Trois scandales mettant en cause des membres de l'entourage de George W. Bush vont hanter cette semaine la Maison Blanche. Le premier compromet le chef de cabinet de la Maison-Blanche, Karl Rove, qui a « égaré » quatre ans de courriels - une affaire qui a déjà été qualifiée de « DogAte », pour « the dog ate my emails » (le chien a mangé mes courriels). Le deuxième : le 18 avril, le ministre de la justice Alberto Gonzales, auteur des limogeages de sept procureurs, doit témoigner devant le comité judiciaire du Sénat pour tenter de sauver sa place. Son témoignage pourrait faire tomber celui qui a été qualifié de Raspoutine de la dynastie Bush, Karl Rove. Le troisième : le mea culpa de l'architecte de la guerre en Irak, Paul Wolfowitz, déjà hautement controversé au sein de l'institution, n'a toutefois pas convaincu les employés. Le Financial Time écrit, en éditorial : « Wolfowitz must be told to resign now ! » Selon George W. Bush, les États-Unis ne peuvent pas admettre la défaite de leurs troupes en Irak, car cela signifierait une menace terroriste pour l’Amérique elle-même, rapporte le correspondant de RIA Novosti. « L’échec en Irak signifierait la mort et les destruction au Proche-Orient, mais aussi ici en Amérique », a-t-il déclaré, intervenant à la Maison-Blanche. La partie de bras-de-fer avec le Congrès se poursuivra au cours de la semaine.
En privé, certains conseillers reconnaissent que l’accumulation de problèmes va au-delà des déboires qui affectent si souvent les présidents américains au cours de leurs seconds mandats.
Le « DogAte »
Il ne fait aucun doute que l’homme a fière allure. Ses talents sont multiples : forte prestation en public, connaissances érudites de la politique et des sondages, pratiques du pouvoir aux plus hauts sommets. L’ascension fut longue. La descente aux enfers vient de commencer. Il pourrait sombrer avant son président. Karl Rove avait la réputation de préférer œuvrer dans l’ombre ; il ne craint visiblement pas les feux de la rampe quand il le faut. L’épisode de Karl Rove en rappeur vaut le détour.
Selon le portrait que dresse de lui Wikipedia, Karl Rove serait membre d'une famille de cinq enfants, Karl Rove est né dans une famille ouvrière de l'ouest du pays, son père étant prospecteur de minerai et sa mère tenant le foyer. Celle-ci se suicidera au début des années 1980. Après un passage à Las Vegas, il passe sa jeunesse à Salt Lake City. Karl Rove est pourtant passé par six universités sans décrocher le moindre diplôme. Il rejoint le Parti républicain. Travailleur acharné, transportant dans sa tête une encyclopédie politique et électorale, Karl Rove possède une réputation de tricheur, de tueur politique et de fidélité totale à ses patrons. La famille Bush l'apprécie beaucoup. Malgré son influence et trente ans d'amitié, Rove se défend pourtant d'être un Raspoutine de la dynastie Bush. Certains observateurs pensent qu’il aurait même politiquement « créé » le président George W. Bush.
Karl Rove rêvait d’instaurer aux États-Unis une majorité permanente qui réduirait les démocrates à un rôle d'opposition à vie. «L’architecte» des présidentielles de 2004, selon Georges Bush, n’a pas eu la même heure de gloire lors des dernières élections présidentielles qui ont ramené une majorité démocrate dans la vie politique américaine. Rove n’est l’unique responsable de la déconfiture républicaine. Il ne fait pas partie des idéologues qui ont voulu la guerre en Irak. Il n’a fait qu'exploiter les peurs et les divisions des électeurs. Et cela n'aura duré qu'un temps.
Depuis quelques mois, il semble qu’il ait survécu à plusieurs à plusieurs controverses : l'affaire Valerie Plame, qui a causé la perte de Lewis (Scooter) Libby, ancien chef de cabinet du vice-président et celle qui couve depuis plusieurs semaines, l'affaire du ministre américain de la Justice, Alberto Gonzales. Pour le sénateur démocrate Chuck Schumer, il ne fait aucun doute que Karl Rove doit témoigner devant le Congrès et détailler le rôle qu'il a joué, notamment, dans l'affaire Gonzales. Georges Bush s’y oppose. Pour combien de temps encore ?
La loi de 1978 sur les archives présidentielles (Presidential Records Act) est très claire : tous les e-mails échangés par la Maison Blanche doivent être archivés de manière permanente, essentiellement pour des raisons historiques. L’équipe Bush a préféré contourner la législation en utilisant les comptes du comité national républicain (Republican National Committee) qui, eux, peuvent être supprimés.
Le principal intéressé, par cette grave entorse, n’est autre que Karl Rove, conseiller de George W. Bush, qui a utilisé ses comptes e-mail et Blackberry fournis par le Republican National Committee pour la plupart de ses échanges électroniques.
Des courriers électroniques liés au limogeage de huit procureurs fédéraux en décembre pourraient avoir été perdus. Des sénateurs réclament au gouvernement fédéral de produire de nouveaux documents dans cette affaire, considérée comme une purge politique par la nouvelle majorité démocrate au Congrès.
Pourtant, comme l’exige la loi fédérale, la Maison Blanche était tenue de conserver les communications électroniques envoyées ou reçues par son personnel. Pire. Le personnel œuvrant directement pour le bureau du Président doit utiliser uniquement les services de messagerie gouvernementaux pour toute communication de nature officielle, une adresse se terminant par whitehouse.org.
Les démocrates ont la conviction que, de 2001 à 2005, Karl Rove s'est servi d'une adresse du Comité national républicain pour ses communications électroniques. Parmi ces courriels, certains porteraient sur le congédiement des procureurs fédéraux.
La Maison Blanche vient de reconnaître que des courriers électroniques liés au limogeage de huit procureurs fédéraux en décembre pourraient avoir été perdus. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, l’administration Bush reconnaît en effet bêtement avoir pris l’habitude de supprimer certains e-mails et informations électroniques au cours des six dernières années mais déclare du même souffle n’avoir aucune idée de la quantité de données perdues.
L'hypothèse d'une perte de ces courriels a été jugée invraisemblable par le président du comité judiciaire du Sénat, le démocrate Patrick Leahy, chargé de l'enquête parlementaire sur les limogeages. « On ne peut pas faire disparaître des courriels, pas de nos jours. Ils sont passés par trop de serveurs », a lancé le sénateur Leahy. « Ces courriels existent, ils [La Maison Blanche] ne veulent tout simplement pas les fournir. Nous lancerons une assignation pour qu'ils les produisent, s'il le faut », a insisté le sénateur du Vermont.
Comme le rapporte le correspondant du quotidien La Presse à New York, Richard Hëtu : « Le démocrate Patrick Leahy, président du comité judiciaire du Sénat, a ridiculisé l'hypothèse de la Maison-Blanche. « C'est comme le fameux trou de 18 minutes sur les bandes magnétiques de la Maison-Blanche sous Nixon ». Tout en établissant ce parallèle, poursuit Richard Hëtu, avec le scandale du Watergate, le sénateur a comparé l'attitude de la Maison-Blanche à celle des écoliers qui rentrent à l'école en disant à leur professeur : « Mon chien a mangé mon devoir. » Il n'en fallait pas plus pour que des blogueurs donnent au nouveau scandale le nom de « DogAte ».
Le sénateur Leahy et un autre membre du comité judiciaire, le républicain Arlen Specter, ont précisé qu'ils étaient prêts à s'entendre avec la Maison Blanche afin qu'un expert indépendant soit désigné pour retrouver les courriels. Depuis deux jours, la Maison Blanche refuse de dire si elle croit que les courriels peuvent être récupérés ou pas. Devant des journalistes, M. Leahy a ironisé : "Je connais un jeune adolescent dans mon quartier qui peut les retrouver pour eux !"
L’Affaire Alberto Gonzales
En octobre 2006, le président Bush informait Gonzales que plusieurs dirigeants du Parti républicain se plaignaient des procureurs fédéraux qui refusent de poursuivre énergiquement les enquêtes sur la « fraude électorale ». Dans le jargon des néoconservateurs, cela veut dire qu’ils accordent trop facilement le droit de vote aux Américains des minorités ethniques, et surtout aux Afro-américains. Quelques semaines plus tard, sept procureurs étaient mis au rancart.
Le New York Times du 11 mars décrit Alberto Gonzales comme le « consigliere de la présidence impériale de M. Bush. Plus que toute autre personne au gouvernement, à l’exception du vice-président Dick Cheney, M. Gonzales symbolise le mépris de M. Bush envers la séparation des pouvoirs, les libertés civiques et l’État de droit ». Le quotidien appelait à sa démission.
Cette question des courriels perdus risque de rebondir au grand plaisir des démocrates : le ministre de la Justice, Alberto Gonzales, est contraint de s'expliquer devant le Sénat sur cette éviction de huit procureurs fédéraux, victimes d’une purge administrée par la Maison-Blanche. Une commission du Sénat doit en effet interroger, dans une session qui se voudra musclée, un ministre de la Justice de plus en plus ébranlé sur le rôle de la Maison Blanche dans la mise à l’écart de huit haut magistrats chargés d’appliquer la politique fédérale dans leur district. L'enquête prend une ampleur inattendue depuis que la Maison Blanche a reconnu que plusieurs conseillers politiques, dont Karl Rove, pourraient s'être servis de leurs comptes courriels du Parti républicain pour des échanges ayant trait à la politique fédérale, au lieu d'utiliser leurs comptes courriels officiels de l'administration fédérale. Les sénateurs pourraient se concentrer sur l’implication possible de l’éminence grise de M. Bush.
L’Affaire Wolfowitz
« Il est temps pour M. Wolfowitz de partir », a affirmé le New York Times après que les représentants des pays membres de Banque mondiale (BM) eurent eux-mêmes jugé « très préoccupante » la polémique en cours. Ils ont toutefois prévenu qu'ils ne jugeraient pas M. Wolfowitz avant qu'une enquête plus approfondie ne soit terminée. Le personnel de la banque n’a pas tardé à remettre en question sa gouvernance. Il ne fait aucun doute que ce scandale ravive la controverse sur sa nomination à la tête de la Banque Mondiale mi-2005 par l'administration américaine, et le ressentiment persistant sur son rôle dans l'invasion américaine en Irak alors qu'il était secrétaire adjoint à la Défense.
La conseillère fédérale de Suisse, Doris Leuthard, qui assistait à l'assemblée de la Banque mondiale (BM), doute qu'il soit encore possible à Paul Wolfowitz de diriger l'institution. « L'atteinte à l'image pourrait être d'autant plus grave que cette institution promeut justement la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption » a rappelé Doris Leuthard. Le ministre du développement néerlandais, Bert Koenders, a déclaré que « la controverse avait placé la BM dans une situation de crise qui doit être réglée rapidement ». « Il est temps que le conseil d’administration montre la porte à Wolfowitz », a déclaré Eric Gutirrez, coordinateur de la politique internationale à ActionAid. « Il est absolument hypocrite de la part de la Banque mondiale de s’élever contre la corruption dans les pays pauvres alors que son président est enlisé dans un scandale de corruption » (LEMONDE.FR avec Reuters - 16.04.07).
Dans leur communiqué final, les ministres des 185 Etats membres de la BM ont jugé « très préoccupante » la polémique en cours sur Paul Wolfowitz. Ce dernier, de son côté, vient de renvoyer la balle dans le camp des pays membres. « Il est très important que les pays donateurs tiennent les promesses faites sur la poursuite de l’aide et l’annulation de la dette sur la base d’un dollar pour un dollar », a-t-il affirmé. (Source : L'Économiste )
Comme l'écrivait un observateur, cette question de la démission du président de la Banque mondiale doit se régler rapidement. La suite suivra probablement la pente d’un rapport de force entre ceux qui se sentent la mission de diriger la Banque contre vents et marées et ceux qui sont dirigés par la Banque et qui n’ont pas voix au chapitre. Dans l’immédiat et dans l’absolu, la force est en passe de trancher. L'observateur cite cette maxime : « Le fer est fort, mais le feu le fond. Le feu est fort, mais l’eau l’éteint ». Cette crise, et c’est peu dire, ébranle, secoue l’institution jusque dans ses fondements.
Faisant fi de « la grande inquiétude » exprimée par le comité du développement de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), le président de la Banque, Paul Wolfowitz, a campé sur ses positions, affirmant qu’il n’avait pas l’intention de démissionner malgré la controverse provoquée par une affaire de népotisme. La Maison Blanche a maintenu son soutien à M. Wolfowitz, soulignant qu’il faut se garder de tout jugement tant que le conseil d’administration de la BM n’a pas fini d’examiner le dossier. Paul Wolfowitz pourrait théoriquement rester en place jusqu'en 2010 car il n'existe pas de procédure de destitution. Mais ce n'est pas sûr : « Avec les gouverneurs de la Banque mondiale, nous avons beaucoup discuté de ce qu'il était possible de faire si le directeur ne partait pas de lui-même », a précisé Doris Leuthard devant la presse suisse réunie dans la capitale américaine (LEMONDE.FR avec Reuters, Agences/cab/boi - 16.04.07).
Conclusions
Gonzales fera-t-il tomber Karl Rove ?
Le président Bush lâchera-t-il, au coeur de la tourmente, Gonzales et Wolfowitz ?