Israël fête ses 60 ans cette année. Paris et Turin avaient pris la décision de souligner cet anniversaire en choisissant Israël comme invité d’honneur de leur salon du livre respectif. Depuis, rien ne va plus aux Salons du livre de Turin et de Paris. Le salon du livre de Paris devrait être inauguré par le président français, Nicolas Sarkozy ainsi que par le président israélien, Shimon Peres, en mars prochain. Auteurs et éditeurs arabes, intellectuels européens s’objectent à cet honneur qui échoit à l’État d’Israël en raison de sa politique à l’égard de la Palestine. Selon le site « Livres Hebdo », le boycotte par les éditeurs algériens et marocains du Salon du livre à Paris se confirme.
Le président de l’Union des écrivains palestiniens, Al-Moutawakel Taha, considère qu’il n’est pas digne de la France, le pays de la Révolution et des droits de l’Homme d’accueillir dans son Salon du livre un pays d’occupation raciste. Smaïn Amziane, directeur de Casbah Editions à Alger, préfère parler de « non-participation », justifiant sa décision « au nom du devoir de solidarité » avec les Palestiniens. La Tunisie, qu’on a peu entendue, devrait s’aligner sur cette décision. L’Organisation islamique de l’éducation des sciences et de la culture (Isesco), elle-même issue de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), en appelle à ses 50 pays membres pour appuyer ce boycotte. Selon elle : « Les crimes contre l’humanité perpétrés par Israël dans les territoires palestiniens le condamnent avec force (…) et le rendent indigne d’être l’invité d’honneur d’un salon international du livre organisé par une instance gouvernementale française à Paris ».
Le Quai d’Orsay s’en mêle. Pascale Andréani, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, rappelle que chaque année, il y a un pays qui est invité d’honneur avant de souhaiter que le prochain salon « se tienne dans de bonnes conditions » et qu’il « permette des échanges ouverts, fructueux, positifs ». Quelque 39 écrivains israéliens de toutes générations, de Aharon Appelfeld à Etgar Keret, seront devraient être présents au Salon du Livre de Paris. Les Palestiniens commémoreront quant à eux la « Nakba » (catastrophe) que fut pour eux l’émergence d’Israël sur trois quarts des territoires de la Palestine historique avant l’occupation du reste, la Cisjordanie et la bande de Gaza, en 1967.
Un écrivain juif a inscrit sa dissidence à cette reconnaissance du 60e anniversaire de l’État d’Israël. Le poète israélien Aharon Shabtai a dit non au Salon du livre de Paris : « Je ne pense pas qu’un État qui maintient une occupation, commettant quotidiennement des crimes contre des civils, mérite d’être invité à quelque semaine culturelle que ce soit. Ceci est anti-culturel ; c’est un acte barbare travesti de culture de façon cynique. Cela manifeste un soutien à Israël, et peut-être aussi à la France, qui appuie l’occupation. Et je ne veux pas, moi, y participer ». Aharon Shabtai est né en 1939 et vit à Tel Aviv. Il est le père de six enfants. C’est le plus éminent traducteur en hébreu des tragédies grecques et l’auteur de nombreux recueils de poésie. Il a suivi la Tel Nordau School et l’Educational Institute au Kibbutz Merhaviya. Après son service militaire, il a étudié le grec et la philosophie à l’Université hébraïque, à la Sorbonne et à Cambridge et, de 1972 à 1985, il a enseigné les Études théâtrales à Jérusalem.
Parmi les personnalités qui appellent au boycotteage se trouvent les écrivaines Susan Abulhawa (Etats-Unis) Rita Amabili (Canada) ; Tariq Ali, John Berger, le chef d’orchestre Riccardo Muti et le chorégraphe Omar Barghouti. À propos de ce dernier, Omar Barghouti est un adversaire déclaré de l’État d’Israël. Sur la question du boycotte de la Foire du livre de Turin, rappelle certaines vérités à l’état italien. À une question posée par Michelangelo Cocco sur la position prise par « Liberazione, (quotidien du parti Rifondazione communista, NDT), qui écrivait notamment que « le boycotte culturel est un réponse dangereuse parce qu’il conduit à la radicalisation des positions », Omar Barghouti répond : « J’ai l’impression que les communistes italiens ont la mémoire courte : ils oublient que, pour abattre l’apartheid, le boycotte total fut adopté contre l’Afrique du Sud, boycotte qui touchait autant les individus que les institutions. Quand un pays commet des crimes, viole constamment le droit international et que ses institutions culturelles sont complices, si vous ne les boycotteez pas, vous devenez vous-même complices ».
Sayed Kashua est issu de la jeune génération des écrivains israéliens. Arabe et citoyen israélien, il est journaliste, habite Jérusalem et écrit en hébreu. Ses derniers livres publiés en français sont : « Les Arabes dansent aussi » (Belfond) et « Et il y eut un matin » (l’Olivier, février 2006). Dans un commentaire très dur qu’il a publié sur Haaretz, Kashua écrit : « Le boycotte est très bien. Pourvu qu’il y ait encore plus de boycottes de l’entité sioniste. En fait, je pense qu’on devrait enfermer tous les écrivains israéliens dans un hôtel, les mettre sous couvre-feu, boucler leurs œuvres… Mettez-les dans la pire aile de l’hôtel le plus miteux de Paris, empêchez-les de sortir de leur chambre. Et puis, coupez-leur l’électricité. Comme ça, ils auront une petite idée de ce qui se passe à Gaza » (Commentaire publié en français sur Bellacciao).
La romancière américaine Susan Abulhawa a également dénoncé violemment la décision des organisateurs du Salon du livre de Paris d’inviter Israël. Dans une lettre ouverte, Susan Abulhawa, Américaine d’origine palestinienne, dénonce les « injustices » à l’encontre du peuple palestinien. « Les organisateurs du Salon du livre veulent-ils, à l’instar d’Israël, faire comme si la Palestine et les Palestiniens n’existaient pas, n’avaient jamais existé ? », s’interroge-t-elle, en soulignant qu’ « aucun Palestinien - et même aucun israélo-palestinien - n’a été invité à cette manifestation ».
Pour l’écrivain égyptien Al-Aswani, « L’invitation d’Israël est une honte. Ne pas participer est néanmoins une erreur ». L’auteur du best-seller « L’Immeuble Yacoubian », a indiqué qu’il irait au Salon du Livre. « Je suis très choqué car la France est depuis deux siècles un pays très important sur le plan culturel pour les Égyptiens, ce n’est pas la France que je connais », a-t-il dit à l’AFP. Le romancier égyptien célèbre, Gamal Ghitani, a affirmé que la note de protestation « était une forme d’infantilisme politique », estimant que les signataires « n’ont aucun droit d’ingérence dans un autre pays ».
Marek Halter, écrivain mondialement connu, est intervenu en publiant une lettre ouverte dans le quotidien Le Monde. « Imaginons le boycotte des livres d’un Gore Vidal, d’un Philip Roth ou d’un Norman Mailer à cause de la guerre du Vietnam », écrit-il. « Imaginons le boycotte d’un Sartre, d’un Camus, d’une Simone de Beauvoir à cause de la guerre d’Algérie… D’autant plus que, comme ce fut le cas des écrivains américains et français, les auteurs israéliens invités à la Foire du livre de Turin, tels Amos Oz, Avraham B. Yehoshua ou David Grossman, sont précisément ceux qui se battent pour les droits des Palestiniens. Les signataires de la pétition ne le savent pas, ou le savent, et font mine de l’ignorer ».
Dans une formule choc, Marek Halter s’interroge : « Il y a quelques jours, dans un entretien au Monde, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, affirma une fois encore sa volonté de faire disparaître l’Etat d’Israël. Faire disparaître sa littérature, serait-ce le premier pas ? Y aura-t-il toujours des intellectuels pour être complices d’une telle ignominie ? »
Enfin, il faut rappeler que Tahar Ben Jelloun s’est également opposé à ce boycotte de la culture et de la littérature. « Les écrivains israéliens ne sont pas l’État israélien », rappelle l’écrivain sur son site Web. « Refuser de lire un livre, boycotteer un ensemble d’écrivains, marquer sa désapprobation d’une politique en pénalisant les écrivains de cet État, cela a-t-il un sens ? » L’écrivain, dans une profession de foi envers la littérature, d’où qu’elle vienne, s’élève contre ce déni de littérature : « Il faut bien distinguer les choses : la politique d’un État n’est pas assimilable à la production littéraire des écrivains de cet État. Je suis parmi ceux qui critiquent le plus durement la politique israélienne d’occupation et je ne confonds pas M. Olmert avec M. Oz, M. Grossman ou M. Gutfreund. Je peux aussi ne pas aimer tel ou tel ouvrage. Cela n’a rien à voir avec le pays d’origine de celui qui l’a écrit ». L’auteur termine en ces mots : « ce n’est pas le boycottee du prochain salon du livre de Turin qui ouvrira le chemin de la paix et de la réconciliation. Critiquer la politique d’un État. Critiquer un roman sur le plan littéraire. Tout cela est possible. Mais surtout ne pas confondre les deux choses et susciter par là davantage d’incompréhension ».
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