie et la Chine dans les mêmes critiques : « Les dirigeants chinois croient qu'ils peuvent continuer à ouvrir l'économie de leur pays sans ouvrir aussi leur système politique ».
Pour Georges W. Bush, dont le sens de l’amitié est un peu étriqué, « les États-Unis continueront à développer (leurs) relations avec la Russie et nous le ferons sans abandonner nos principes ou nos valeurs », a-t-il dit dans un discours où il s'en est aussi durement pris au communisme. Avec familiarité, monsieur Bush a indiqué qu’il adresserait, lors du G8, le message suivant à son homologue russe : « Vladimir - je l'appelle Vladimir - vous n'avez rien à craindre d'un système de défense antimissile, pourquoi ne coopéreriez-vous pas à un système de défense antimissile (...) ? S'il-vous-plaît, envoyez-nous vos généraux pour qu'ils voient comment un tel système fonctionnerait, envoyez-nous vos scientifiques ». Georges W. Bush doit recevoir, dans son ranch, début juillet, Vladimir Poutine pour tenter de décrisper les tensions actuelles.
D’ici là, il faudra lire le communiqué final du G8 pour évaluer le chemin parcouru à travers les ronces et les crispations entre grandes puissances.