Le mardi 6 mai 2008 aurait dû être un jour heureux dans la vie du président Nicolas Sarkozy. Le premier anniversaire de son élection sera marqué par des sondages plus pessimistes les uns que les autres. Douze mois après son élection triomphale (53,06%), le tableau est morose. La cote de popularité du président est toujours au plus bas en dépit de sa récente intervention télévisée : 38% seulement des Français lui font « confiance » contre 57% de non, selon un sondage CSA Le Parisien-i télé vendredi.
Comme si cela ne suffisait pas, le président, dans les derniers sondages, semble entraîner François Fillion dans la spirale de l’impopularité. En effet, le Premier ministre glisse progressivement dans le sillage présidentiel : 51% des Français ne lui font pas confiance. Son décrochage - une chute de huit points par rapport à avril - ne lui fait « ni chaud ni froid », a déclaré François Fillion devant l’American Jewish Committee (AJC), dont il était l’invité d’honneur pour son 102e Congrès annuel, à Washington. Déclaration particulièrement odieuse, s’il en est une. « Quand on gouverne et qu’on réforme un pays, surtout au début, on a forcément à affronter une certaine impopularité », soutient le Premier ministre. Avec une pareille désinvolture à l’égard des préoccupations du peuple, François Fillion ne risque pas de remonter de sitôt sa cote de popularité. L’hebdomadaire L’Express s’interroge à bon escient : « Nicolas Sarkozy et François Fillon auraient-ils éprouvé au terme d’un an de pouvoir les limites de leur partenariat, plus complémentarité qu’osmose? »
Nicolas Sarkozy confessait le 24 avril dernier avoir commis des « erreurs ». Aussitôt, renchérissait François Fillion : « J’assume ma part d’erreur ! » dans Le Journal du dimanche. Son « tort », selon lui, est d’avoir laissé les critiques de la gauche prospérer à propos du paquet fiscal, d’autant que le chef de l’État n’a pas supporté de se voir accusé d’avoir fait « une politique pour quelques-uns ». Cela étant dit, le « ni chaud ni froid » du Premier ministre, à Washington, ne s’élève au-dessus des meilleures déclarations politiques entendues au cours de la dernière année. Si Nicolas Sarkozy est vu comme un « hyperprésident », force est de constater que son premier ministre, François Fillon, peine à exister. Si le Premier ministre ne bénéficie plus d’un transfert de confiance dans l’opinion, il sera la victime expiatoire idéale, soufflait une source gouvernementale à L’Express.
C’est sur le front économique que les nouvelles sont les plus inquiétantes. Montée de l’euro et du prix du pétrole, inflation, crise du marché immobilier américain : le « choc de croissance » espéré n’est plus d’actualité. Et les Françaises et les Français en sont conscients. Selon une enquête, réalisée au lendemain de l’intervention télévisée du chef de l’État, 30% seulement des Français (dont 54% de sympathisants de droite) pensent que le président va terminer son mandat sans difficultés majeures, et 8% ne se prononcent pas (NSPP). Le pessimisme est nettement au rendez-vous : 62% des Français pensent que la France va traverser une grave crise d’ici la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, selon un sondage CSA réalisé pour Marianne. Et comme l’indique AFP : « Le ton du président est loin de celui du vainqueur du second tour de la présidentielle - avec 53,06 pour cent des voix face à Ségolène Royal - qui prêchait la « rupture » et le volontarisme pour aller « chercher (ce) point de croissance » qui manque à la France ».
En pleine morosité, plus d’un Français sur deux (52%) pense que sa situation personnelle sera moins bonne en 2012 qu’aujourd’hui, et 68% des personnes interrogées pensent que leur pouvoir d’achat aura encore diminué en 2012. Plus que jamais, selon l’expression de François Fillon, les « caisses sont vides ». L’État doit se serrer la ceinture pour espérer tenir ses engagements européens. Et selon le Front monétaire international, présidé par Dominique Strauss-Kahn, « les prévisions que le FMI a faites pour l’économie française sont en dessous des prévisions que fait le gouvernement ». Parmi les 62% qui pensent que le pays va traverser une grave crise d’ici 2012, figurent 75% de sympathisants de gauche, 60% de sympathisants du MoDem et 41% de sympathisants de droite. Face à de tels résultats, faut-il se surprendre que 64% des personnes interrogées pensent que la société française sera plus divisée qu’aujourd’hui?
Seulement 30% des personnes interrogées croient que le président « va terminer son mandat sans difficultés majeures ». Et seulement 49% des personnes interrogées souhaitent que Nicolas Sarkozy « garde François Fillon » comme Premier ministre jusqu’à la fin de son mandat. « Ca fait un an presque, dans quelques jours, que le Président de la République a été élu et je pense que dans les jours qui viennent on va voir fleurir mille articles et commentaires sur le bilan », a déclaré de Washington François Fillion. « Sans doute les procureurs seront plus nombreux que les avocats. Moi, vous savez, je fais un peu de course automobile, je fais des courses d’endurance. Quand on fait une course d’endurance, on fait pas le bilan au début de la course, on le fait plutôt à la fin », a déclaré le Premier ministre.
Nicolas Sarkozy n’aura, semble-t-il, d’autre choix que de mettre davantage son Premier ministre en avant-scène pour se concentrer lui-même sur les gros dossiers et être plus présent sur la scène nationale, alors que la présidence de l’Europe, à partir du 1er juillet, risque de l’éloigner des Français. Il semblerait que François Fillion deviendra le globetrotteur de la République, en lieu été place du président (depuis son entrée en fonction, Nicolas Sarkozy a parcouru 268.000 km). Selon France-Soir : « l’agenda diplomatique du Premier ministre comporte un nombre impressionnant de dates d’ici l’été : déplacements en Europe (Chypre, Malte, Bruxelles, Estonie, Finlande, Madrid, Berlin, Bruxelles…) ainsi que deux voyages transatlantiques (sommet UE-Amérique latine de Lima le 16 mai et les célébrations du 400e anniversaire de Québec, au mois de juillet) ! François Fillon est ainsi en passe d’établir un nouveau record de kilomètres parcourus par un chef de gouvernement français. En un an il fait aussi bien que Dominique de Villepin au cours de ses deux années passées à Matignon et il talonne déjà Jean-Pierre Raffarin sur la période 2002-2005 ! »
Nonobstant cela, la remontée sera longue et les réformes mettront du temps à produire des effets. Est-ce que la population française se laissera convaincre par les arguments de Pierre Giacometti, ancien dirigeant de l’institut Ipsos et personnage influent auprès du président, selon qui Nicolas Sarkozy essaie aujourd’hui d’installer l’idée que, s’il est impopulaire, c’est parce qu’il conduit des réformes difficiles, et pas pour de mauvaises raisons, par exemple sa vie privée.
Comme l’indique Le Parisien : « La « rupture », pour laquelle 53 % des Français s’étaient prononcés en l’élisant président le 6 mai 2007, a souvent un goût plus amer que sucré. Hier, dans la rue, les manifestants du 1er mai ne le lui ont pas envoyé dire. En guise de brins de muguet, ils lui ont offert leurs slogans du jour, de « ça ne peut plus durer, ça va péter » à « un seul poste à supprimer, celui de l’Élysée ». Projets sur les retraites, la Sécurité sociale, l’éducation : sur fond de crise financière mondiale et de moral historiquement bas, tout inquiète les Français et tout fait plonger un peu plus le couple exécutif dans la tourmente ».
Le président Nicolas Sarkozy devra, à l’avenir, mieux maîtriser ses dossiers. C’est le reproche que lui en fait expressément Challenges : « Quelques heures avant l’intervention télévisée du chef de l’Etat, le 24 avril, un conseiller de l’Élysée s’inquiétait : « Je peux d’ores et déjà vous dire qu’il abordera trop de questions à la fois. Il va être dans la justification permanente ». Comme l’indique Challenges, « pour se préparer à l’exercice, Nicolas Sarkozy a dévoré une tonne de fiches. Cette surabondance l’a conduit à ne pas repousser l’argumentation technique, là où il devait prendre de la hauteur, donner du sens. En voulant balayer trop de sujets, il s’est laissé aller à des simplifications, à des approximations. Il a même proféré un certain nombre d’inexactitudes. Mélangeant, par exemple, naturalisation et régularisation. S’embrouillant sur la croissance comparée entre la France et l’Allemagne, ou sur l’inflation des produits alimentaires dans les différents pays européens ».
Toutefois, rien n’est tout blanc. Rien n’est tout noir. Interrogés au lendemain de l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy, 61% des personnes interrogées se déclarent favorables à cette idée de « mise de place de sanctions pour les personnes refusant deux offres d’emploi correspondant à leur qualification », selon un sondage CSA.
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