La diplomatie que pratique la France, depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy, est curieuse à plus d’un titre. Ce n’est pas la première fois que le président français se fait reprocher d’agir en solitaire, laissant derrière l’Union européenne, dont il assumera, il ne pas l’oublier, la présidence en août. Pendant que la Commission européenne envoie à Pékin dix de ses membres éminents, dont son président, Nicolas Sarkozy envoie ses émissaires français, Christian Poncelet et Jean-Pierre Raffarin. Dans ce dernier cas, la visite de Jean-Pierre Raffarin en Chine était prévue de longue date.
Dans son entretien fleuve devant la nation, Nicolas Sarkozy a déclaré, jeudi soir, qu’il avait été « choqué par ce qui s’est passé au Tibet » et qu’il l’avait « dit au président chinois » Hu Jintao. Il a toutefois affirmé qu’il ne voulait pas mettre la Chine « au ban des nations ». Nicolas Sarkozy a également indiqué qu’il n’avait pas encore pris de décision sur sa participation à la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Pékin en août prochain. Encore une fois, faut-il voir dans cette déclaration une ambiguité toute sarkozienne sur la question tibétaine? Comme l’indique Bellaciao, Nicolas Sarkozy n’appelle pas à l’indépendance de la province. Une indépendance « que même le dalaï-lama ne réclame pas », a-t-il indiqué. Ce qui n’est pas sans rappeler Bernard Kouchner et son « ne soyons pas plus tibétains que les tibétains ». Quant à sa présence à Pékin pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, Nicolas Sarkozy a refusé de se prononcer. « Ce serait bien que sur cette affaire-là, l’Europe s’exprime d’une même voix », a-t-il tout de même souhaité. Oui à la solidarité européenne, lorsque requise pour l’intérêt de Nicolas Sarkozy.
Pendant que Nicolas Sarkozy exprime à la jeune athlète chinoise, Jin Jing, toute son « émotion » pour la bousculade dont elle a été victime, et l’invite de revenir en France comme son « invitée personnelle », Jean-Pierre Raffarin règle des problèmes internes par médias interposés. En entrevue au China Daily, dans un entretien réalisé à Paris, avant de s’envoler pour la Chine, Jean-Pierre Raffarin a déclaré : « Le geste de Delanoë est une très grave erreur politique [...] J’ai vraiment honte que le conseil de Paris soit allé à l’encontre des efforts du président Sarkozy pour améliorer les relations sino-française ». Avant d’ajouter : « Si le conseil de Paris veut honorer quelqu’un qu’il considère comme un héros, il doit d’abord analyser le candidat de manière objective et globale, et pas sur une impulsion ». Et comme il fallait s’y attendre, le chef du gouvernement chinois, Wen Jiabao, s’est félicité des propos de Jean-Pierre Raffarin condamnant la décision du maire de Paris, Bertrand Delanoë, de faire du Dalaï lama un citoyen d’honneur de la capitale française.
Un commentateur, sur le site du Nouvel Observateur, écrit : « Aller critiquer en Chine une décision d’un maire d’une grande ville française relève d’un mépris total envers les Français !!!! De plus c’est une ingérence inadmissible dans les affaires de la ville de Paris, qui sont indépendantes de la politique d’abaissement adopté par les autorités françaises devant les chinois !!! ».
Pourquoi la Chine a-t-elle attaqué si férocement la France? La réponse se situe invariablement dans les questions commerciales : 850 entreprises françaises sont présentes en Chine. Malgré cela, la France n’est qu’un partenaire économique relativement modeste pour la Chine, loin derrière l’Allemagne, la Grande-Bretagne et même l’Italie. Un « maillon faible », disent certains, et avec lequel Pékin aurait délibérément choisi de faire un exemple.
« La France est une cible commode parce que l’enjeu politique reste très symbolique car cette supposée relation privilégiée est surtout de l’ordre du discours », note Françoise Mengin, du Centre d’études et de recherches internationales (Ceri), au quotidien Libération. « La France n’est que le cinquième client européen de la Chine. La position de la France sur le marché chinois ne pourra pas rattraper celle de l’Allemagne tant que les gros contrats ne sont pas soutenus par un commerce courant », explique Françoise Mengin. La « Chine représente le plus gros déficit commercial de la France, avec 16,2 milliards d’euros en 2006 [un chiffre qui a doublé depuis 2002] ».
Selon le Figaro : « À l’envoyé spécial du président chinois, Nicolas Sarkozy et Jean-David Levitte ont rappelé vendredi que, lorsque la France vend pour un euro à la Chine, celle-ci vend pour quatre euros de produits « made in China ». Quant au chiffre d’affaires des 112 magasins Carrefour en Chine, il ne participe que pour 2 % du chiffre d’affaires. «Le boycott est une arme à double tranchant», a-t-on signifié côté français ».
Cette parade française auprès des dirigeants chinois fera-t-elle de la France un partenaire plus important en matière d’échanges commerciaux? Quelles en seront les retombées? Chine Informations en donne une première indication : « Le Premier ministre chinois Wen Jiabao a dit que la France avait été la première puissance occidentale à établir des relations diplomatiques avec la Chine, et aussi le premier pays membre de l’Union européenne à établir un partenariat stratégique global avec la Chine ». C’est le passé. « Wen Jiabao a apprécié les efforts positifs de Raffarin pour promouvoir la compréhension et la coopération entre les deux pays et les deux peuples ». C’est le présent. « Préserver la réunification et la stabilité de Chine est dans l’intérêt de tous les pays, a dit Raffarin, notant que les peuple français et celui d’Europe devaient augmenter leur connaissance de la situation réelle du Tibet ». C’est l’avenir.
Que signifie aux yeux de Jean-Pierre Raffarin : « augmenter leur connaissance de la situation réelle du Tibet », lorsqu’il considère que « le geste de Delanoë est une très grave erreur politique [...] » et qu’il a « vraiment honte que le conseil de Paris soit allé à l’encontre des efforts du président Sarkozy pour améliorer les relations sino-française ». Selon Chine Informations, Raffarin a dit que la France continuerait à déployer des efforts positifs pour faire avancer les relations UE-Chine et les relations franco-chinoises. Faut-il voir dans cette déclaration la politique que mènera, lors de sa présidence, la France à la tête de l’Union européenne?
La Chine ne peut que se réjouir du discours particulièrement obséquieux de Jean-Pierre Raffarin à son égard : « Vous soutenez l’organisation par la Chine des jeux Olympiques, vous vous opposez à lier la politique et les JO, exprimant par là l’amitié à l’égard du peuple chinois », a déclaré le Premier ministre chinois à l’égard de Raffarin. « Vous avez souligné à plusieurs reprises qu’entre États, il faut respecter la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale », a-t-il ajouté. « Nous tenons à exprimer notre haute appréciation ».
« L’actualité médiatique ne doit pas faire oublier l’Histoire avec un grand H », a déclaré Christian Poncelet. Est-ce que cette dénonciation de Jean-Pierre Raffarin à l’égard du maire Bertrand Delanoë constitue aux yeux de monsieur Poncelet une nouvelle page de l’histoire avec un grand H? La question mérite d’être posée. Paris n’a pas honoré un voyou de quartier mais un prix Nobel de la paix. Y aurait-il confusion des genres à l’Élysée ou dans les officines de l’UMP ? Pourquoi le Quai d’Orsay ne fait-il pas fait entendre sa voix?
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