jeudi 7 juin 2007

Immigration ou l’intolérable cruauté institutionnalisée

Deux enfants. Deux histoires identiques. Deux enfants qui ne comprennent pas pourquoi le pays dans lequel ils vivent les considèrent comme des indésirables. Voici l’histoire de madame Toure et de sa fille, elles vivent au Québec. Nous relaterons ensuite l’histoire de Néli, 8 ans, qui vient de passer sa première nuit au centre de rétention de Marseille, en compagnie de ses parents, Al Khalili, famille roumaine sans nationalité.


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En 1982, le parlement du Québec décrétait que : « Pour arriver à cerner ces notions de sécurité et de développement, il faut se référer aux besoins de l’enfant qui sont de plusieurs ordres. D’abord physiques : alimentation, repos, santé et croissance. Ils sont aussi affectifs : liens d’amour et d’amitié, sentiment d’appartenance, besoin d’identification et de sécurité émotive. Ils sont intellectuels : apprentissage, développement, cognition, scolarisation, créativité. Ils sont enfin sociaux : appartenance à un milieu familial, ouverture au monde extérieur à la famille, développement de l’aptitude à s’insérer et à participer socialement, intégration aux valeurs de la société. Or, à chaque ordre de besoins de l’enfant correspond un droit au développement et à la sécurité ».


Oumou Toure, 24 ans, a reçu un avis d’expulsion du gouvernement du Canada. Retour obligatoire vers la Guinée pour cette jeune mère. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada a refusé sa demande d’asile. Oumou Toure a donné naissance à une jeune fille, maintenant âgée de deux ans et demi. Comme un malheur ne vient jamais seul, Oumou Toure est hantée à l’idée de devoir laisser sa jeune fille ici, au Québec, et de retourner seule en Guinée. Sa fille née au Canada. Elle est donc citoyenne canadienne. L'enfant pourrait faire face à la mutilation génitale si elle était envoyée dans ce pays d'Afrique. Mme Toure, elle-même victime de cette pratique, se désole et envisage l’abandon de sa fille du fait qu'elle ne pourrait pas la protéger de cette odieuse mutilation.


Amnistie Internationale a qualifié, avec raison, cette situation d' « épouvantable ». Des militants des droits de la personne ont sollicité la ministre fédérale de l'Immigration, Diane Finley, afin qu’elle stoppe l’expulsion de cette femme et de sa fillette vers la Guinée. Amnesty International indique que certains documents font état d'un risque de contraction ou de transmission du sida, les excisions n'étant pour la plupart pas pratiquées dans des hôpitaux ou au moyen d'instruments stérilisés.


Mme Toure, qui est aussi mère d'un garçon de neuf mois, pourrait être déportée au début de juillet. (Source : Presse canadienne)


Le Canada est signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant. L’article 2.1 stipule que : « Les États parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre de l'enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation ».


Expulser Oumou Toure est une honte, pour le Canada, qu’aucun mot sensé ne saurait décrire.


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« Est-ce que je suis en prison ? Je veux retourner à l'école ! ». Cette inquiétude est exprimée par Néli, 8 ans, qui vient de passer sa première nuit au centre de rétention de Marseille. La famille Al Khalili a été raflée à 6 heures du matin dans sa chambre d'hôtel, bien qu'ayant introduit un recours contre un arrêté d'expulsion. Depuis le 11 avril, la préfecture de Haute-Garonne avait émis une obligation à quitter le territoire contre la famille Al Khalili, vivant à Toulouse depuis cinq ans. D'origine arménienne, née à Bakou en Azerbaïdjan, Mme Al Khalili n'est reconnue par aucun de ces deux pays. Seront-ils expulsés vers la Russie dont M. Khalili a la nationalité alors qu'ils vivent depuis cinq ans en France ?


Pour casser une éventuelle mobilisation locale, les autorités gouvernementales ont décidé que celle-ci serait acheminée à Marseille. Madame le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) a décidé de rendre la liberté à Neli et ses parents pour diverses irrégularités dans la procédure d’arrestation et de mise en rétention. Me Anaïs Léonhardt a estimé, pour sa part, que cette rétention était contraire à l’article 37 de la convention internationale des droits de l’enfant et à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme (Source : Libération).


La petite Néli, qui a subi un traumatisme depuis 4 jours (rafle dans la chambre d’hôtel, mise en garde à vue...), s’est littéralement jetée dans les bras de son institutrice qui avait fait le déplacement jusqu’au tribunal depuis Toulouse. Néli doit maintenant retrouver une vie d’enfant. Aucune menace d’expulsion ne doit plus peser sur cette famille, ni comme toutes d’ailleurs. Un titre de séjour doit leur être délivrer.


Néli est scolarisée en CE2 à l’école élémentaire de Ferndinand de Lesseps, qui a suivi la famille dans toutes ses démarches de régularisations. Une demande d’asile avait pourtant été déposée en 2002. C’est que la situation devenait invivable à Moscou pour le père, Russe originaire de Syrie, ingénieur polytechnicien, et la mère, née Pétrossyan, qui avait dû fuir Bakou lors de la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La famille Al Khali n’a vu qu’en 2007 sa demande d’asile politique refusée.


Le cas de Néli est troublant. D’autant plus que Human Rights Watch (HRW) estime que la politique française ne présente pas de garanties suffisantes contre les violations des droits humains, dont la torture. Le 23 mai, dix organisations de défense des droits de l'Homme, dont Amnesty international, ont demandé, dans une lettre ouverte au nouveau ministre de l'Immigration Brice Hortefeux, de réformer la législation en matière de droit d'asile afin que tout appel contre une décision d'éloignement soit systématiquement « suspensif ». Un mois plus tôt, le 26 avril, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) avait condamné la France pour les mêmes motifs.


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L’intolérable insensibilité de l’État, et de ses fonctionnaires, élève au plus haut sommet la pratique de la cruauté institutionnalisée : « En cruauté impitoyable, l'homme ne le cède à aucun tigre, à aucune hyène ». Arthur Schopenhauer


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