lundi 18 juin 2007

« Rumsfeld a menti pour se protéger » : d’Abou Ghraïb à Guantanamo – honte et désespoir



Le 28 avril 2004, les photos d’Abou Ghraïb sont rendues publiques par l’émission 60 Minutes. La soldate Lynndie England tient en laisse un prisonnier au sol, étendu nu. Elle est surnommée « la fille à la laisse ». Charles Graner, de quinze ans son aîné, est maintenant son amant. Il prend les photos. Rue89 raconte cette anecdote qui illustre bien les deux personnages : « England part en vacances avec Graner et un autre militaire à Virginia Beach. Là, Graner prend toutes sortes de photos de lui et England en train de baiser, des photos de sodomies, de fellations prise par le troisième larron du voyage, ou d’England mettant sa poitrine dans l’oreille du copain militaire complètement saoul ». Lynndie England a été condamnée à trois ans de prison et renvoyée de l’armée pour manquement à l’honneur. Le caporal Charles Graner a été condamné à la plus forte peine, 10 ans de prison. Au cours de son procès, il avait affirmé avoir agi sur ordre du renseignement militaire.

Ivan Frederick, sergent-chef, a vécu lui aussi entre les murs de la honte, dans la prison du désespoir. Il a plaidé coupable : « Oui, nous avons entassé les prisonniers les uns sur les autres. Et ensuite, le sergent Javal Davis, un autre soldat impliqué dans l’affaire, a commencé à sauter sur la pile ». Toutefois, il rejette la responsabilité de ce qui s’est passé à la prison d’Abou Ghraïb sur l’encadrement militaire et policier du centre de détention.

Trois ans après la révélation de l’affaire dans laquelle n’ont été condamnés que des soldats, le seul officier américain inculpé dans le scandale des sévices infligés dans la prison irakienne d’Abou Ghraïb vient de comparaître à Washington lors d’une audience préliminaire. Steven Jordan, lieutenant-colonel, 51 ans, a été inculpé fin avril 2006 pour avoir contraint des prisonniers à se mettre nus et pour les avoir menacés avec des chiens d’attaque. Il a été également inculpé pour entrave à la justice, manquement au devoir, fausses déclarations aux enquêteurs, et conduite inconvenante pour un officier. Il risque jusqu’à 22 ans de prison s’il est reconnu coupable.

La prison d’Abou Ghraïb est située à une trentaine de km à l’ouest de Bagdad et a été le centre d’exécutions de masse et de tortures sous le régime de Saddam Hussein. En 2004, elle a poursuivi sa macabre vocation en devenant le symbole de l’occupation après les révélations de sévices infligés aux prisonniers par des soldats américains. En septembre 2006, elle a été vidée et remise aux autorités irakiennes. Les 4 537 détenus de la prison d’Abou Ghraib ont été transférés au Camp Cropper, centre de détention installé à proximité de l’aéroport.

En mai 2006, le président George W. Bush avait déclaré que le scandale d’Abou Ghraïb avait été la « plus grosse erreur » commise par les États-Unis en Irak.

Un général américain, Antonio Taguba, chargé de l’enquête sur Abou Ghraïb, est cité par le New-York Time. Selon ce général, Donald Rumsfeld, alors ministre de la Défense, cherchait à « s’acquitter, lui et beaucoup de ses proches, en mentant, le tout pour se protéger ». Tous les hauts responsables ont évité d’examiner le dossier alors même que des gardiens de la prison comparaissaient devant la justice. En dépit de sa rencontre avec le ministre de la Défense, au cours de laquelle il l’informe du rapport qu’il avait préparé, Rumsfeld témoigne le lendemain devant le Congrès n’avoir aucune idée de l’ampleur des méfaits commis dans la prison.

En 2005, neuf hommes, qui disent avoir été arrêtés à tort, détenus et torturés par l’armée américaine, avaient déposé plainte pour tortures contre M. Rumsfeld et trois militaires de haut rang, responsables selon eux d’avoir ordonné les interrogatoires violents et de n’avoir rien fait pour empêcher les dérives. Un juge fédéral a rejeté leur plainte en mars dernier (France Presse).

Trois ans après les révélations sur la prison d’Abou Ghraib, l’armée américaine est à nouveau ébranlée par un scandale. Le lieutenant-colonel William Steele, en charge de la prison de Camp Cropper, a été arrêté et il est détenu au Koweït. L’État-major lui reproche d’avoir « aidé l’ennemi » et d’avoir eu des relations « inappropriées » avec deux femmes.

Selon l’armée américaine, « monsieur Steele est accusé d’avoir, entre le 1er octobre 2005 et le 31 octobre 2006, aidé l’ennemi en fournissant un téléphone portable non surveillé à des détenus ». « Entre le 20 octobre 2005 et le 11 décembre 2006, monsieur Steele est aussi accusé d’avoir fraternisé avec la fille d’un détenu et accordé des privilèges à une interprète pour maintenir avec elle une relation inappropriée ». L’officier américain est aussi mis en cause pour avoir conservé illégalement des documents classifiés, refusé d’obéir à des ordres et possédé des vidéos pornographiques interdites.

Des généraux se révèlent

Ricardo Sanchez était, jusqu’en juillet 2004, chef des forces américaines en Irak. Il avait quitté ses fonctions après avoir été éclaboussé par le scandale de la prison d’Abou Ghraïb. De sa retraite, prise en 2006, il intervient publiquement : « Je suis absolument convaincu que les États-Unis ont actuellement une crise de leadership ». Selon lui, les États-Unis devront un jour « s’interroger sur ce qu’est la victoire, et pour le moment je ne suis pas sûr que les États-Unis sachent vraiment ce qu’est la victoire ».

Le général Peter Pace présidait depuis deux ans aux opérations en Irak et en Afghanistan. Il pensait obtenir une nouvelle nomination pour deux ans. Le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, a créé la surprise en annonçant son remplacement par l’amiral Michael Mullen, chef des opérations navales. Il a indiqué qu’il avait préféré ne pas voir s’engager une nouvelle épreuve au Congrès au sujet de l’Irak. Le général Pace était nettement trop proche de Donald Rumsfeld, contraint à la démission en novembre 2006. (Le Monde, 09.06.07).

Après Abou Ghraïb

L’expérience d’Abou Ghraïb n’a pas suffi. Selon un rapport du Conseil de l’Europe publié le 8 juin, la Pologne et la Roumanie ont couvert les détentions illégales et les actes de torture de la CIA sur leur territoire entre 2002 et 2005. Ces deux pays auraient été choisis parce qu’ils étaient « économiquement vulnérables », qu’ils « dépendaient du soutien américain pour leur développement stratégique », et qu’ils étaient « vraiment pro-Occidentaux » (Le Monde, 8 juin 2007).

Selon le rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), Dick Marty, un accord secret est intervenu entre les alliés de l’OTAN en octobre 2001 et il a posé le cadre qui a permis à la CIA de procéder à ces détentions ainsi qu’à d’autres activités illégales en Europe. M. Marty a déclaré, lors d’une rencontre de presse, que ses conclusions se fondent sur le recoupement de plus de trente témoignages recueillis auprès de membres de services de renseignement, aux États-Unis et en Europe, et sur une nouvelle analyse des « chaînes de données » produites par le système international de traitement des plans de vol.

Trop peu trop tard, Colin Powell

Trop peu trop tard, c’est maintenant que Colin Powell considère que Washington devrait abandonner l’idée d’un système spécial pour utiliser des procédures déjà existantes. « Nous avons ébranlé la confiance que le monde avait dans le système judiciaire de l’Amérique en conservant un endroit comme Guantanamo et en créant des choses comme la commission militaire ». Et d’ajouter : « Nous n’en avons pas besoin, et cela nous fait plus de mal que de bien ».

Dans son rapport publié au début avril 2007, Amnesty International avait affirmé que la plupart des détenus de la base militaire de Cuba étaient « maintenus dans des conditions cruelles d’isolement qui bafouent les normes internationales ». L’organisation réclame depuis plusieurs années la fermeture du centre.

Monsieur Colin Powell a-t-il lu le petit manuel, publié le mercredi 6 septembre 2006, sur les « opérations de collecte de renseignement humain » ?

Interdites

· nudité forcée ;

· coups, humiliation sexuelle ;

· usage de chiens ;

· privation de nourriture ou d’eau ;

· simulacres d’exécutions, simulacre de noyade (waterboarding) ;

· chocs à l’électricité, brûlures ;

· cagoules ;

· hypothermie.

Autorisées

Deux techniques ont été ajoutées :

· les interrogateurs ont le droit de se faire passer pour quelqu’un d’autre ;

· séparation pour empêcher la concertation.

Bush ou Harper ?

Selon Amnesty International, le Canada est le seul pays à ne pas réclamer le rapatriement de son citoyen de Guantanamo. Amnesty donne l’exemple des gouvernements britannique et australien qui ont rapatrié leurs citoyens détenus à Guantanamo. Humans Rights Watch juge également que le Canada ne devrait pas rester silencieux lorsqu’un de ses ressortissants est soumis à un processus « fondamentalement vicié ». Omar Khadr est accusé d’avoir tué un soldat américain avec une grenade, en 2002, en Afghanistan. Il avait 15 ans à ce moment. Un magistrat militaire américain vient de rejeter les accusations contre lui en raison d’un détail de procédure mais Khadr demeure emprisonné. Pour le secrétaire général d’Amnesty International Canada, Alex Neve, Omar Khadr « a été abandonné par son gouvernement ». Cela s’explique selon lui par la réputation que s’est acquise la famille Khadr au Canada, aucun homme politique ne voulant donner l’impression de faire quelque chose en sa faveur. La famille Khadr ne renie pas ses liens avec Oussama ben Laden.

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