lundi 26 mai 2008

Dans l’affaire d’Omar Khadr, la Cour suprême reproche au Canada d’avoir failli à ses obligations

Je voudrais revenir sur un sujet qui a abondamment été traité sur ce blogue. L’affaire Omar Khadr. Le cas de cet enfant soldat, lâchement abandonné par le Canada, le seul occidental détenu à Guantanamo, emprisonné depuis l’âge de 15 ans, Omar Khadr, ne fait aucun doute. Soupçonné d’être un membre d’Al-Qaïda et accusé d’avoir tué un soldat américain en lançant une grenade lors de son arrestation, Omar Khadr a été inculpé de meurtre, tentative de meurtre, complot, soutien au terrorisme et espionnage. Et le comportement du Canada, aligné sur le déni des droits voulu et mis en place par Georges W. Bush, est apparu clairement lorsque les autorités américaines ont rejeté la demande de Robert Badinter qui s’est proposé pour assister au procès du jeune Khadr à Guantanamo.

La lâcheté du gouvernement du Canada vient d’être sanctionnée par une décision unanime de la Cour suprême. Si cette dernière ne se prononce pas sur la légitimité de la procédure judiciaire à Guantanamo, elle rappelle toutefois que la Cour suprême des États-Unis a elle-même jugé cette procédure contraire aux conventions internationales sur les droits de la personne, dont le Canada est signataire. L’enjeu est de taille : Omar Khadr pourrait être condamné à la prison à vie s’il était reconnu coupable des accusations auxquelles il fait face. Il est considéré par les États-Unis comme un ennemi combattant.

Il est important de préciser que cette lâcheté n’est pas le fait exclusif du gouvernement conservateur minoritaire de Stephen Harper. Les libéraux de Stéphane Dion, avant l’arrivée au pouvoir de Stephen Harper, n’ont pas démontré plus de courage. Les libéraux Bill Graham et Pierre Pettigrew, ministre des Affaires étrangères pendant cette période, ont gardé le même silence à l’égard de cette affaire qui leur apparaissait embarrassante.

Le parti conservateur se fait fort de rappeler, à Stéphane Dion, les déclarations du porte-parole officiel des affaires consulaires de son groupe parlementaire, Dan McTeague : « Les accusations portées contre M. Khadr après près de quatre années d’incarcération à Guantanamo Bay sont considérables. Bien sûr, nous avons la responsabilité de veiller à qu’il ne fasse l’objet d’aucun mauvais traitement » (Émission Mike Duffy Live, réseau CTV Newsnet, 8 novembre 2005). C’est sous le règne du gouvernement libéral que des documents compromettants ont été transmis aux États-Unis pour appuyer leurs démarches.

Dans une décision unanime, les juges du plus haut tribunal au pays écrivent : « En mettant à la disposition des autorités américaines le fruit de ses entretiens avec M. Khadr, le Canada a participé à une procédure contraire à ses obligations internationales en matière de droits de la personne ». Entre 2002 et 2004, des responsables du Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) ont interrogé Omar Khadr puis relayé l’information aux autorités américaines. Après avoir reçu ces informations, les Américains ont porté des accusations contre Omar Khadr. Les avocats d’Omar Khadr réclamaient communication de ces documents qui avaient été remis à Washington. Face à cette situation, particulièrement odieuse, la Cour suprême s’est dite en mesure, encore une fois, dans une décision unanime, de : « conclure que les règles relatives à la détention et à la tenue d’un procès qui s’appliquaient à M. Khadr lorsque le SCRS l’a interrogé constituaient une atteinte manifeste aux droits fondamentaux de la personne reconnus en droit international ».

Dans son jugement, le tribunal s’appuie sur des décisions rendues par la Cour suprême des États-Unis qui s’est penchée sur les conditions de détention et de mise en accusation « qui avaient cours à Guantanamo lorsque les responsables canadiens ont interrogé M. Khadr puis relayé l’information aux autorités américaines, entre 2002 et 2004 ». La Cour américaine avait conclu à l’illégalité de la détention et à la contravention des Conventions de Genève, qui encadrent les droits des individus en cas de conflit armé.

Si un Canadien en mission à l’étranger accepte les lois du pays d’accueil, il n’a donc pas à les accepter lorsqu’il s’agit de participer à une procédure contraire aux obligations internationales du Canada en matière des droits de la personne.

Les juges considèrent que ces documents, transmis par le Canada aux autorités américaines, doivent être divulgués. Les juges ordonnent en conséquence au gouvernement canadien, de même qu’au Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS) et à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de divulguer des documents réclamés par les avocats de Khadr afin de préparer sa défense devant la commission militaire américaine, où il sera bientôt traduit pour meurtre. Toutefois, la Cour suprême accorde un accès partiel aux interrogatoires menés par des représentants canadiens et à tout renseignement découlant de ces entretiens remis aux autorités américaines. En effet, il appartiendra à un juge de la Cour fédérale d’évaluer la pertinence de ces documents et de décider si leur communication respecte les règles sur la sécurité nationale. Restriction qui déçoit les avocats du jeune détenu. « Nous n’allons pas obtenir la plupart des documents que nous voulions », a indiqué Nathan Whitling, l’un des avocats de Khadr qui n’avait que quinze lorsqu’il a été interrogé, pour la première fois, par les responsables du Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS).

Paul Champ, l’un des avocats de l’Association pour les libertés civiles de la Colombie-Britannique, croit que cette décision réaffirme que le Canada est un état fondé sur les droits de la personne et que les représentants canadiens, peu importe où ils se trouvent sur la planète, doivent respecter les droits humains fondamentaux. Pour leur part, les associations de lutte pour les droits de la personne accusent Ottawa d’être complice du malheur d’Omar Khadr, seul citoyen d’un pays occidental toujours détenu dans la prison américaine de Guantanamo, à Cuba. Elles font valoir que le gouvernement a des obligations envers le jeune homme non seulement parce qu’il est citoyen canadien, mais aussi parce qu’il était mineur au moment des faits qui lui sont reprochés.

À la lumière de cette décision, le chef de l’opposition libérale, Stéphane Dion, devrait réfléchir aux propos que tenait, devant le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, à la Chambre des communes, le sénateur Roméo Dallaire. Selon ce dernier, le Canada et les États-Unis avaient violé les droits de la personne et les conventions internationales dans leur façon de traiter Khadr, et ils ne valaient pas mieux que ceux qui ne croient en aucun droit. Washington ignore ses propres lois en poursuivant Khadr et Ottawa fait de même en refusant de se battre pour le retour du ressortissant au pays, avait déclaré le sénateur Dallaire. Pour ce dernier, Khadr est une victime, un enfant-soldat qui devrait être réhabilité et réintégré à la société, plutôt que d’être traduit en justice devant ce qu’il considère être un tribunal illégal. Le chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion, avait affirmé être en désaccord avec le choix des mots de M. Dallaire, et avait laissé entendre que le sénateur libéral pourrait être discipliné.

Pourtant, devant ce même sous-comité, le président de l’Association du Barreau canadien (ABC), Bernard Amyot, avait lui-même déclaré que les tribunaux militaires siégeant à Guantanamo ne respectent ni la primauté du droit ni les droits de la personne : « Sanctionner la preuve secrète, sanctionner de la preuve obtenue par de la torture, faire obstacle au droit de consulter un avocat, et créer des crimes ex post facto constituent des dénis de justice, anéantissant toute possibilité de tenir un procès équitable », avait déclaré Me Amyot. Selon le président de l’Association du Barreau canadien : « les mauvais traitements infligés à Omar Khadr violaient les normes internationales que le Canada avait toujours respectées ».

En terminant, le président de l’Association du Barreau canadien (ABC), Bernard Amyot, qui était accompagné de Lorne Waldman, spécialiste du droit de l’immigration à l’ABC, et de David Matas, avocat spécialisé dans les questions d’immigration, avait déclaré que le Canada ne respectait pas le protocole facultatif à la Convention internationale des droits de l’enfant dont il est signataire. Il ne respectait pas non plus le protocole international sur les enfants soldats, pas plus que son propre guide des Affaires étrangères pour les Canadiens prisonniers à l’étranger, sans compter qu’il violait la Convention internationale sur les détentions arbitraires.

Ce que vient de confirmer la Cour suprême du Canada.

(Sources : AFP, Reuters, Cyberpresse, La Presse Canadienne)

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