Reconstruction, dites-vous ? Développement ? Selon le rapport du 3 mai 2007 sur l’enregistrement des réfugiés afghans au Pakistan, rédigé conjointement par le gouvernement pakistanais et le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 87 pour cent des Afghans du Pakistan ont déclaré qu’ils n’avaient pas prévu de rentrer chez eux dans l’immédiat. Il y aurait à ce jour 2 153 088 Afghans déclarés au Pakistan. Plus de 70 pour cent de ces Afghans réfugiés sont illettrés et la plupart sont sans qualification, ce qui les empêche de plus en plus souvent de trouver des emplois.
Les Russes ont compté jusqu’à 140 000 hommes en Afghanistan, avant de déclarer forfait. Pourquoi les Occidentaux feraient-ils mieux ? Aux 30 000 hommes de l’Isaf s’ajoutent 8 000 Américains de l’opération Enduring Freedom. L’armée afghane ne compte que 28 000 hommes, et chacun s’interroge à Kaboul sur la manière dont elle atteindra en 2009 l’effectif de 70 000 prévu par les accords de Bonn.
Selon le chroniqueur William Pfaff, de l’International Herald Tribune, l’Afghanistan va devenir le cimetière de l’Otan. Il appartient, dit-il, aux européens d’amener les USA à reconnaitre cette réalité, car ils en seront incapables par eux-mêmes : « L’Afghanistan est plus grand que l’Irak. Les forces de l’OTAN tentent de battre et de chasser du pays un mouvement religieux et politique qui s’enracine dans la société Pachtoune, dont les membres sont estimés à 12,5 millions en Afghanistan, 28 millions au Pakistan voisin, et 40 ou 45 millions internationalement. C’est absurde », écrit William Pfaff.
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Que fait le Canada ? Reconstruction ? Développement ? Non. La guerre. Un major quelconque relatait sur les ondes de la radio canadienne que ses soldats étaient déçus de participer, dans l’ombre, à la reconstruction et de ne pas être au champ de batailles, ce pour quoi ils ont été formés.
Que fait la France ? Reconstruction ? Développement ? Comme le fait remarquer Leo Michel, du quotidien Le Monde : « Le leitmotiv français qui est que l’OTAN doit rester exclusivement une “organisation militaire” se heurte en effet aux réalités actuelles du terrain, et il n’y a au sein de l’Alliance atlantique aucune velléité (pas même de la part des États-Unis) d’en faire une agence de reconstruction ou d’assistance aux populations civiles ».
« La France maintiendra son dispositif en Afghanistan. Elle entend le faire évoluer pour être encore plus efficace et en particulier pour mieux assurer la formation de l’armée afghane », a déclaré le Premier ministre François Fillion lors d’un point de presse conjoint avec son homologue canadien Stephen Harper, qu’il a reçu, début du mois de juin, à Matignon. « Le président Sarkozy a indiqué - c`est la même position pour le Canada - que notre présence en Afghanistan n`est pas permanente. Nous sommes là pour établir la sécurité, la stabilité, en collaboration avec nos alliés », a poursuivi le Premier ministre français.
Le président Nicolas Sarkozy avait réaffirmé, dans une entrevue publiée le 5 juin par le New York Times, le désir de la France de retirer ses troupes d’Afghanistan, tout en soulignant qu’un tel retrait n’était pas imminent. En complément, le ministre français de la Défense, Hervé Morin, lors d’un point de presse à l’issue d’un entretien à Paris avec son homologue américain Robert Gates, déclarait : « Aujourd’hui, nous devons mener des opérations pour reconstruire l’Afghanistan, et des opérations de formation et d’encadrement pour que l’armée et la police afghanes assurent par elles-mêmes la sécurité du pays. La volonté de la France c’est de s’inscrire dans ces actions là en priorité ».
Le secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer, de passage à Montréal, se refuse à l’évidence : « À peine plus du quart des personnes sondées, au Canada, croient que l’objectif visé est d’instaurer la paix et la démocratie dans ce pays en reconstruction, l’Afghanistan ».
Pourquoi revenir une fois de plus sur la question de la présence militaire en Afghanistan ? Parce que l’opinion publique n’est pas encore convaincue du bien-fondé de la démarche du gouvernement Harper : « Pas moins de 62% des 1000 personnes questionnées ont dit croire que la décision du premier ministre Stephen Harper d’envoyer des troupes canadiennes en Afghanistan a pour but principal d’entretenir de bonnes relations avec Washington » (Sondage Léger Léger, pour le compte du Journal de Montréal).
Rien de plus détestable que des députés qui font la source oreille. Jusqu’en période électorale.
Cela peut se comprendre du Parti conservateur, aligné sur Georges W. Bush. Cela se comprend moins du Bloc québécois dont les députés font la sourde oreille à l’opinion de la population qui les a élus. Le Parti démocratique est le seul à prendre position et à prendre en compte l’opinion des Canadiens et des Québécois. Répétons encore une fois haut et fort pour le Bloc québécois : « Quarante et un % des répondants sont d’avis qu’Ottawa devrait ordonner le retrait immédiat des troupes canadiennes, 21 % pensent qu’il devrait l’ordonner avant 2009, 20 % en 2009 comme prévu et 12 % après 2009 si nécessaire ».
Comme si cela ne suffisait pas, élevons à nouveau notre voix pour redire aux députés du Bloc québécois que près des deux tiers des Québécois appuient la manifestation antiguerre qui aura lieu, dans les rues de la vieille capitale, alors que les soldats du Royal 22e participeront à une manifestation de visibilité pour souligner la fin de huit mois d’entraînement intensif et le début des vacances avant le déploiement de 2000 des leurs en Afghanistan. Un sondage Léger Marketing montre encore une fois qu’une forte majorité de Québécois s’oppose à l’envoi de ces 2000 militaires de la base de Valcartier en Afghanistan.
Pourquoi, diable, le secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer, plaiderait-il le contraire et ne souhaiterait-il pas, comme il l’a fait à Montréal, cette semaine, le maintien de la mission militaire du Canada dans le sud de l’Afghanistan, alors que le soutien de l’opinion publique s’étiole après la mort de 60 soldats ? Pourquoi en serait-il autrement ? Trois autres soldats canadiens viennent de perdre la vie en Afghanistan.
Depuis 2002, la présence militaire canadienne a débuté à Kaboul pour, l’an dernier, transférer 2.500 soldats afin de combattre dans la province de Kandahar (sud), confrontée à la résurgence des talibans.
Le gouvernement minoritaire conservateur de monsieur Harper oppose un niet catégorique à l’opinion canadienne et songe même à prolonger la mission au-delà de février 2009 : en avril dernier, ce gouvernement est parvenu à bloquer l’adoption, par la Chambre des Communes, d’une résolution de l’opposition qui voulait fixer à février 2009 la date limite de la présence militaire canadienne en Afghanistan.
Rien de plus sourds que des députés jusqu’au moment de leur réélection.
Le secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer, ne donne pas dans le détail, résumant son analyse de la situation à sa plus simple expression : « Je pense que cela prendra plus de temps (que prévu) pour créer les conditions propices à la reconstruction et au développement de l’Afghanistan ».
Selon le sondeur Léger et Léger, les Québécois ont de tout temps été les plus hostiles à la mission du Canada en Afghanistan, mais celle-ci est aussi de moins en moins populaire dans le reste du pays. 67% des Canadiens croient que le Canada devrait mettre un terme à sa mission en février 2009, indiquait un autre sondage la semaine dernière.
Cela atteint la sensibilité du secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer, vous croyez ? « Mon message sera: je sais combien cela est dramatique lorsque des soldats canadiens paient le prix fort, mais je sais que vous êtes là pour la bonne cause, pour défendre les valeurs universelles et les propager », a-t-il su si bien dire.
Pour bien illustrer son propos, rien de mieux, à défaut de statistiques et de sondages, que de l’illustrer à l’aide l’histoire : « Le secrétaire néerlandais a aussi évoqué la solidarité essentielle qui doit exister entre les membres de l’OTAN pour poursuivre leur mission en Afghanistan. Il a même comparé la mission afghane à la libération de l’Europe des troupes nazies ». Ce que feint d’ignorer Jaap de Hoop Scheffer est simple : « 62 % des répondants au sondage croient que l’envoi de troupes canadiennes en Afghanistan sert à maintenir de bonnes relations avec les États-Unis, plutôt qu’à ramener la démocratie et la paix ».
Et pourtant.
Selon l’Agence IRIN, Ajab Khan, 36 ans, qui vit au Pakistan depuis 25 ans, explique que sa famille a débattu de la possibilité de retourner au pays et finalement décidé de n’en rien faire, l’année dernière, à la suite d’une courte visite de l’autre côté de la frontière poreuse qui sépare les deux pays. « Quand j’y suis retourné, [j’ai bien vu qu’on] ne pouvait pas revenir. Les choses ne se sont pas arrangées du tout », a déploré M. Khan.
Aujourd’hui, plus de cinq ans après l’effondrement du régime taliban, poursuit l’Agence IRIN, les Afghans sont exaspérés de voir que certaines questions telles que l’emploi, l’hébergement, l’insécurité et l’accès aux terres ne sont toujours pas réglées – autant de conditions fondamentales à leur rapatriement et à leur bien-être.
Pour Nematullah, un habitant de Nangarhar, déclare, en haussant les épaules : « Les Talibans deviennent de plus en plus forts de jour en jour et nous ne faisons pas confiance aux Américains. Ils resteront là tant qu’ils y trouveront leur compte. [Après] ils s’envoleront comme des pigeons et nous abandonneront comme ils l’ont fait dans le passé ».
Martin Bröckelmann-Simon, de l’aide catholique Misereor, écrit : « Nous constatons que la façon de mener la guerre prend un caractère de plus en plus radical. Particulièrement du fait que le nombre de victimes parmi la population civile augmente gravement ».
La situation est-elle meilleure en Allemagne ? Un conseiller en politique militaire du gouvernement fédéral allemand, a lancé, de Kaboul, cet avertissement adressé au ministre des affaires étrangères, accompagné de vifs reproches aux troupes de l’OTAN : « C’est pour moi une profonde contradiction, en ce qui concerne le comportement des troupes occidentales en Afghanistan. […] Il est insupportable de constater que les troupes de la coalition et de la FIAS s’en prennent consciemment à certaines parties de la population civile et détruisent ainsi les germes de la société civile ». Cette lettre explosive a été communiquée à Monitor. Voici un autre extrait de cette lettre : « Il n’y a aucune excuse valable pour tout le mal causé par les militaires occidentaux à une population innocente ».
Avons-nous en définitive accès à une analyse objective de ce qui se passe en Afghanistan ? Monsieur le secrétaire général, Jaap de Hoop Scheffer, nous dit-il ce qu’il faut que nous sachions ou ce qu’il souhaite que nous sachions ?
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