mardi 1 avril 2008

Coca-Cola, McDonald’s et Visa aux « plus beaux Jeux olympiques de tous les temps »

Les Jeux de Pékin se dérouleront du 8 au 24 août 2008. « La dernière chose que les commanditaires veulent, c'est un incident comme des tanks à Tiananmen ». Coca-Cola, McDonald's et Visa auraient dû y penser avant. Comment ces compagnies ont-elles cru qu’il serait à leur avantage d’associer leur nom aux jeux olympiques de Pékin? Leur plus grande crainte concernerait les pressions exercées sur la Chine à propos du Darfour. Une action relayée efficacement par des personnalités comme l'actrice Mia Farrow, présidente de l'ONG « Dream for Darfur », ou le réalisateur Steven Spielberg, qui s'est récemment retiré de l'organisation des cérémonies d'ouverture des JO. 400 000 personnes ont déjà trouvé la mort au Darfour, et 2,5 millions de personnes ont été forcées de fuir leur foyer. Des statistiques qui ne plaisent évidemment pas aux sponsors, soucieux de leur image de marque.


Parmi les dix principaux sponsors, douze ont payé chacun au moins 64 millions d'euros (100 millions de dollars) pour devenir partenaires des JO. Lenovo, le seul chinois du groupe, affirme avoir intégré la possibilité de manifestations dans ses plans. L'américain Coca-Cola, l'allemand Adidas et le suisse Omega, filiale du groupe Swatch, reconnaissent pour leur part avoir parlé en privé aux organisateurs des JO. De source proche du Comité d'organisation des JO de Pékin (Bocog), on précise que tous souhaitaient notamment connaître la position de la Chine sur le Darfour, comme le montre cette dépêche de CNN.


Chris Renner est président pour la Chine de Helios Partners, une société de conseil en marketing du sport qui compte parmi ses clients le constructeur automobile allemand Volkswagen, le fabricant chinois d'ordinateurs Lenovo et le géant minier anglo-australien BHP Billiton. Il est clair que la question du Tibet et la répression chinoise inquiètent les sponsors. « Nous devons tous faire attention à notre façon de parler de ce problème », rappelle Chris Renner.


Pour Christine Christine Lau, porte-parole de Coca-Cola à Pékin, aucun changement n’est prévu pour les activités liées au passage de la flamme. Samsung avait lui aussi pris ses distances avec les événements de Lhassa et leurs possibles conséquences sur les JO : « Nous pensons que les Jeux olympiques ne sont pas le lieu pour des manifestations et nous espérons que toutes les personnes qui participeront reconnaissent leur importance ». (Selon Coca-Cola : « it was "inappropriate" for sponsors to comment on the political situation of individual nations and that it "firmly believed the Olympics are a force for good." "We remain committed to supporting the torch relay, which provides a unique opportunity to share the Olympic values of unity, pride and inspiration with people all over the world »).


L'acteur Georges Clooney, nommé en janvier ambassadeur de la Paix des Nations unies et ardent défenseur de la cause du Darfour, avait, en mars, déclaré : « Je parle avec Omega (au sujet de la Chine) depuis un an et je continuerai à parler avec Omega Watches. J'ai demandé à la Chine d'user de son pouvoir de pression sur le gouvernement soudanais, et continuerai à le faire ». Nick Hayek, patron d'Omega a indiqué que son entreprise ne se mêlait pas de politique « car cela ne sert en rien la cause du sport, qui reste l'un des plus nobles comportements humains permettant de créer (...) la paix dans le monde ». Et de préciser : « Nous avons beaucoup de respect pour son engagement (celui de Georges Clooney) et pour sa lutte pour une juste cause. Nous partageons son opinion, notamment au niveau du Darfour et nous sommes fiers de travailler avec une personne possédant une telle éthique ».


Le lieutenant général Roméo Dallaire signait le 19 mars dernier une lettre ouverte dans le quotidien de Montréal, Le Devoir : « À mesure qu'on se rapproche des Jeux olympiques de 2008 et que les projecteurs se braquent sur la Chine pour son rôle dans le génocide, tous les pays devraient faire pression sur celle-ci pour qu'elle s'emploie résolument à mettre fin aux événements tragiques au Darfour. La grande question pour les Canadiens est de savoir ce que fait le Canada pour aider la population au Darfour, aux prises avec un gouvernement prédateur ». Et le général Dallaire d’y aller d’une proposition de son cru : « Pour renverser la vapeur, le Canada devrait mettre de côté ses intérêts économiques et exprimer courageusement à la Chine, qui convoite notre pétrole, son intention d'exclure PetroChina du projet d'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta si elle continue d'armer les Soudanais ».


Il est de plus en plus évident que la Chine doit gérer plusieurs fronts qui la placent dans un sérieux embarras : le Tibet, le Darfour et Taiwan. Pékin a été montré du doigt aussi lors des événements en Birmanie. S’il y a aggravation de la répression à Lhassa, il apparaît de plus en plus évident que la mobilisation mondiale, déjà rodée sur la question du Darfour, sera proportionnelle et qu’elle constituera un front plus grave, en termes politiques, pour le gouvernement chinois. Et les commanditaires sont pleinement conscients de ces enjeux.


Le Dalaï lama est « la griffe des forces internationales anti-chinoises », les moines tibétains sont « la lie du bouddhisme » et les critiques étrangers ont une « mentalité sombre et méprisable ». Face à la crise du Tibet, le gouvernement chinois refait appel à la rhétorique officielle rugueuse du passé pour défendre ses positions, montrant une nouvelle fois combien la question tibétaine reste sensible à Pékin, écrivait La Tribune de Suisse. Le secrétaire général du Parti communiste chinois, Zhang Qingli, ne fait pas dans la dentelle : « le Dalaï lama est "un loup en costume de moine, un diable à visage humain mais avec un cœur de bête". Nous sommes désormais engagés dans une bataille féroce à feu et à sang contre la clique du Dalaï lama, une bataille à mort entre nous et l'ennemi ».


Pour défendre ces intérêts, Pékin recourt à son habituelle rhétorique qui consiste à diaboliser l’ennemi qui ose. En février dernier, lorsque Steven Spielberg avait pris la décision de se retirer du comité d'organisation des Jeux olympiques de Pékin en raison de l'attitude de la Chine dans la crise du Darfour, la Chine n’avait pas hésité, par les médias interposés, à stigmatiser l’ami d’hier devenu l’ennemi d’aujourd’hui. Les médias officiels et l'opinion publique avaient fait preuve de beaucoup moins de retenue que le gouvernement lui-même.


Pour le Quotidien du peuple, organe officiel du Parti communiste chinois (PCC), « un certain réalisateur occidental a été très naïf et a pris une décision déraisonnable sur la question des JO de Pékin ». Le Quotidien Guangming, également publié par le PCC, avait estimé, dans un éditorial, que Spielberg « avait rompu sa promesse d'apporter sa contribution aux Jeux de Pékin et a trahi l'esprit olympique ». Sur Internet, des Chinois bien intentionnés (!) n’avaient pas hésité à commenter la décision du réalisateur américain. « Nous n'aurions jamais dû l'inviter », avait lancé un Internaute sur Sina.com, plus grand portail Internet du pays. « Spielberg a instrumentalisé les Jeux olympiques », avait dénonce un autre.


À l’époque, le comité d'organisation des JO de Pékin avait même demandé aux organisations mobilisées sur le dossier de ne pas pousser les commanditaires à se retirer des Jeux. « Si vous respectez la vérité, vous verrez que la Chine fait beaucoup pour le règlement du dossier du Darfour », avait déclaré le directeur marketing du comité d'organisation, Yuan Bin. « Quant aux groupes qui font pression sur les commanditaires à propos des Jeux olympiques de Pékin, je veux dire que les Jeux devraient rester apolitiques ».


Le temps n’est pas à la compassion. Les enjeux sont importants. L’argent n’a pas d’odeur. Le budget des sponsors et du marketing devrait couvrir le coût des JO, soit 1,3 milliard d'euros environ (2,1 milliards de dollars), une hypothèse chiffrée qui n'inclut pas les dépenses en matière d'installations publiques.


En septembre 2003, le président du BOCOG et membre du Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois et secrétaire du comité du Parti pour la ville de Beijing, Liu Qi, procédait au dévoilement du plan de marketing des Jeux de 2008. Ce plan combinait le programme de parrainage et le programme de concession de licences. Le programme de parrainage se divise à son tour en trois volets : Partenaires de Beijing 2008, Commanditaires de Beijing 2008 et Fournisseurs de Beijing 2008.


À cette occasion, devant le président du CIO, Jacques Rogge, Liu Qi lançait en ces termes une invitation aux grandes entreprises nationales et internationales à la création de partenariats avec le comité organisateurs chinois. « La participation est un principe vital du mouvement olympique. Mon espoir le plus cher est que les compagnies locales et étrangères saisissent le véhicule unique de promotion mondiale que les Jeux offrent et qu'elles puissent ainsi trouver des manières de participer au plan de marketing olympique et aux autres travaux préparatoires, tout en renforçant les échanges et la coopération afin d'acquérir un solide avantage concurrentiel et de bâtir des marques internationales. Coopérons ensemble et développons-nous par la participation et l'effort afin d'accueillir les plus beaux Jeux olympiques de tous les temps », avait déclaré à l’époque le président BOCOG.


Et ce même comité olympique soulignait, le plus sérieusement du monde, que les Jeux olympiques de Beijing offriraient une vitrine extraordinaire pour faire connaître au monde entier le charme de la ville hôte, les traditions de la Chine et l'excellence des athlètes chinois. La richesse culturelle et historique de la Chine et de Beijing enrichira à son tour l'image de marque des Jeux de 2008. Ainsi, qu'il s'agisse d'une compagnie chinoise ou bien d'une entreprise étrangère cherchant à accroître sa présence sur le marché chinois, le parrainage des Jeux olympiques s'avérera une décision importante et judicieuse.


C’était avant le Darfour. C’était avant le Tibet.


 


(Sources : AFP, Associated Press, Cyberpresse, Le Temps)


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