En vertu de la Déclaration universelle des droits de l'homme, tout citoyen et toute citoyenne peuvent revendiquer le droit à la sieste, comme le stipule l'article 24 : Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques. Jacques Chirac, dans une préface, traite le plus sérieusement du monde de ce droit à la sieste : « Le repos est une affaire sérieuse, dont la qualité conditionne notre existence. De nombreuses religions ont sacralisé le sommeil dont Charles Péguy écrivait qu'il est "l'ami de Dieu [et] de l'homme". Les anciens savaient que la clé des songes est aussi celle de l'équilibre et du bonheur, et recommandaient la pratique de la sieste ». Et dans son propos, le président montre en clair ses connaissances littéraires en la matière : « Parmi nos illustres contemporains, André Gide, qui en était le fervent adepte, avouait lui consacrer deux heures quotidiennes, parfois plus, et en tirait une grande satisfaction ».
Le très sérieux Encarta, de Microsoft, définit en ces termes la sieste : « repos pris en s'allongeant après le déjeuner ou à d'autres moments de la journée ». Ce repos que s’accorde bien volontiers l’homme (et la femme, bien évidemment) est souvent assorti d’un chapelet de mots qui en dévoie parfois le sens : assoupissement, dodo, inaction, méridienne, repos, ronflette, roupillette, roupillon, somme, sommeil.
Paul Lafargue, en 1848, y faisait référence : « Les philosophes de l'Antiquité enseignaient le mépris du travail, cette dégradation de l'homme libre; les poètes chantaient la paresse, ce présent des Dieux: O Melibœ, Deus nobis hæc otia fecit - Ô Mélibée, un Dieu nous a donné cette oisiveté », (Virgile, Bucoliques).
Le mot est lâché : la sieste est-elle mépris du travail ?
Selon une vaste étude, menée en Grèce, et qui a duré plus de six ans auprès de 23 681 sujets normaux, des chercheurs ont observé que le risque de mourir des suites d’une maladie coronarienne diminuait de 37 % chez les personnes qui pratiquaient quotidiennement la sieste et de 12 % chez celles qui le faisaient sur une base occasionnelle. Il semblerait donc que l’habitude de faire la sieste durant la journée de travail peut aider à contrer les effets du stress chez les travailleurs, ce qui expliquerait la réduction observée du taux de mortalité attribuable aux maladies coronariennes.
Les chercheurs de l'école de médecine de Harvard et de l'université de médecine d'Athènes démontrent, à l’aide de cette étude publiée dans la revue Archives of Internal Medicine, les effets bénéfiques de la sieste au travail. En effet, ceux qui ont la chance de pouvoir faire la sieste occasionnellement voient leur taux de mortalité résultant d'une maladie coronarienne chuter de 12%. Mieux encore, c'est de 37% que les individus faisant la sieste régulièrement, soit au moins trois fois par semaine, voient leur taux de mortalité baisser. Sont concernés par ces chiffres, les hommes actifs. L'étude n'a pas pu faire ressortir de résultats probants pour les femmes.
« Si vous disposez d’un canapé sur votre lieu de travail, allez-y, faites la sieste », conseille le docteur Dimitrios Trichopoulos, l’un des chercheurs de l’étude.
Le quotidien Le Monde rapporte l’expérience menée par le professeur Pierre Philip qui dirige la clinique du sommeil au CHU de Bordeaux. Selon l’éminent chercheur, même dans des pays où la sieste était traditionnelle, comme l'Espagne, le temps accordé pour la pause déjeuner se réduit. « Le paradoxe est que cela se fait au moment où les arguments médicaux en faveur de la pratique de la sieste sont de plus en plus nombreux ».
L'équipe du professeur Philip, à Bordeaux, a pu établir qu'une sieste de trente minutes (ou la prise de café...) divisait par trois le risque de faire une erreur de conduite la nuit (Le Monde du 14 juin 2006). La sieste permet aussi de supprimer les effets de la privation de sommeil sur la sécrétion d'une hormone, le cortisol, et d'une cytokine, l'interleukine 6. Cela se traduit par une amélioration de la vigilance et de la performance.
Le professeur Philip rappelle que : « pour dormir, il faut trois composantes : un réservoir de sommeil, qui se vide pendant l'éveil et se remplit pendant l'endormissement ; une composante chronobiologique, en l'occurrence des plages horaires plus ou moins favorables à l'endormissement ; et enfin notre système d'éveil, qui va nous aider si besoin à rester vaillant malgré l'envie de dormir ».
La préface, que signait le président Jacques Chirac, était destinée au livre de Bruno Comby, polytechnicien, spécialiste de la santé préventive et de la lutte contre le stress : Éloge de la sieste (Éditions J’ai Lu). Bruno Comby est né en France à Rochefort sur mer. Il est ingénieur de l'Ecole Polytechnique et ingénieur en génie nucléaire de l'École Nationale Supérieure de Techniques Avancées de Paris. Loin d’être une activité de paresseux, le repos de la mi-journée permet de commencer l’après-midi ressourcé et ainsi de mieux travailler.
L'efficacité d'une sieste serait de 10 à 15 fois supérieure à sa durée, selon le spécialiste français. L'auteur de L'Éloge de la sieste est un partisan de la micro-sieste ou de la sieste-flash. Bruno Comby écrit dans son livre qu'« une sieste de cinq minutes dissout le stress, augmente vos performances physiques et psychiques, et vous fait gagner du temps en réduisant la durée du sommeil de la nuit suivante d'une durée pouvant aller jusqu'à une ou deux heures ».
Tout a commencé en Asie, où la sieste rime avec reconstruction énergétique des capacités physiques et mentales de l’être humain. Les habitants du pays du Soleil Levant ont des semaines très chargées. Ils n’imposent pas la sieste, elle s’impose à eux comme façon de trouver un peu de repos dans leur existence aux rythmes très soutenus. Modèles en matière de productivité, les Asiatiques ont mis la puce à l’oreille des Occidentaux. Depuis plus d’une dizaine d’années, quelques entreprises ont institué des pauses de relaxation. En 1990, Apple avait mis à disposition de ses employés un centre de remise en forme où l’on pouvait faire des petits sommes.
La sieste est la réponse à un besoin biologique qui ne devrait pas être réservé seulement aux jeunes enfants, aux femmes enceintes et aux personnes âgées. Napoléon Bonaparte, Einstein, John F. Kennedy, Winston Churchill, Bill Clinton, Jacques Chirac ont avoué être des adeptes de la sieste. Redonnons la parole au président Jacques Chirac : « Les anciens savaient que la clé des songes est aussi celle de l'équilibre et du bonheur, et recommandaient la pratique de la sieste ».
Photographies : Véronique Bizard, VoirOuRegarder