Le quotidien El Païs attaque durement le président de la France, Nicolas Sarkozy. Et ces sondages qui ne cessent de dégringoler : dix neuf points séparent les cotes de popularité de Nicolas Sarkozy et de François Fillon dans le baromètre mensuel Ifop pour le Journal du Dimanche, annonce Reuters. Le chef de l’État ne réunit plus que 38% d’opinions favorables contre 57% pour le Premier ministre. Cela représente une baisse de neuf points en un mois pour le premier, une hausse de sept pour le second. Au total, neuf mois après son élection, 62% des Français se déclarent plutôt ou très mécontents de l’action de Nicolas Sarkozy à la tête de l’État soit une progression de dix points - la plus forte hausse mensuelle depuis mai dernier. Quatre sondés sur dix se disent mécontents du travail de François Fillon contre 46% il y a un mois. En mai, les cotes des deux têtes de l’exécutif étaient quasiment égales: 65% d’opinions favorables pour Nicolas Sarkozy, 62% pour François Fillon. L’enquête a été réalisée du 14 au 22 février au téléphone ou au domicile de 1.879 personnes. Que dire enfin de ce petit incident au Salon de l’Agriculture où le président a lancé des mots fleuris à un citoyen qui refusait de lui serrer la main, comme l’a enregistré la vidéo du Parisien ?

Dans son édition de cette semaine, comme si tout cela ne suffisait pas, le Courrier International reproduit trois autres articles, signés de journalistes européens, qui critiquent tout aussi férocement le style et la démarche du Chef de l’État français. Le Courrier International s’est retrouvé au milieu d’une nouvelle polémique qui bouscule l’actualité française.

Les faits

La Régie autonome des Transports parisiens (RATP) ne publie sur son portail aucun communiqué pour expliquer la décision qu’elle a prise d’interdire une affiche du dernier numéro de Courrier international, où figure le titre « Vue de Madrid : Sarkozy, ce grand malade ». La raison invoquée pour justifier cette décision : un devoir de neutralité lié à sa mission de service public. « Nous avons des règles spécifiques liées à notre mission de service public. En tant que tel nous devons respecter une stricte neutralité sous peine de poursuites, et nous sommes soumis à une certaine prudence », explique son président, Gérard Unger. Tout en ajoutant cependant : « On peut afficher des sujets politiques avec des opinions quand cela ne suscite pas la controverse. Mais traiter le président de la République de “grand malade”, cela dépasse ce que l’on peut afficher dans le métro sans risque de polémique ».

Que disait donc cette affiche ? L’affiche proposée reproduisait la une du numéro de l’hebdomadaire, Le Courrier international, publié jeudi. Comme le montre bien ce lien vers Rue89, qui a mis au jour l’affaire, le titre, en haut à droite n’est qu’une traduction d’un titre du journal espagnol, El Pais. « On est dans l’ordre de la censure politique si on ne peut plus critiquer le gouvernement », déplore le directeur du magazine, Philippe Thureau-Dangin. Rue89 n’en ajoute pas moins : « Le groupe Lagardère a réussi à faire encore plus fort que Métrobus, la régie publicitaire de la RATP : dans des boutiques Relay de tout le pays, les employés ont dû plier le haut de l’affiche pour que ce titre sacrilège n’apparaisse pas : “Vu de Madrid, Sarkozy ce grand malade”. Quand le ridicule se joint à la censure… »

Selon Rue89 : « la Société des journalistes de l’hebdo s’inquiète de ces deux cas de censure successifs. Celui de Lagardère tombe d’autant plus mal que le groupe, dont le président Arnaud Lagardère s’est un jour qualifié de “frère” de Nicolas Sarkozy, vient de présenter un projet de montée dans le capital du groupe Le Monde, qui édite Courrier international. « Un tel acte augure mal de l’indépendance rédactionnelle des titres de notre groupe s’il y devenait majoritaire », écrivent les journalistes.

Cette affaire de censure n’est pas banale, comme l’explique le directeur du Courrier international. M. Thureau-Dangin précise qu’il a proposé « des changements » après avoir essuyé un premier refus, proposant notamment de remplacer « grand malade » par « malade de l’ego ». « Il y a eu un blocage total, parce que, visiblement, tout le monde était prévenu à Métrobus. Métrobus estimait qu’en tant qu’afficheur, il risquait d’être accusé de diffamation », a expliqué le directeur de Courrier International.

Dans son édition datée du jeudi 21 février, le Courrier International reproduit quatre articles signés par des journalistes européens, très critiques à l’égard du président Nicolas Sarkozy. L’un d’eux, titré « Sarkozy, c’est fini » (en français dans le texte), décrit un chef de l’ « État » « malade » : « L’infirmité dont souffre Sarkozy n’a pas la gravité du cancer de la prostate de Mitterrand, mais elle affecte cet organe vital qu’est l’ego, et qui souffre d’une hypertrophie probablement irréversible ».

Critique lapidaire contre le style du président français

Voici la version française, qu’en offre le Courrier International, de l’article du directeur adjoint d’El País, Lluís Bassets.

Les Français ont un problème. Ils croyaient avoir un superprésident, un hyper­dirigeant capable de les sortir de la dépression et de la décadence, et voilà qu’ils ont écopé d’un président comme ils en ont déjà connu beaucoup d’autres : à savoir malade, limité, qu’il faut dorloter et protéger tout en s’organisant pour que la France tourne et que le gouvernement et les institutions fassent leur devoir. La situation n’a rien d’inédit : Pompidou et Mitterrand étaient déjà des présidents malades et diminués. Le premier est même mort avant la fin de son mandat. Quant à Chirac, il fut un obstacle paralysant pendant une bonne partie de sa présidence. La maladie dont souffre Sarkozy n’a pas la gravité du cancer de la prostate de Mitterrand, mais elle touche un organe vital s’il en est : l’ego. Celui du président est d’évidence atteint d’une hypertrophie probablement incurable.

Plus on s’approche du 9 mars, date du premier tour des élections municipales, plus la nervosité des candidats du parti présidentiel augmente et plus on redoute les interventions de Sarkozy, susceptibles de faire perdre des voix à l’UMP. Le parti du chef de l’État est divisé à cause de tensions qu’il a lui-même créées. Le traitement qu’il a infligé en public aux uns et aux autres, y compris à certains de ses collaborateurs les plus proches, est digne du comportement d’un monarque bilieux et capricieux avec ses laquais. Même son actuelle impopularité est extravagante : elle ne s’explique pas par un train de réformes puisque ces dernières sont encore largement inappliquées. Elle s’explique uniquement par son comportement public.

Un triomphe de sultan, seigneur en son sérail

Le trône qu’occupe Nicolas Sarkozy a été imaginé par de Gaulle pour lui permettre d’être le troisième larron d’un monde bipolaire. Le président français voulait être un fier contrepoids occidental dans l’affrontement entre Washington et Moscou. Or Sarkozy, arrière-petit-fils libéral et proaméricain de De Gaulle (après le petit-fils, Chirac, et le fils, Pompidou), s’est installé sur le trône élyséen porté par son ambition personnelle et sa conception égotique de la présidence : il a par le fait encore accru les pouvoirs de la présidence. Et, une fois parvenu à ses fins, il s’est consacré à lui-même, comme un ado narcissique obnubilé par ses sentiments et ses plaisirs. Certes, le pouvoir peut en apporter beaucoup, mais la prudence conseille de ne pas trop en faire étalage. Sarkozy le téméraire fait tout le contraire et se vautre dans l’exhibitionnisme.

C’est sur trois points précis qu’est venu se briser le personnage : l’économie, qui n’a pas enregistré la moindre amélioration depuis son arrivée ; son idéologie plus néocons, voire “théocons”, que gaulliste – en témoignent des prises de position sur la laïcité contraires à la culture de la République ; et sa vie privée, étalée dans les médias. En monarque thaumaturge qui par une simple imposition des mains devait augmenter le pouvoir d’achat, il a échoué au point de prononcer la formule maudite qui rompt les sortilèges : “Qu’est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides ?” En monarque philosophe, il a manifesté les plus fortes réserves vis-à-vis des traditions républicaines, en exprimant avec désinvolture son affinité intellectuelle avec le pape. Il n’a pleinement triomphé que dans le rôle de sultan, seigneur en son sérail, paré des atours qui passionnent un certain public – et manifestement aussi ses pairs. Le voilà fasciné par son propre pouvoir de séduction, son goût exquis et sa désinvolture. Mais ce triomphe-là a le don de déprimer beaucoup de Français car il rabaisse la République au niveau de la principauté de Monaco.

Un deuxième article, signé cette fois-ci de William Pfaff, de l’International Herald Tribune, soutient que la France sort diminuée de la manifestation des caprices du président Nicolas Sarkozy.

L’effondrement de la cote de popularité de Nicolas Sarkozy n’est pas irréversible. Mais cette chute n’en témoigne pas moins, et à plus d’un titre, de l’image qu’ont les Français de leur propre pays. En surface, le problème de Sarkozy semble être que son hyperactivité n’a pas produit grand-chose. Soyons justes, il a tout de même réussi à désamorcer d’importants conflits sociaux qui avaient anéanti la volonté réformatrice du dernier mandat de Jacques Chirac.

Mais le président français est aussi coutumier des annonces tonitruantes et des promesses à l’emporte-pièce que ses ministres sont ensuite chargés d’analyser pour les trouver au bout du compte inappropriées ou inapplicables. Et l’imbroglio Cécilia-Carla n’a rien fait pour arranger les choses, au contraire.

Personne ne lui reproche que son couple ait été en crise, ni même qu’il se soit remarié, mais l’étalage de tout cela dans les journaux du monde entier, dans un tourbillon de “pipolisation”, comme on dit bizarrement en bon franglais, s’est révélé faire très mauvais effet. Car la France reste un pays très attaché à la bienséance. Un endroit où les nobles usages et la politesse permettent de marquer au quotidien une distance bien utile, tout en favorisant une courtoisie aussi indispensable qu’apaisante. La concierge et la boulangère sont systématiquement gratifiées d’un chère Madame* et des nouvelles de leur santé leur sont rituellement demandées. Les échanges de courrier avec le Trésor public ou un quelconque client se concluent toujours par une formule de politesse et de déférence dont les gradations et le bon usage sont expliquées à tout étranger (et à toutes les secrétaires). Nicolas Sarkozy a renoncé à être Monsieur le Président de la République*, sauf lorsque cette noble appellation se révèle opportunément intimidante ; dans les autres cas, il veut simplement être le type qui a un boulot à accomplir, à savoir tapoter les électeurs sur l’épaule, un dirigeant qui a gagné sa place au mérite, tout ça pour finir à la une des magazines people avec sa dernière – somptueuse – conquête.

Tout cela ne colle pas, et les Français ont le sentiment que leur pays en sort diminué. Car la France est un pays éminemment sérieux. Or les grandes décisions de politique étrangère – l’Afghanistan, l’Iran, les rapports de la France et des États-Unis, l’OTAN, Israël, les Palestiniens, ou encore le nom du futur président de l’Union européenne ou celui du prochain maire de Neuilly – sont toutes prises par Sarkozy sur le mode du caprice, sans préalable ni débat public. La situation actuelle est de celles que le président français semble avoir lui-même anticipées, voire redoutées : conquérir le pouvoir est une chose, en faire bon usage en est une autre. Au lendemain de son élection, il avait déclaré à la dramaturge Yasmina Reza : “J’ai rêvé d’être là où je suis maintenant. J’y suis. Et ça ne m’excite pas. C’est dur. Ça y est, je suis président. Je ne suis plus dans l’avant.” Nicolas Sarkozy se retrouve donc dans le “maintenant”. C’est peut-être là tout le problème, et un problème pour lequel il ne trouve pas de réponse satisfaisante.

Pour prendre connaissance des deux autres articles, avant qu’un ordre malheureux ne vienne les retirer du site de l’hebdomadaire, sur « Le président, la reine et le cadeau de mariage » et sur « Carla Bruni au banc d’essai de la critique américaine », le lecteur pourra consulter le Courrier International en ligne qui les reproduit dans leur intégralité.

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