La tribu des Kalenjin est réputée pour ses coureurs dans les épreuves de grand fond. Dans la fameuse vallée du Rift, on retrouve une population de trois millions d’habitants, soit l’équivalent de 10% de la population du Kenya. Dans cette région du monde, une chasse aux allochtones ne cesse d’accroître le nombre des victimes et cela, dans le cadre d’une politique globale de « nettoyage » qui affecte, depuis les élections, toute la province de la Rift Valley. William Ruto, représentant des Kalenjin, est soupçonné d’organiser les violences pour faire fuir les membres des autres ethnies. Selon un haut responsable de l’Onu, la crise kényane a divisé le pays selon des lignes ethniques et les violences pourraient reprendre si la situation politique ne se débloque pas rapidement. « La notion d’appartenance ethnique et la peur se sont répandues à travers la majeure partie de la société kényane et ont accentué les fractures », a déclaré aux Nations unies, John Holmes, sous-secrétaire général chargé des Affaires humanitaires.

Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies, est dans la région. Médiateur dans la crise kényane, il tente une sortie de crise avec les camps du gouvernement et de l’opposition. Le Kenya, l’un des pays d’Afrique de l’Est les plus stables jusqu’à la fin de l’année dernière, est plongé depuis l’élection présidentielle du 27 décembre dans l’une de ses pires crises depuis son indépendance en 1963. Les violences qui ont ensanglanté le pays après le scrutin ont fait au total plus de 1.500 morts, selon la police. Environ 300.000 personnes ont également été déplacées par ces violences, selon la Croix rouge kényane. Dans la médiation dirigée par Kofi Annan, on note la présence de l’épouse de Nelson, Mandela Graça Machel.

Un autre drame se joue, plus local celui-là. La communauté Sabiny est une sous-tribu des Kalenjin qui vivent au pied de la Montagne Elgon à la frontière avec le Kenya. Le gouvernement ougandais envisage d’interdire les mutilations génitales féminines (MGF) mais les tenants de la tradition s’y opposent, estimant qu’une telle interdiction violerait leurs droits traditionnels. L’excision est pratiquée depuis la nuit des temps parmi la communauté Sabiny. « C’est notre culture et nous la chérissons. Ceux qui y sont opposés doivent respecter nos droits traditionnels », a déclaré Agnés Suuto, membre de l’ethnie Sabiny, qui est âgée de 42 ans. « Plusieurs d’entre nous qui ont subi cette pratique n’ont pas de regrets et la plupart des filles qui s’y opposaient auparavant poussent désormais secrètement leurs aînées à les initier ».

Le projet de loi qui doit être débattu devant le parlement stipule que : « La mutilation génitale féminine est une violation ou une tentative de violation de l’intégrité physique de l’organe féminin, soit par une ablation totale ou partielle, l’excision, l’infibulation ou la désensibilisation ». Dora Byamukama est la Directrice du Droit et du Plaidoyer pour les femmes en Ouganda. Elle se bat pour l’abolition de cette pratique : « Cette pratique est la pire forme de mauvais traitement fait aux femmes. Elle est brutale et douloureuse et il faut y mettre fin ». Contre toute attente, le projet de loi ne prend pas en compte les croyances, la coutume, la tradition, l’application des rites ou le consentement et les rejette comme des raisons valables.

Selon différentes estimations, l’excision serait encore en vogue dans une trentaine de pays en Afrique. En Côte d’Ivoire, l’on estime la prévalence à 44,5%, soit environ une fille/femme sur deux, victime de mutilation génitale. Dans les régions du nord et nord-ouest du pays, l’excision est pratiquée avec 88% de prévalence dans chaque région, tandis que la région de l’ouest enregistre un taux de prévalence de 73%.

Comme l’explique Armelle Andro, chercheuse à l’INED : « En France, il y a eu un véritable appel contre l’excision dans les années 80. C’est à cette époque que les procès d’exciseuses se sont multipliés. Même si la France se pose contre les mutilations sexuelles, elle ne donne pas les moyens aux médecins et aux sages-femmes de combattre ce fléau. En effet dans les écoles de médecine ou de sages-femmes, aucun module sur l’excision n’existe ». En Suisse, selon Mme Fabienne Bugnon, du Bureau de l’égalité hommes femmes, près de 10.000 personnes sont concernées par cette pratique. Quelque 7000 fillettes et femmes vivant en Suisse auraient subi une excision, souligne la branche helvétique du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF). C’est notamment des femmes migrantes qui ont été excisées chez elles ou qui envoient leurs filles se faire exciser au pays à défaut de compter sur la complicité de certains médecins locaux. C’est ce qui fait dire à Laurent Moutinot, président de la République de Genève : « L’excision est un crime contre l’Humanité. Elle doit être combattue dans les pays d’origine ».

Avocate des droits humains et ancienne directrice du Programme Régional de l’UNIFEM dans l’Est et la corne de l’Afrique, la juriste zimbabwéenne Nyaradzai Gumbonzvanda considère que « les femmes ne sont pas entièrement protégées des violations de leurs droits dans les situations de crises ». Elle donne l’exemple du Kenya où elle s’est rendue avant et après les élections qui ont été suivies par des contestations politiques découlant sur une crise communautaire de haute intensité qui a drainé un déplacement massif de femmes et d’enfants. La crise kenyane a généré la fermeture des écoles dans les régions les plus affectées. Pour madame Gumbonzvanda, il est clair que « s’il y a des progrès ici et là rendant les femmes plus visibles dans l’espace public, il n’en demeure pas moins vrai qu’augmenter leur nombre dans les parlements et autres institutions n’a de sens que si les femmes sont responsabilisées et que dans la pratique leur niveau de vie s’améliore ».

Signe des temps, les autorités musulmanes du Kenya se réunissaient, le 20 juin dernier, dans la ville d’Isiolo (nord), pour une réflexion sur les mutilations génitales féminines (MGF) afin de trouver les moyens de mettre fin à ces pratiques parmi les communautés essentiellement pastorales de cette région désertique. Les responsables religieux, par le biais du secrétaire de la section d’Isiolo du Conseil suprême des musulmans du Kenya, Cheikh Ali Dabaso, avaient alors indiqué que cette pratique ne se justifiait pas dans le cadre de l’enseignement islamique, d’où la nécessité d’y mettre fin afin d’épargner aux femmes des souffrances inutiles. « Les MGF ne sont ni une pratique islamique ni une pratique obligatoire pour les musulmans, et nous sommes résolus à prêcher contre elle et à l’éradiquer sous toutes ses formes », avaient affirmé, à cette occasion, les leaders religieux. Ils ont aussi exprimé leur accord sur le fait que cette pratique était responsable du taux élevé d’abandons scolaires et de mariages précoces dans la région, tout en constituant une violation des droits des jeunes filles, qui sont souvent contraintes de subir ce rite.

Malgré ce progrès, qu’il faut louer, les mutilations génitales féminines (MGF) sont encore pratiquées dans les pays d’Afrique du Nord-Est et de l’Ouest. En Égypte et en Somalie, mais aussi en Guinée et au Mali, plus de 90% des femmes sont excisées. Dans d’autres pays par contre, l’excision se limite à des groupes ethniques ou à des régions précises. C’est notamment le cas dans les pays du Proche-Orient, en Inde, en Indonésie et en Malaisie. La situation s’améliore en revanche dans certains pays d’Afrique, comme au Burkina Faso où la proportion de femmes mutilées est passée en une dizaine d’année de deux tiers à un peu moins de la moitié. « Pour ces dernières années, les données statistiques disponibles semblent indiquer, parmi les jeunes femmes, une tendance croissante à rejeter cette pratique. En dépit de fortes résistances, la lutte contre les MGF commence à porter ses fruits dans de nombreuses communautés », note l’UNICEF dans une brochure consacrée au sujet (SwissInfo).

Au Québec, Me Louise Langevin, titulaire de la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes, déclarait, devant la Commission parlementaire des Affaires sociales de l’Assemblée nationale : « qu’est-ce qu’on entend quand on parle du droit des femmes à l’égalité ? Les tribunaux canadiens ont éprouvé et éprouvent encore certaines difficultés à définir le droit à l’égalité. L’égalité est un concept comparatif, une personne est égale ou inégale par rapport à une autre et selon certains critères. Le choix des critères et des groupes de comparaison est souvent déterminant et est une source de problèmes. Ainsi, les femmes noires doivent-elles se comparer au groupe femmes, au groupe Noirs ou au groupe femmes noires ? Dans une société patriarcale et capitaliste, l’égalité a été définie par les hommes et pour les hommes et ne tient pas compte des besoins des femmes. D’un point de vue féministe, l’égalité pour les femmes va au-delà de l’égalité formelle - quand on parle de l’égalité formelle, on parle de l’égalité de traitement - et exige une approche beaucoup plus large, c’est-à-dire l’égalité réelle ou égalité de substance. Certes, les femmes veulent jouir des mêmes droits que les hommes, la reconnaissance de leur personnalité juridique, le droit de vote, le droit à l’éducation, le droit d’accéder au marché du travail. Cependant, dès que les femmes sont différentes des hommes comme sur le plan biologique, le modèle du traitement unique s’avère incapable de répondre à leurs besoins ».

Pour Me Langevin : « les atteintes au droit des femmes à l’égalité se cachent aussi dans les coutumes, les traditions et les cultures. Les mariages forcés, la polygamie, l’excision, l’impossibilité pour les femmes d’hériter, la violence tant à la sphère privée que publique portent atteinte au droit des femmes à l’égalité et ne peuvent être tolérés au nom des traditions. Donc, l’atteinte de l’égalité réelle pour les femmes permet de respecter leur dignité ».

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