Le Président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, dans une déclaration du 31 décembre, a demandé sa libération. Le Parlement européen a adopté le 18 janvier une résolution réclamant « sa libération immédiate ainsi que celle de tous les dissidents qui ont été arrêtés et incarcérés pour délits d’opinion ». Cet homme dont on réclame la libération figurait en 2007 parmi les finalistes du prix Sakharov du Parlement européen pour la liberté de l’esprit. Aucun chef d’État, aucun président, aucun politique ne prendra l’avion pour venir, sur place, exiger sa libération. Même les Jeux Olympiques pourront se dérouler comme prévu, dans l’indifférence totale, pour ce prisonnier de conscience, Hu Jia, qui a été enlevé à son domicile par la police, à Pékin, le 27 décembre dernier, pour incitation à la subversion. La Chine, cette hyper-puissance, se réfugie derrière la non-politisation des jeux olympiques pour éviter que soit amené sur la place publique le débat sur la libération de Hu Jia.
La violation des droits de l’homme, en Chine, a atteint, dans les esprits, un tel niveau de banalisation qu’il est coutume maintenant d’écouter sans broncher. Un de plus. Une affaire que les États-Unis d’Amérique affirment suivre avec attention. Avec Guantanamo, que vaut ce souci de l’autre hyper-puissance pour cette violation flagrante du droit de conscience d’un petit homme qui gérait un blog sous le pseudonyme ironique de Freedom. Hu Jia dénonce. Le petit homme « aux pieds nus », âgé de 34 ans, gêne la Chine. « Hu Jia est un représentant du mouvement des droits de l’Homme en Chine, il n’a fait que du bien à beaucoup de gens », affirme Sun Wenguang, un professeur d’université à la retraite et critique du régime. Après des mois en résidence surveillée quasi permanente, il est kidnappé. Par la police. Il disparaît de la circulation.
Son avocat est privé de visites. Isolement complet. Hu Jia parle trop. Il écrit beaucoup. Il dénonce beaucoup. Hu Jia est accusé d’« incitation à la subversion du pouvoir d’État ». Pour cela, il mérite l’exclusion. Il est confiné à l’isolement. À l’emprisonnement sans droit à une défense pleine et entière. Hu Jia ne manque pas de cran : avant son arrestation, il avait participé sur Internet à une conférence sur les droits de l’homme organisée par l’Union européenne, à Bruxelles. Il en avait profité pour dénoncer la répression renouvelée du régime à l’approche des Jeux. Au moment de cette participation, c’était son 193ème jour d’assignation à domicile.
« Un million de Chinois subissent une forme ou une autre de persécution (prison, camps de travail, hôpitaux psychiatriques) », a lancé à l’Union européenne Hu Jia. Le petit homme s’est adressé en termes simples mais directs aux grands de l’Europe : « vous devez rester fermes sur les principes et vous devez maintenir l’embargo sur les armes » (imposé après la répression des manifestations sur la place Tienanmen en 1989, embargo remis en cause par certains pays européens).
Auparavant, dans un texte écrit avec Teng Biao, un de ses amis, professeur de droit, et publié en septembre dernier, Hu Jia s’inquiétait du non-respect par Pékin de ses engagements en faveur d’une plus grande ouverture, qui avaient été faits pour obtenir l’organisation des JO. « Peut-être que vous viendrez à Pékin au moment des jeux Olympiques, vous verrez des gratte-ciels, de larges avenues, des installations sportives modernes et des habitants enthousiastes. Ce sera la réalité, mais seulement une partie, comme lorsqu’on regarde un iceberg », écrivaient-ils. « Vous ne savez peut-être pas que cet enthousiasme, ces sourires, cette harmonie et cette prospérité sont fondés sur l’injustice, les larmes, l’emprisonnement, la torture et le sang », poursuivaient les deux hommes, tout en espérant néanmoins que les Jeux apportent aux Chinois « la paix, l’égalité, la liberté et la justice ». « Nous prions pour que les JO se déroulent dans une Chine libre », concluaient-ils.
Plus de 57 avocats, universitaires, éditeurs, auteurs et militants des libertés civiles chinois, signataires d’une lettre ouverte, au début du mois de janvier 2008, destinée aux autorités de Pékin, estiment que l’arrestation de Hu Jia, pour menées subversives, est « inacceptable ». « Nous appelons les pays libres, les organisations internationales des droits de l’Homme et l’opinion publique mondiale à faire pression sur le gouvernement chinois pour le respect des droits de l’Homme, de respecter la loi et les promesses qu’il a faites », ont-ils souligné. Ce geste courageux, dans les circonstances, porte ombrage aux atermoiements à peine audibles de quelques chefs d’État trop craintifs d’indisposer leur client chinois.
« En en frappant un, vous faites peur à cent autres », explique Sun Wenguang, professeur à la retraite de l’Université du Shandong (est), qui dénonce régulièrement les atteintes aux droits de l’Homme dans son pays. « Le gouvernement essaie de créer un climat de peur pour assurer des jeux Olympiques propres ». Une porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Jiang Yu, interrogée par un journaliste étranger, lors d’un point-presse, a déclaré, le plus sérieusement du monde : « La Chine est un pays de droit. Chacun est égal devant la loi et personne n’est au-dessus des lois. Nous gérerons cette affaire conformément au droit ».
Et c’est conformément au droit qu’en 2007, la Chine a bloqué plus de 2500 sites Internet et que six blogueurs ont été interpellés. C’est conformément au droit que ce pays reste la plus grande prison au monde pour les cyberdissidents avec 51 détenus. C’est conformément au droit que les pays, comme le Canada, la France, les États-Unis, au nom du commerce international, ferment les yeux.
Comme l’indique Georges Abou, de RFI : « L’enjeu des autorités chinoises est de montrer au monde entier une nation sereine et confiante en son avenir, alors que toute la communauté sportive internationale sera rassemblée pour célébrer les olympiades. Les militants chinois, eux, veulent profiter de l’occasion pour desserrer le carcan qui enserre les libertés publiques. Encore une fois, la diplomatie a ramené le sport à sa dimension politique et chaque partie mesure sa marge de manœuvre. A ce stade de l’épreuve de force, nul ne peut prédire quel sera le bilan de l’offensive en cours ».
Dans son rapport mondial 2008, Human Right Watch rappelle, par la voix de son directeur exécutif, Kenneth Roth, cette douloureuse vérité : « Il est aujourd’hui trop facile pour les autocrates de se tirer d’embarras en mettant en scène une parodie de démocratie ». « Et cela parce que trop de gouvernements occidentaux insistent sur la tenue d’élections et en restent là. Ils n’exercent pas de pressions sur les gouvernements au sujet des points clés des droits humains qui font fonctionner une démocratie – la liberté de la presse, le droit de se réunir pacifiquement, ainsi qu’une société civile active qui peut réellement défier le pouvoir ». « Les Jeux olympiques de 2008 constituent une occasion historique pour le gouvernement chinois de montrer au monde qu’il peut faire des droits humains une réalité pour 1.3 milliard de citoyens », a souligné Kenneth Roth. Et la douloureuse réalité, à la quelle le dissident chinois aura à faire face, du fond de son cachot, isolé, et perdu, parce qu’oublié des hommes libres à la tête de leur gouvernement respectif, est que : « Washington et les gouvernements européens semblent prêts à accepter les élections les plus contestables, pourvu que le « vainqueur » soit un allié stratégique ou commercial », rappelle Kenneth Roth de Human Right Watch.
Qui d’entre nous se rappellera de son nom, demain ?
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