AgoraVox a été lancé à l’initiative de la société Cybion. Cybion est une société anonyme indépendante créée par Carlo Revelli et Joël de Rosnay, dont le capital appartient majoritairement aux fondateurs et qui n’est liée à aucun grand groupe industriel ou financier. Selon les fondateurs, AgoraVox constitue l’une des premières initiatives européennes de "journalisme citoyen" à grande échelle complètement gratuite. AgoraVox est une plate-forme multimédia mise à la disposition de tous les citoyens qui souhaitent diffuser des informations inédites.
Il semble que rien ne va plus entre AgoraVox et le quotidien Le Monde. Voici tel quel, sans autres commentaires, le billet signé ce jour-même par Carlo Revelli, président directeur général d’Agoravox :
A la veille des élections... certains médias nous prennent pour des c... !
Cette jolie rime poétique est dictée par un sacré coup de colère. Coup de colère provoqué par la prise de conscience que certains médias semblent vouloir fortement orienter, voire manipuler l’information à la veille des élections. Faisons un parallèle entre le fameux débat sur Internet qui n’a jamais eu lieu et la polémique autour des estimations des résultats du premier tour que certains blogueurs journalistes menacent de mettre en ligne dimanche avant 20 heures. Le point de départ de ces deux affaires est le même. D’un côté, on essaie de contourner les lois du CSA pour garantir un débat démocratique aux citoyens. De l’autre, on contourne les lois de la République, en risquant d’influencer le vote, uniquement pour diffuser les résultats une ou deux heures à l’avance. Pourtant, les médias ont boycotté une affaire pour bien s’emballer sur l’autre... Quelles en sont les raisons?
L’omerta médiatique autour du débat sur Internet
Comme vous le savez, nous avons tenté d’organiser un débat sur Internet entre différents candidats à la présidentielle. Je ne reviendrai pas sur les erreurs faites et sur les raisons de cet échec. Je me concentrerai ici uniquement sur le traitement médiatique de l’affaire, ou plutôt sur son non-traitement... Je vous rappelle que le projet initié par AgoraVox avait permis de constituer un collectif incroyable avec une force de frappe potentielle qui ne pouvait pas laisser indifférent : 20 minutes, Dauphiné libéré, Marianne, Les Échos, Libération, AOL, Le Monde, France 24, L’Express, Le Nouvel Obs, etc.
Et pourtant aucune radio, aucune TV, aucune agence de presse et très peu de journaux papier ont relayé notre idée de débat sur Internet. Comme je l’expliquais dans mon bilan final, « avoir autant de partenaires prestigieux, et avoir si peu de retombées presse demeure pour moi un mystère, surtout dans une période si friande d’informations liées à la présidentielle. Comme le précise André Gunthert de l’EHESS : « Mis à part 20 minutes, très actif dans cette séquence, les grands médias associés au processus se sont bornés à une attitude attentiste, sans relayer le buzz, qui est resté très faible tout au long de la semaine dernière. Sans une forte pression médiatique, il était impossible d’imposer cet agenda aux équipes de campagne. Celle-ci a fait défaut : l’AFP a notamment refusé de transmettre les informations qui lui étaient fournies par le collectif. » J’ajouterai que non seulement l’AFP mais aussi AP et Reuters ont toujours refusé de reprendre les informations que nous leur communiquions.
D’ailleurs, je me rappelle avoir eu une conversation surréaliste, par téléphone, avec l’une de ces trois agences. Environ 24 heures après l’envoi de notre communiqué de presse, je relance par téléphone, et, à ma grande surprise, on me demande si notre initiative est sérieuse ou si ce ne serait pas un canular... Je passe vingt minutes au téléphone pour expliquer qu’on existe bien, que ce n’est pas un canular... J’explique que des médias aussi prestigieux que Le Monde, Libération ou 20 minutes sont associés, etc. Alors mon interlocuteur me répond qu’il n’avait pas eu le temps de vérifier, et ensuite il passe dix minutes à essayer de m’expliquer que c’est une idée folle qui n’a aucune chance d’aboutir... Véridique, je n’invente rien.
La seule dépêche d’agence que nous avons eue, c’était pour annoncer que... le débat n’aurait pas lieu... Édifiant !
L’emballement médiatique autour de la diffusion des sondages dimanche à 18 heures
Exactement au moment-même où notre débat échoue, démarre la polémique sur la diffusion des premiers sondages sur Internet à partir de 18 heures ce dimanche.
Versac résume assez bien le contexte : « Habituellement, ces sondages étaient globalement méconnus, réservés aux rédactions. Les partis politiques effectuaient par ailleurs leurs mesures et organisaient leurs remontées d’information. Cette année, c’est différent : la facilité de diffusion à grande échelle, à travers les blogs, notamment, fait courir le risque d’une diffusion à grande échelle, non maîtrisable, de ces résultats, avant la clôture du scrutin pour tous les Français. Une telle diffusion est interdite par la loi (les contrevenants risquent une poursuite pénale et 75 000 euros d’amende). Cette loi a un fondement : il s’agit de veiller à la "sincérité" du scrutin, de faire en sorte que tout le monde soit à un niveau égal d’information au moment de son vote. La transmission massive de résultats partiels, vers 18 heures, peut inciter à des manipulations du vote, à des modifications de comportements d’électeurs indécis, et cela, de manière relativement massive, de nature à modifier le scrutin. Un "journaliste", Jean-Marc Morandini, associé à une grande radio généraliste, a expliqué qu’il diffuserait volontairement ces données partielles, au nom d’un pseudo-droit à l’information. ».
Sans avoir de certitudes inébranlables, je suis globalement assez d’accord avec Versac (voir aussi son dernier article) et Schneidermann même si je comprends l’absurdité de la loi et la nécessité de trouver des solutions. Je pense tout simplement que ce n’est pas le bon moment pour trouver des solutions. Il fallait s’y prendre soit avant (on en parle depuis 2002), soit après. Morandini, Birenbaum (voir aussi ici) et Thierry Crouzet ont un avis opposé.
Le but de mon article n’est donc pas de rentrer dans la polémique qui anime en ce moment la blogosphère, et surtout les médias. Pour être franc, mon opinion n’a rien d’original ni d’arrêté. Je suis a priori contre, comme la plupart de vous d’ailleurs, car je trouve malsain que la polémique sorte maintenant ; cela pourrait être dangereux.
Et pourtant, tous les médias ne parlent que de ça. Personnellement, j’ai été contacté par tous ceux qui avaient refusé de parler de notre débat : des quotidiens, des agences de presse (AFP, Reuters...), des radios (France Info, RTL, Europe 1, RFI...) et même des TV (Public Sénat, Direct8). Mais ceci n’est rien par rapport au nombre invraisemblable d’articles, de dépêches ou d’émissions qui voient le jour en ce moment. Reuters vient également de sortir une dépêche qui a été reprise pratiquement par tous les médias et là, curieusement, l’avis d’« AgoraVox, acteur de poids de l’information "participative" sur Internet » intéresse beaucoup plus de monde que le débat pour les présidentielles... C’est rare de voir une dépêche reprise en simultané par Radio France, L’Express, Capital, Le Monde, L’Usine nouvelle, Le Nouvel Obs, Le Point, Boursier, etc.
Pourquoi deux poids, deux mesures ?
Difficile pour moi de répondre à une telle question, puisque je suis partie prenante. Ce serait plutôt à des experts de « l’emballement médiatique », comme Daniel Schneiderman, d’analyser sereinement tout ça. Je vais donc me limiter à ma perception des choses.
À partir d’hier soir, j’ai pris le parti de dire ce que je pense lors de mes interviews, en espérant que mon message ne soit pas coupé, vu qu’il s’agit à chaque fois d’enregistrements. J’ai commencé à le faire hier soir en m’énervant sur France Info (je n’ai pas entendu ce que ça a donné ce matin à l’antenne, si vous avez des infos...), justement chez Morandini sur Direct 8 (ça passe ce soir à 19h sur le câble), sur RFI (ça passe dimanche) et Le Figaro (ça passe lundi). Mon message est plutôt simple. Comme je vous l’ai dit, je suis plutôt contre la publication de ces résultats, tout en étant conscient des problèmes sous-jacents. En revanche, je trouve honteux l’emballement médiatique autour de cette affaire qui, pour moi, constitue un épiphénomène par rapport à l’omerta médiatique que nous avons eue au moment de l’organisation du débat sur Internet avec les candidats à la présidentielle.
Personnellement cette histoire me semble mille fois moins importante pour la démocratie que le débat qui a échoué. Si, dans les deux cas, on contourne la loi, dans un cas on l’aurait contournée pour un enjeu démocratique qu’une grande partie de la population aurait certainement souhaité, dans l’autre cas pour fausser un peu le scrutin et, pour certains, se faire de la pub.
Mais alors, pourquoi deux poids et deux mesures ? Plusieurs raisons, à mon sens.
Certains journalistes voient encore Internet comme un concurrent plutôt que comme un média complémentaire. Ainsi, quand le débat ne peut pas se faire à la télévision, certainement pour des raisons politiques d’ailleurs, il n’est pas question alors qu’il se fasse sur Internet... Donc il n’y a aucun intérêt à relayer cette affaire... Cela n’aurait-il pas donné une image trop positive à Internet qui aurait, pour une fois, permis de mettre en place quelque chose de constructif et sain ? Non, Internet doit rester un univers sombre, sulfureux et malsain. Internet doit rester le médium qui permet de contourner les lois et qui pourrait presque altérer le vote dimanche... N’oublions pas que pendant des années, Internet a été caricaturé comme l’univers privilégié des terroristes, des pédophiles et des pornographes... Ainsi, quand un seul candidat décide que le débat ne doit pas avoir lieu à la TV, de facto il arrive aussi à empêcher qu’il puisse se faire sur Internet...
Le Monde et les consignes de vote
Dans ce contexte absurde, Le Monde en profite pour nous refaire le coup de la bipolarisation et nous ressort de la naphtaline l’effrayant Segolas Sarkolène qu’on avait presque oublié... Encore une fois, je partage assez l’analyse de Daniel Schneidermann qui nous rappelle que « Colombani n’appelle pas à voter Royal. Il appelle à un second tour Royal-Sarkozy, ce qui est différent. Implicitement, il reconnaît à ses lecteurs sarkozystes le droit inaliénable de voter Sarkozy. Ils apprécieront. Sur le débat Sarkozy-Royal, il ne se prononce pas. »
Le petit théâtre vient de terminer son spectacle : après X mois de bipolarisation, et après avoir joué avec la figure du troisième homme qu’on a fait monter et descendre au gré de sondages plus ou moins fantaisistes, nous revoilà à nouveau avec notre beau binôme initial... Le spectacle est terminé, il n’y a plus rien à voir, allez voter Nicolas ou Ségolène... Et taisez-vous...
L’ancien journaliste de Libération, Pascal Riché s’étonne quant à lui du fait que Le Monde ait choisi des journalistes étrangers pour dresser les portraits des deux candidats... D’autres internautes, comme le rappelle Page 2007, appellent carrément au boycott du journal.
D’ailleurs, Le Monde a joué un rôle curieux dans l’organisation du fameux débat qui n’a pas eu lieu sur Internet. Sa position a toujours été très ferme et intransigeante : soit nous proposons un débat à quatre, soit nous ne proposons rien du tout, car il est impossible de proposer quelque chose d’équitable aux douze candidats. Eux-mêmes rappellent qu’il « était plus réaliste de se tenir à cette liste de quatre noms ». Pourtant, il était absolument certain que Nicolas Sarkozy refuserait le débat à quatre. Il n’a jamais cessé de le rappeler. Pour quelle raison devrait-il changer d’avis ? « En raison de l’énorme buzz médiatique que nous allons créer tous ensemble », me répondit-on... On l’a vu, l’énorme buzz médiatique...
En conclusion...
A la différence de monsieur Colombani, je ne donnerai aucune consigne de vote. La seule consigne que je vais donner, à ceux qui veulent bien l’entendre, c’est déjà d’aller voter, et surtout de voter pour celle ou celui qui pourrait le mieux casser la connivence politico-médiatique qui existe en France et qui pourrait s’accélérer de manière fulgurante après les élections. Vous connaissez les candidats, leurs programmes et leurs prises de position à ce sujet. Votez donc en votre âme et conscience.
Carlo Revelli
Président directeur - général,
AgoraVox
De retour, le lundi 23 avril 2007