Décoré en décembre 2004 de la plus haute récompense américaine, la Médaille de la Liberté, et reconnu à cette occasion par le président Bush comme « l'un des premiers à reconnaître et à souligner la menace grandissante » des réseaux terroristes, l’ex-patron de la CIA, Georges Tenet règle ses comptes. Pour cela, il a touché 4 millions de dollars pour écrire un livre. George W. Bush apparaît sous un jour plutôt favorable et est particulièrement encensé pour les qualités de chef d'État dont il a fait preuve après les attentats du 11 septembre 2001.
Un livre lourd de 549 pages. Un titre, au propre comme au figuré, inquiétant : « At the Center of the Storm » [Au cœur de la tempête]. Un auteur controversé. L’ex-patron de la CIA, Georges Tenet, s’en prend à Dick Cheney et à l’administration Bush, notamment sur l’engagement des États-Unis en Irak. George Tenet met en cause Dick Cheney et Paul Wolfowitz mais épargne le président américain. Pour Georges Tenet, l'administration de Georges W. Bush n'a jamais discuté sérieusement de la possibilité de contrôler la menace représentée par le régime de Saddam Hussein autrement que par la défaîte du dictateur irakien et par une invasion du territoire.
Selon lui, sept mois avant l'invasion de l'Irak en mars 2003, la CIA avait prévenu la Maison-Blanche que l'offensive pourrait engendrer l'anarchie et la partition du pays. A-t-il utilisé ou non l’expression « slam dunk », empruntée au vocabulaire du basket-ball qui signifie un panier facile, lors d'une conversation avec le président Bush en décembre 2002 ? Oui. L'expression « c'est du béton » (en anglais, une métaphore sportive liée au basket, « it's a slam-dunk ») est depuis devenue le symbole des « demi- vérités » de l'administration Bush sur le régime irakien. Mais voilà. Il se dit maintenant avoir été mal interprété : « il ne voulait pas dire par là qu'il serait aisé de trouver des ADM en Irak, mais plutôt qu'il serait facile de constituer un dossier contre Saddam Hussein ».
George Tenet avait reconnu en 2003 sa responsabilité dans le fait qu’une allusion sur l’achat d’uranium par l’Irak en Afrique se soit trouvée dans le dernier discours sur l’état de l’Union du président Bush le 28 janvier dernier : « Je suis responsable du processus d’approbation de mon agence », avait-il dans un communiqué, ce qui confirmait les dires de l’administration Bush qui répétait que cette partie du discours avait été relue par les services de renseignement qui n’avaient pas estimé nécessaire de la corriger. Les 16 mots de la déclaration du président sur l’uranium auraient dû être supprimés : « Ces 16 mots n’auraient jamais dû être inclus dans le texte écrit destiné au président ». George W. Bush avait accusé l’Irak de vouloir reconstituer un programme nucléaire militaire. Cet argument avait été utilisé par les Américains pour intervenir en Irak sans l’aval des Nations Unies. Peu de temps après l'invasion, la CIA a conclu que les informations sur l'uranium nigérien s'appuyaient sur des documents fabriqués de toute pièce et qu'elles n'avaient aucune crédibilité.
George Tenet revient aujourd’hui sur ce rôle de bouc émissaire dans le dossier des prétendues armes de destruction massive irakiennes. Il affirme maintenant que ses supérieurs se sont servis de lui comme bouc émissaire pour leurs erreurs concernant la présence en Irak d'armes de destruction massive (ADM). Il ne cache même plus sa rancœur à l'égard d'un gouvernement qui lui a fait porter le chapeau de l'invasion de l'Irak : « Ce rôle de bouc-émissaire est la chose la plus méprisable qui me soit jamais arrivée ». « Cela ne se fait pas. On ne jette pas comme cela quelqu'un par-dessus bord pour faire diversion. Ce n'est pas honorable ».
At the Center of the Storm est le premier compte rendu détaillé d'un des proches du président Georges W. Bush au moment des attentats du 11 septembre 2001 quant à la décision des États-Unis d'envahir l'Irak. Il convient de rappeler, à ce propos, que selon le journaliste Bob Woodward dans son livre, Georges Tenet avait, le 10 juillet 2001, rencontré Condoleezza Rice pour l'informer de menaces imminentes posées par Al-Qaïda et son chef Oussama Ben Laden. L'ex-patron de la CIA avait alors défendu l'idée qu'Al-Qaïda cherchait à attaquer les intérêts américains, voire les États-Unis eux-mêmes, et que cela relevait d'un problème majeur de politique étrangère qui devait être traité immédiatement. Était également présent le responsable de la CIA chargé du terrorisme J. Cofer Black. Condoleezza Rice était polie. Selon Georges Tenet, elle aurait pu mettre Bush en alerte sur la menace mais elle ne l'a tout simplement pas fait à temps.