mardi 25 mars 2008

« En Chine, je vais me battre pour une seule chose : ma médaille d’or » Kathy Tremblay

En novembre 2007, monsieur Nicolas Sarkozy se rendait en Chine pour une mission de trois jours. Après un voyage marqué par des contrats record pour le nucléaire français et l'industrie aéronautique européenne, Monsieur Sarkozy avait pris grand soin de ménager ses hôtes sur le plan intérieur en évitant de joindre au groupe qui l'accompagnait la Secrétaire d'État aux droits de l'homme. Au cours de la campagne électorale présidentielle, Nicolas Sarkozy avait annoncé mettre les droits de l'homme au centre de ses priorités. Il eut été difficile pour le président de la République française d’exiger de la Chine des réformes plus rapides sur les droits de l’homme au vu du rythme de ses propres réformes en France.


Le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), Henri Sérandour, évoque, en janvier dernier, la possibilité que, lors du passage de la flamme olympique à Paris, le président Nicolas Sarkozy soit l'un des porte-flambeau, puisque celui-ci est un amateur notoire de course à pied. Il faudrait cependant qu'il en émette le désir au préalable et que l'on puisse résoudre de manière satisfaisante les gros problèmes de sécurité que cela poserait.


Le 12 févier 2008, Mme QIAN Wei, épouse de l'ambassadeur de Chine en France, recevait de M. Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre français, au nom du président de la République, le titre de Commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres pour sa contribution aux échanges culturels et artistiques sino-français. Une centaine de représentants des milieux artistiques ou littéraires étaient présents à la cérémonie.


Le 18 février dernier, le président Sarkozy remettait, à l'Élysée, les insignes de « grand officier » de la Légion d'honneur à l'ambassadeur de Chine, en France, Zhao Jinjun, pour sa contribution au développement des relations entre les deux pays. Dans son discours, le président Sarkozy souhaitait développer un « partenariat stratégique et ambitieux » avec la Chine.


Quelques jours plus tard, soit le 21 février dernier, le porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères, Liu Jianchao, révélait que plus d’une centaine de chefs d'État, chefs de gouvernement et membres de familles royales de plus de 60 pays avaient exprimé leur intention d'assister à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Beijing. Et à cette même occasion, Liu Jianchao révélait, non sans une certaine pointe d'orgueil, que le président américain, Gorge W. Bush, et le président français, Nicolas Sarkozy, souhaitaient assister également à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques. « La Chine les accueille chaleureusement », avait claironné le porte-parole des Affaires étrangères. C’était avant cette fâcheuse affaire du Tibet. Human Rights Watch et Reporters sans frontières demandent aux chefs d'État et de gouvernement d'envisager de ne pas assister aux Jeux. Seul le prince Charles a décliné l'invitation de Pékin.


Lundi, 24 mars, la flamme olympique doit être officiellement allumée sur le site antique d'Olympie en Grèce. Selon la mythologie grecque, le dieu du soleil Apollon a allumé la flamme olympique en vue d'apporter la lumière et la chaleur à l'humanité. Malheureusement, une partie de cette humanité sera tenue à l’écart : un millier de policiers seront présents pour tenir à distance tout manifestant de la cause tibétaine.


Pour le président du Comité international olympique, le Belge Jacques Rogge : « Que la torche olympique aille au Tibet est un symbole de paix (...). Quant au boycott que certains préconisent dans le monde, c'est une hérésie, car les seules personnes qui seront pénalisées, ce sont les athlètes. Rappelez-vous Moscou, Los Angeles, qui a payé ? »


Henri Sérandour, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), sur un boycotte possible des Jeux Olympiques, maintient une position claire : « Il faut que les Jeux aient lieu parce que certains athlètes les préparent depuis huit ans. Ça peut paraître égoïste, mais a-t-on le droit de les empêcher de s’exprimer ? » Jacques Rey, vice-président du mouvement sportif français, président de la fédération de gymnastique et chef de mission pour les JO à Pékin, est plus rigide : « Bien sûr, chaque athlète doit se poser la question et chaque citoyen aura le choix de faire le voyage. En revanche, ceux qui accepteront de s’y rendre devront aussi accepter les règles du jeu. C’est-à-dire ne faire, entre autres, aucune propagande politique comme le stipule clairement l’article 51 du code olympique. Toutes les personnes accréditées devront d’ailleurs se soumettre à cette règle ».


Dans le cadre de la première convention entre l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et le comité d'organisation des Jeux (COJOB), intervenue le 26 novembre dernier à Pékin, en présence du président français Nicolas Sarkozy et de son homologue chinois Hu Jintao, Jean-Pierre Raffarin reconnaissait ces jours derniers qu'il reste encore des avancées à obtenir dans la matière des retransmissions par les différents médias, notamment les télévisions. Beaucoup a été accompli au niveau de l'accueil et des conditions de travail des journalistes - francophones et tous les autres -, dans le respect de l'éthique professionnelle et la liberté de circuler. En dernière heure, il serait question que les autorités de Pékin, échaudées par les récentes émeutes au Tibet et leur retentissement planétaire, décident d'une interdiction de toute retransmission télévisée en direct depuis la place Tiananmen pendant les Jeux olympiques de Pékin. Une telle interdiction, actuellement à l'examen, viendrait contrarier les projets des chaînes de télévision internationales, qui ont versé des sommes considérables pour diffuser les jeux et qui prévoient intervenir en direct sur cette place à jamais liée aux événements tragiques du «Printemps de Pékin», mouvement démocratique réprimé dans le sang en 1989.


Le silence de la France inquiète. D’un côté, Jack Lang demande à son « ami » Bernard Kouchner de sortir de sa réserve sur la question du respect des droits de l'Homme au Tibet : « Lui et moi, nous avons été les ministres qui ont à plusieurs reprises accueilli le Dalaï Lama à Paris, et je dis à Bernard : que sont devenues les paroles enflammées et justes que tu prononçais en ce temps-là? » Et de l’autre, Pierre Moscovici dénonce dans un entretien au « Journal du Dimanche » le « silence assourdissant » de Nicolas Sarkozy, disant attendre de « la France, mais aussi de la communauté internationale, des paroles extrêmement fermes à l'égard de la Chine ». Il faut « d'abord lui tenir un langage qui demande l'arrêt de la violence, le respect des engagements pris en matière des droits de l'Homme, l'ouverture d'une concertation sur l'avenir du Tibet ». « Il faut l'exprimer avec force », estime Pierre Moscovici, qui ajoute que le ministre des Affaires étrangères « Bernard Kouchner l'a fait avec sa sensibilité ».


« Les Jeux olympiques n'avaient déjà pas beaucoup de sens dans cette Chine qui bafoue tous les jours les droits de l'homme... À l'ombre de la répression des moines tibétains, ils deviennent une obscénité absolument insupportable », avait lancé quelques jours auparavant Bernard-Henri Lévy. Pour Rama Yade, la Secrétaire d'État aux droits de l'homme, un boycottage ne servirait à rien d'autre qu'à « se donner bonne conscience ». Elle aurait tempéré, depuis, la teneur de son messasge. « Des choses stupides, dans ma vie, j'en ai entendu. Mais alors comme ça, champion olympique! », avait ironisé Nicolas Sarkozy devant un parterre de sportifs, lors de la dernière campagne électorale. Les Français sont plus exigeants que leur président. Une majorité de Français (53 %) souhaite que le chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, boycotte la cérémonie d’ouverture des JO, le 8 août, à Pékin. Et une autre majorité (55 %) rejette l’idée d’un boycott par les sportifs (Libération). L’Elysée vient de rendre public un communiqué : « Le président Sarkozy a adressé un message au président Hu Jintao lui faisant part de sa profonde émotion à la suite des événements tragiques récents ». L’Allemagne vient de geler un programme de développement avec Pékin pour protester contre la répression à Lhassa.


Qu’en pensent les athlètes du Québec ? Guère mieux. « Ce serait dommage que les athlètes paient. Si le CIO avait mis ses culottes, on n'en serait peut-être pas là », répond le nageur Yannick Lupien. Et d’ajouter : « La Chine part de loin. Vous voulez changer les mentalités là-bas en 150 jours? Bonne chance. C'est un méchant gros contrat ». Pour Kathy Tremblay, athlète du Triathlon : « Quand le CIO a donné les Jeux à la Chine, c'était pour une question d'argent. Il n'a pas donné les Jeux à la Chine en raison des droits de l'homme ». Et sur l’idée de protester en portant un dossard noir : « Je ne veux pas faire de politique là-bas. En Chine, je vais me battre pour une seule chose : ma médaille d'or ».


Lorsque le premier ministre Stephen Harper a appelé les autorités chinoises à faire preuve de « retenue » dans leurs opérations de maintien de l'ordre, l'ambassade de Chine à Ottawa a répliqué qu'elles ne faisaient que leur « devoir ». Le Premier ministre Harper avait émis un communiqué indiquant clairement que : « Comme me l'a mentionné Sa Sainteté le dalaï lama lors de notre rencontre, et comme il l'a déclaré récemment, son message prône la non-violence et la réconciliation, et je joins en cela ma voix à la sienne. Le Canada exhorte la Chine à respecter pleinement les droits de la personne et les manifestations pacifiques. Il l'enjoint également de faire preuve de retenue dans son intervention ».


Jacques Lanctôt, du quotidien Le Journal de Montréal, donne un avis dissident sur la situation qui prévaut au Tibet. Il n’est pas seul à penser que : « tiraillé entre une Chine communiste qui se présente comme une alliée naturelle et les États-Unis qui lui promettent monts et merveilles, le dalaï-lama en exil (le 14e) choisira ces derniers. Et il jouera la carte pro-occidentale à fond. […] Le Tibet ne sera pas à l’abri des soubresauts que connaîtra la Chine continentale pendant la « révolution culturelle » et le « grand bond en avant », avec son lot de déchirements, de restrictions, de répressions et d’exagérations. Mais il connaîtra, sous la « protection » du grand frère communiste, un extraordinaire développement, un véritable boom économique, à l’instar de la Chine continentale. Le système de servage, l’esclavage et les punitions corporelles furent supprimés. En 50 ans, « la région autonome du Tibet » passera d’une société féodale à une société développée et hautement industrielle, avec toutes les infrastructures et planifications nécessaires au bien-être de sa population : hôpitaux, écoles, consommation, réseaux routiers, dont un train dernier cri qui reliera « le plus haut plateau du monde » au reste du continent, essor touristique, redistribution des terres aux paysans, système de protection sociale, etc. ».


La Maison-Blanche a fait savoir que la répression chinoise au Tibet ne constituait pas un motif d'annulation de la venue de George W. Bush aux Jeux olympiques, ajoutant que le président américain se rendrait en Chine pour le sport, et non pour des raisons politiques. « Nous appelons la communauté internationale à mener une enquête indépendante sur les accusations faites par le gouvernement chinois selon lesquelles Sa Sainteté a été l'instigateur des violences au Tibet », a déclaré Mme Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants américaine. Accompagnée par neuf parlementaires américains, elle a souligné « à titre personnel » que « si les amoureux de la liberté ne s'exprimaient pas contre la répression chinoise (...) alors nous perdrions notre autorité morale pour parler au nom des droits de l'Homme n'importe où dans le monde ».


Le président du Parlement européen, Hans-Gert Pottering, estime que les pays européens ne devraient pas exclure la menace d'un boycott des Jeux olympiques de Pékin si la violence se poursuit au Tibet. « Pékin doit se décider », la Chine « devrait immédiatement négocier avec le dalaï lama », juge-t-il dans une interview au quotidien allemand Bild am Sonntag. S'il n'y a toujours « pas de signaux de compromis, je considère des mesures de boycott comme justifiées ». Hans-Gert Pottering appelle les personnalités politiques prévoyant d'assister à la cérémonie d'ouverture à « se demander, si cela (la violence) continue, s'il serait responsable d'effectuer un tel voyage ».

Pendant ce temps, le président du CIO répète ses arguments de poids : « La plupart des grands leaders politiques ne veulent pas de boycott. Bush ne veut pas de boycott, Sarkozy ne veut pas de boycott, Brown ne veut pas de boycott (…) Il n’y a pas d’élan pour un boycott », a déclaré Jacques Rogge devant la presse, peu avant la cérémonie d’allumage de la flamme des jeux de Pékin. Plusieurs autres pays se sont très clairement prononcés contre. C’est le cas du Japon, du Canada, ou encore de l’Australie. Le Comité olympique de Sydney a néanmoins précisé que ses athlètes pourront « s’exprimer librement » sur place. « Je respecte le jugement des organisations de défense des droits de l’Homme mais elle ne sont pas représentatives de leurs pays ». « La torche que la Chine a portée à Olympia est une honte pour la longue tradition de liberté et de démocratie que les Grecs ont offert au monde », a déclaré Tenzin Dorjee, directeur-adjoint de l'association de défense des droits des Tibétains Etudiants pour un Tibet libre, basée à New York.

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