En novembre dernier, Hervé Marro, porte-parole du « comité de soutien à Ingrid Bétancourt », déclarait à Libération : « C’est l’hécatombe de notre espoir. On ne comprend pas pourquoi Alvaro Uribe a toujours besoin de mettre des bâtons dans les roues dès que la négociation pour la libération des otages commence à avancer. Ce n’est pas possible de continuer comme cela. Il joue avec nos émotions depuis cinq ans et demi. Un jour, on est en plein espoir, le lendemain, c’est le désespoir le plus profond. Il ne prend pas en compte la douleur des familles, c’est infernal ».

____________________________

Tel un trophée de chasse, les médias colombiens ont diffusé dimanche les photos sanglantes du cadavre du dirigeant de la guérilla, tué d’une balle dans l’œil et d’une autre dans le ventre, se réjouissant ouvertement de sa mort. Le corps de Reyes a été rapatrié samedi soir sur Bogota et présenté aux médias. Ce qui fait dire au président de l’Équateur, Rafael Correa, qu’Alvaro Uribe lui a menti après avoir présenté cette opération militaire comme une action de représailles à chaud alors qu’il s’agissait d’une élimination froidement organisée.

Le président Alvaro Uribe est-il préoccupé par la santé d’Ingrid Betancourt, par le sort qui l’attend après ce coup de force contre le numéro deux des Farc (guérilla marxiste), Raul Reyes, en territoire équatorien, par la complexité des négociations qui ont cours avec les Forces armées révolutionnaires colombiennes pour libérer les otages? Il y a tout lieu d’en douter.

Il ne faut pas se leurrer : Ingrid Betancourt est un obstacle incontournable pour éliminer – manu militari – ce vieil ennemi – depuis l’assassinat de son père – du président Uribe. Dans une allocution télévisée à la nation, Uribe a solennellement déclaré samedi soir qu’il « assume pleinement la responsabilité de ces faits ». Que les sévices contre madame Betancourt s’aggravent n’attendrira pas cet homme au caractère d’airain. « Le président Uribe est en train de gagner la guerre contre les Farc », avouait lui-même jeudi dernier Fabrice Delloye, l’ex-mari d’Ingrid Betancourt.

Ni les témoignages des otages récemment libérés ni leurs suppliques pour l’ouverture de négociations, écrit Marie-Eve Detoeuf, de RFI, ni les pressions de la communauté internationale n’ont fait changer d’avis Alvaro Uribe. Il a toutefois donné son feu vert à Nicolas Sarkozy qui a proposé de venir chercher Ingrid, une hypothèse à laquelle malheureusement personne ne croit. Et comme l’indique Bakchich : « Aux yeux de Washington, il tient vaillamment tête aux pulsions belliqueuses de son frère ennemi vénézuélien, le président Hugo Chavez. Hugo Chavez et son camarade sandiniste Daniel Ortega du Nicaragua sont des pro-Farc assumés – le leader de la guérilla, Manuel Marulanda, a reçu la plus haute décoration du Sandinisme en 1999 – et ont en commun des différents frontaliers avec la Colombie ».

Le président Uribe peut-il s’émouvoir des déclarations d’un fils inquiet pour sa mère? Lorenzo Delloye s’est déclaré « très inquiet » après la mort de Raul Reyes. « On est maintenant dans une situation d’urgence, d’extrême urgence », a déclaré sur RTL Lorenzo Delloye. « Il faut absolument que la communauté internationale réagisse pour faire en sorte que le président colombien se décide à dialoguer ». « On espère que les Farc ne vont pas faire d’attaques, de gestes sur les otages. Il faut qu’ils sachent que ce n’est pas du tout dans leur intérêt ». Il a parfaitement raison.

Une pareille humiliation aux yeux du monde ne pouvait rester sans conséquences pour des forces révolutionnaires sans humanité. Le département d’État américain avait déjà offert 5 millions de dollars (3,3 millions d’euros) pour toute information conduisant à la capture de Raul Reyes, et 2,5 millions (1,6 million d’euros) pour celle de Julian Conrado. Que vaut la survie d’Ingrid Betancourt? Très peu, dans les circonstances.

Et pourtant, contre toute attente, les FARC viennent de demander de poursuivre la recherche d’un « accord humanitaire ». « C’est le meilleur hommage à toutes et tous les camarades tombés au combat », ont affirmé les FARC. Cette annonce a été accueillie avec satisfaction par la Fédération internationale des comités Ingrid Betancourt (FICIB). Soulagement également pour les proches des 40 otages que la guérilla prétend échanger contre 500 rebelles emprisonnés. Que vaut, par contre, la parole des FARC à côté de la parole d’un président officiellement élu et appuyé par les États-Unis, Alvaro Uribe? 550 millions$ US d’aide en 2006 en plus d’une entente commerciale, reconduite la semaine dernière par le Congrès, qui entretient 660 000 emplois en Colombie.

S’il n’agréait pas, une nouvelle fois, à cette invitation, le président Uribe peut-il s’émouvoir de cet ordre qui a été donné aux guérilleros « d’abattre leurs otages » en cas d’opérations militaires à proximité de leurs positions?

Le président Uribe s’est-il montré ému et sensible aux gesticulations du président français, Nicolas Sarkozy, qui a appelé à « faire prévaloir les considérations humanitaires » et à « conforter la dynamique positive » en vue de la libération des otages? Y a-t-il eu rappel de l’ambassadeur français au Quai d’Orsay pour consultation? Non. Face à la dénonciation d’un otage libéré, Eladio Pérez, selon lequel « Il faut dire au monde entier que la guérilla s’acharne contre elle », le président Uribe a fait le pari d’un détournement du monde entier face au geste unilatéral de libération d’otages des FARC pour attaquer, tuer et présenter comme un trophée de chasse le numéro deux, Raul Reyes, dans des images d’une profonde atrocité. Avec l’accord, l’appui et le soutien des États-Unis. La mort de Raul Reyes intervient alors que la guérilla avait relâché unilatéralement six otages depuis le début de l’année et que la pression internationale s’accentue pour obtenir la remise en liberté de Mme Betancourt en raison de son mauvais état de santé. « Ce n’est pas une bonne nouvelle que le No2 Raul Reyes, l’homme avec qui nous parlions, avec qui nous avions des contacts, ait été tué », a commenté Bernard Kouchner.

Deux avis importants montrent le peu d’empressement du président Uribe de libérer Ingrid Betancourt : « Alvaro Uribe a entrepris un acte de guerre en tuant Reyes, alors qu’un accord humanitaire pour libérer les otages est exactement le contraire, un acte de paix », a déclaré le gouverneur de Narino, en Colombie. Même avis pour l’ancien président Ernesto Sampe : « On peut penser que la mort de Reyes éloigne les possibilités d’une solution politique du conflit ».

« C’est le coup le plus décisif jamais porté jusqu’à présent à ce groupe terroriste », s’est félicité le ministre. L’opération commando contre les guérilleros du Front 48 des Farc a débuté par un bombardement de l’aviation samedi à 00H25 locales (vendredi 19H25 GMT). C’est la première fois que l’armée réussit à « neutraliser » l’un des sept membres du secrétariat (l’instance dirigeante des Farc) qu’elle traque inlassablement alors que Manuel Marulanda, le fondateur des Farc aujourd’hui âgé de 75 ans, n’a lui-même pas donné signe de vie depuis plusieurs années. Des unités héliportées se sont rendues sur les lieux du campement en territoire équatorien où, selon l’armée colombienne, des combats se sont produits, faisant au total un mort parmi les soldats colombiens et 17 dans les rangs de la guérilla. Le corps de Raul Reyes a été rapatrié à Bogota par l’armée. Un coup de téléphone satellitaire de Raul Reyes et un informateur de l’armée ont permis de localiser avec précision le camp où vivait en territoire équatorien le numéro deux des Farc, a révélé à l’AFP une source militaire. M. Santos a précisé que le camp attaqué se trouvait « du côté équatorien, à 1.800 mètres de la frontière » commune.

Alors que la position officielle de l’Équateur a toujours été de nier la présence permanente de campements de la guérilla des FARC sur son territoire, le président Rafael Correa a bien dû reconnaître que le porte-parole de la guérilla, Raul Reyes, a été abattu sur le sol équatorien, du mauvais côté de la frontière. Une mission militaire équatorienne avait été envoyée sur les lieux pour déterminer si les soldats colombiens avaient engagé le combat en territoire équatorien ou bien s’ils avaient bombardé le campement des FARC depuis le côté colombien de la frontière, la version officielle de Bogota. Le président équatorien Correa a indiqué que ses soldats « ont trouvé 15 cadavres de guérilleros, deux guérilleras blessées dans un campement improvisé des Farc à deux kilomètres en territoire équatorien près de la frontière ». « Mais ces cadavres étaient en sous-vêtements, en pyjamas, ce qui revient à dire qu’il n’y a pas eu de poursuite à chaud et qu’ils (les Farc) ont été bombardés et massacrés pendant qu’ils dormaient ».

Du côté vénézuélien, Hugo Chavez a ordonné la fermeture de l’ambassade de Venezuela à Bogota et a envoyé dix bataillons à la frontière. Dans sa dialectique habituelle, le président vénézuélien Hugo Chavez, qui a été l’artisan de six libérations unilatérales d’otages, a dénoncé un « acte de guerre et d’irrespect violant la souveraineté de l’Équateur ». Il l’a attribué au fait que le gouvernement colombien « n’est pas souverain » et n’a opté pour « le chemin de la guerre » que « sur décision de l’empire nord-américain ». « Ne vous avisez pas à faire de même sur ces terres, car ce serait un casus belli, un motif de guerre », a lancé Hugo Chavez à l’adresse de son homologue colombien. « C’est une claque contre ceux qui luttent pour un échange humanitaire », a pour sa part déclaré le ministre vénézuélien des affaires étrangères, Nicolas Maduro. Dans le monde, les avis seront partagés. On ne transige pas avec des terroristes et leur élimination justifie les moyens. Encore moins avec la guérilla marxiste des FARC. Il n’y a donc pas lieu de s’émouvoir sur les méthodes du président Alvaro Uribe qui n’a cure du sort réservé à Ingrid Betancourt. La guerre au terrorisme doit désormais suivre son cours, quels qu’en soient les dommages collatéraux. D’autres voix s’élèveront pour dénoncer, dans un processus de négociations délicates, cette action menée pour humilier davantage les FARC qui détiennent, en otages, des êtres humains en grande souffrance et dont la santé est précaire.

Les Farc comptent aujourd’hui 17.000 combattants, principalement des paysans, répartis sur 60 fronts et occupant une partie importante du pays. Ils détiennent dans la jungle 39 otages dits « politiques », dont l’ex-candidate présidentielle franco-colombienne Ingrid Betancourt et trois Américains, qu’ils veulent échanger contre 500 guérilleros emprisonnés.

____________________________