lundi 19 mai 2008

Canada - Les jeunes contrevenants ont droit à une présomption de culpabilité morale moins élevée

Après avoir analysé une décision de la Cour suprême de Californie, cédons maintenant la place à une analyse de la dernière décision de la Cour suprême du Canada, rendue le 16 mai dernier, sur Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (« LSJPA »). Le plus haut tribunal du pays a jugé inconstitutionnelle la loi qui force les adolescents coupables de crimes graves à démontrer pourquoi ils ne devraient pas se voir imposer des sentences d’adultes. Selon la Cour suprême du Canada, le principe d’une présomption morale moins élevée chez les adolescents est essentiel à notre conception du bon fonctionnement du système de justice. Cette loi avait été adoptée par le gouvernement libéral de Jean Chrétien. Depuis, et avant le jugement de la Cour suprême, Ottawa souhaitait que les délinquants âgés de plus de 14 ans - et reconnus coupables de crimes graves - soient automatiquement traités comme des adultes. Ce jugement de la Cour suprême du Canada pourrait freiner les ardeurs du gouvernement minoritaire conservateur qui avait promis, lors de la dernière campagne électorale, de rendre plus sévères les peines imposées aux jeunes contrevenants.

La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) est en vigueur le 1er avril 2003. Cette loi a remplacé celle sur les jeunes contrevenants. Elle constitue un élément important de l’Initiative sur le renouvellement du système de justice pour les jeunes lancée en 1998. Dans son préambule, la loi précise les responsabilités qui incombent à la société et aux adolescents dans le domaine de la criminalité chez les jeunes. Les principes affirment que les objectifs les plus importants du système de justice pénale pour les adolescents sont les suivants :

  • prévenir le crime;
  • assurer la réadaptation et la réinsertion des adolescents dans la société;
  • prévoir des conséquences réelles pour les infractions commises par les adolescents.

La loi précise également les peines imposées aux adolescents dans le but de les responsabiliser par des interventions justes, en prévoyant des conséquences réelles, et de promouvoir la réadaptation et la réinsertion sociale.

L’adoption de cette loi avait suscité un vif débat. Au Québec, le gouvernement de Bernard Landry avait dénoncé son adoption affirmant que cette dernière ne cadrait pas avec les valeurs québécoises de réhabilitation. L’Assemblée nationale avait rejeté unanimement ce projet de loi fédéral. L’Association canadienne de justice pénale s’était, pour sa part, interrogée sur les objectifs et les résultats escomptés par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents : « La nouvelle loi prétend offrir le meilleur des deux mondes, à savoir une plus grande répression dans le cas des infractions perpétrées avec violence et des récidivistes, et une plus grande déjudiciarisation pour les délits mineurs ». Selon l’Association canadienne de justice pénale, cette loi : « représente la plus récente tentative du gouvernement fédéral de trancher une question qui suscite la controverse et anime les passions depuis plusieurs décennies : doit-on réhabiliter les jeunes en conflit avec la loi ou plutôt favoriser une plus grande répression? »

La particularité de cette loi réside dans le fait que, dans le cas d’un crime grave, l’adolescent écope automatiquement d’une peine pour adulte. Pour éviter cette décision, il appartient à l’adolescent de prouver qu’il devrait être traité comme un jeune contrevenant. Avant 2002, c’était à la Couronne de démontrer que le jeune devait être considéré comme un adulte. Il appartenait également à l’adolescent de démontrer que son identité ne devait pas être dévoilée.

La Cour d’appel du Québec, dans décision de 2003, avait déclaré inconstitutionnel le renversement de la preuve. L’Ontario également. La Cour suprême du Canada, dans une décision de cinq voix contre quatre, a décidé que ce renversement du fardeau de la preuve contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés. Elle rejoint ainsi la décision de la Cour d’appel du Québec.

En décembre 2003, un adolescent, âgé de 17 ans, surnommé D.B. et résidant à Hamilton, en Ontario, a agressé un autre adolescent, âgé de 18 ans. Ce dernier avait refusé toute altercation. L’intimé l’a alors agressé et roué de coups. La victime s’est écroulée et l’intimé a continué de la frapper, lui assénant quatre autres coups de poing au visage et au cou. La victime a perdu connaissance et est morte le lendemain. Au moment de l’agression, l’intimé était sous le coup de deux ordonnances de probation. L’adolescent a plaidé coupable d’homicide involontaire et le ministère public a demandé une peine de cinq ans, applicable aux adultes, en raison de la gravité de l’infraction. Une peine pour adolescent est d’un maximum de trois ans. Le jeune a plaidé que le renversement du fardeau de la preuve violait un droit de justice fondamentale, un droit prévu par la Charte des droits, c’est-à-dire le droit à la présomption de culpabilité morale moins élevée. L’adolescent avait finalement été traité comme un mineur par la Cour et il a fini de purger sa peine. C’est sur ce cas que s’est penché la Cour suprême du Canada.

Dans une décision partagée, rédigée par la juge Abella, les cinq juges majoritaires notent que : « La question […] est toutefois celle de savoir à qui incombe le fardeau de prouver qu’une peine applicable aux adultes est justifiée. […] Si l’adolescent ne réussit pas à convaincre le tribunal que la peine spécifique est d’une durée suffisante compte tenu des éléments énoncés au paragraphe 72(1) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA), une peine applicable aux adultes doit lui être infligée. […] Cela a clairement pour effet d’empêcher l’adolescent de bénéficier de la présomption de culpabilité morale moins élevée fondée sur l’âge. Du fait qu’elles privent les adolescents du bénéfice de cette présomption à cause de l’infraction qu’ils ont commise et en dépit de leur âge, et qu’elles les obligent à prouver qu’ils continuent d’avoir droit aux protections procédurales et substantielles dont ils devraient bénéficier en raison de leur âge, les dispositions relatives au fardeau de la preuve violent un principe de justice fondamentale ».

Au paragraphe 62, du jugement de la Cour suprême, on peut y lire : « Il est largement reconnu que l’âge influe sur le développement du jugement et du discernement moral ». Les juges majoritaires citent à l’appui de leur décision le commentaire du professeur Allan Manson selon lequel le principe général qui s’applique aux jeunes contrevenants […] veut qu’un manque d’expérience de la vie justifie qu’on fasse preuve de clémence et d’optimisme quant à l’avenir » (The Law of Sentencing (2001), p. 103-104). Ils citent également le professeur Nicholas Bala selon qui « le sens du jugement moral qu’ont les adultes n’est pas complètement développé chez les adolescents et encore moins chez les enfants. Les adolescents n’ont pas non plus la capacité intellectuelle d’évaluer pleinement les conséquences de leurs actes. Dans de nombreux contextes, les jeunes ne sont pas conscients de la portée et des conséquences de leurs actes, et ils peuvent être incapables de s’identifier aux éventuelles victimes de leurs actes fautifs. […] En raison de leur manque de jugement et de leur imprévoyance, les jeunes ont tendance à être de piètres criminels et, du moins comparativement aux adultes, ils sont relativement faciles à appréhender. […] Cela revient à dire non pas que les contrevenants adolescents ne devraient pas être moralement ou légalement responsables de leurs actes criminels, mais seulement que leur responsabilité devrait être plus limitée que dans le cas d’un adulte ».

Comme le souligne la juge Abella, l’arrêt ne signifie cependant pas qu’un adolescent ne peut pas être assujetti à une peine applicable aux adultes. « Il se peut que la gravité de l’infraction et la situation de l’adolescent qui l’a commise justifient que celui-ci le soit malgré son âge », écrit-elle.

Les quatre juges minoritaires Rothstein, Bastarache, Charron et Deschamps considèrent pour leur part que la Loi ne viole pas la Charte canadienne des droits et libertés. Selon les juges minoritaires, les dispositions incriminées de la loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne violent pas la Charte canadienne des droits et libertés et ne sont donc pas inconstitutionnelles, parce que le législateur a donné aux adolescents la possibilité de convaincre le tribunal qu’il n’y a pas lieu d’appliquer des peines d’adultes. Selon ces derniers, il n’y a pas de consensus sur cette question dans la société.

Le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, s’est dit « déçu » de la décision de la cour et de ses incidences. Il a réitéré l’engagement du gouvernement minoritaire conservateur de « s’assurer que les peines imposées sont proportionnelles à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ».

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