Avis au lecteur. Ce billet est long. L'importance du propos l'impose. Merci de votre compréhension.
Henri Queuille, né le 31 mars 1884 et mort le 15 juin 1970, est un homme politique français. Celui qui a été surnommé le « petit père Queuille » a multiplié les citations lapidaires sur l'exercice du pouvoir. Celui qui est devenu le « plus illustre des Corréziens » est aussi devenu un symbole de l'inefficacité et du discrédit de la IVe République. Cette citation est de lui : « La politique, ce n'est pas de résoudre les problèmes, c'est de faire taire ceux qui les posent ».
Au Canada, ceux qui posent des problèmes ne sont pas ceux auxquels il est de bon ton de penser, soit les politiciens. Non. Le problème, c’est la population. Et les politiciens sont là pour faire taire cette population qui se montre impatiente à l’égard de certaines de leurs décisions. Alors que la population canadienne et surtout québécoise s’interroge sur les conflits dans le Sud de l’Afghanistan qui nous valent autant de pertes en vies humaines, Stéphane Dion se bat avec ses députés. Une dizaine de députés libéraux auraient critiqué ouvertement leur chef sur ses positions face à la présence militaire canadienne en Afghanistan.
Tempus fugit. « (...) un gouvernement libéral sous ma gouverne ne prolongera pas la mission des troupes de combats du Canada basées à Kandahar au-delà de février 2009. Le Canada informera immédiatement l'OTAN que cette échéance n'est pas négociable, et qu'il faut que l'Alliance trouve un autre pays pour prendre le relais », clamait haut et fort Stéphane Dion, il y a déjà de cela quelques jours. Le secrétaire général de l'OTAN entendait bien promouvoir l'idée de rotation des pays présents en Afghanistan, une proposition qui plaisait au Canada. Toutefois, Jan de Hoop Scheffer avertissait, dans un même souffle, qu'il faudra encore du temps avant qu'une proposition formelle favorisant la rotation soit adoptée. Et dire que le Canada, qui se lance tête baissée dans pareille aventure, est le seul pays doté d'une mission de combat majeure dans le sud afghan qui ne possède pas de flotte d'hélicoptères.
Pour Angela Merkel, par exemple, la position est claire. L'armée allemande restera « fortement engagée » dans le nord de l'Afghanistan et il est normal, dans une alliance comme l'Otan, que chacun dise ce qu'« il peut et ne peut pas faire ». C'est la position que la chancelière allemande a défendue à la 44e Conférence internationale sur la sécurité, à Munich, pendant le week-end. Dans une interview, Madame Merkel confirme en outre que l'Allemagne ne déploiera pas d'unités de la Bundeswehr dans le sud du pays, se référant au mandat voté par le Bundestag, valable jusqu'en octobre et qui ne « sera pas changé », insiste-t-elle. Le gouvernement allemand a pris ses distances avec une initiative de parlementaires de la coalition gouvernementale prévoyant d'accroître de 1.000 hommes le contingent allemand en Afghanistan, lorsque le Bundestag se penchera sur le nouveau mandat en octobre prochain.
Le député, porte-parole libéral pour les questions de Défense, Denis Coderre, a répété souvent qu'il fallait « mettre fin à la mission de combat » et qu'un autre pays de l'Otan devait s'occuper de la « contre-insurrection ». Il s’en trouvait pourtant pour dire que la position de Stéphane Dion n'était pas réaliste. Pour le ministre canadien de la Défense, Peter MacKay, « suggérer que l'on peut faire du développement et entraîner l'armée afghane tout en évitant les combats est de la pure folie ».
Sur la délicate question afghane, il est maintenant clair que le gouvernement minoritaire de Stephen Harper a compris la faiblesse de Stéphane Dion, puisque les deux autres chefs de l’opposition, Jack Layton et Gilles Duceppe, par leur intransigeance manifeste, se sont mis hors jeu. Et de cette faiblesse, le Prince en tire sa force, comme l’a déjà démontré Machiavel. Les temps changent. Stephen Harper, qui n’hésitait pas à bousculer un pusillanime Stéphane Dion, si peu crédible dans les sondages, il y a quelques semaines, le tient maintenant, circonstances obligent, en très haute considération stratégique. Le « petit père » de la Loi sur la clarté référendaire, votée en 1999, devient soudainement fréquentable.
Le premier ministre Harper se servirait du dossier de l'Afghanistan pour mettre à l'épreuve les capacités de leadership de son vis-à-vis libéral. Dion avait finalement émergé d'un immobilisme inexplicable en énonçant la position de ce qu'on croyait être celle de son parti : pas question de poursuivre une mission de combat après février 2009, même si l'OTAN accepte d'envoyer un contingent militaire plus important. La fermeté de la position libérale a fondu comme beurre au soleil (Acadie Nouvelle).
Pendant que messieurs Harper et Dion établissent des stratégies communes sur le vote au Parlement en mars prochain, dans le seul but manifeste de protéger leurs postures respectives, les grands de ce monde réalisent l’ampleur de la tâche en Afghanistan. La Force d'assistance à la sécurité de l'Otan en Afghanistan, l'Isaf, a besoin d'un renfort de 7 500 hommes, ainsi que d'équipements supplémentaires, comme des hélicoptères. Chaque pays met ses conditions. Les États-Unis exigent une relève pour les 3 000 Marines envoyés en renfort dans le sud afghan, mais seulement pour sept mois. La Grande-Bretagne demande un « juste partage des tâches ». L'Allemagne, troisième contributeur, mais uniquement dans le nord du pays, ne veut toujours pas migrer dans le sud afghan, en dépit des pressions répétées de Washington : le Bundestag le lui interdit. L’américain Robert Gates, pour sa part, accuse les troupes européennes de quasi incompétence puisqu’elles « ne sont pas formées à la contre-insurrection, hésitent à patrouiller pour éviter les pertes, ou répugnent à combattre avec l'armée afghane ». Lettre qualifiée de « rude » par les Allemands et considérée comme « courtoise » par les Français (RFI).
Pour quiconque s’interroge, force est de reconnaître que l’Alliance atlantique est au plus mal et qu’elle est confrontée à deux questions majeures : le non-engagement de certains de ses membres au combat et l’envoi de renforts, réclamés par les chefs militaires de l’Otan. Deux tendances que décrivait Robert Gates en termes peu diplomatiques : « ceux veulent aller se battre et mourir pour défendre la sécurité des populations et ceux qui ne veulent pas » (Libération). En mai 2007, le chroniqueur William Pfaff, de l’International Herald Tribune, écrivait que l’Afghanistan va devenir le cimetière de l’Otan. Il appartient, disait-il, aux européens d’amener les USA à reconnaitre cette réalité, car ils en seront incapables par eux-mêmes : « L’Afghanistan est plus grand que l’Irak. Les forces de l’OTAN tentent de battre et de chasser du pays un mouvement religieux et politique qui s’enracine dans la société Pachtoune, dont les membres sont estimés à 12,5 millions en Afghanistan, 28 millions au Pakistan voisin, et 40 ou 45 millions internationalement. C’est absurde ».
« Que veut-on faire en Afghanistan ? », s’interrogeait plus récemment un haut gradé français cité par l’AFP. « Est-ce que nous voulons capturer Ben Laden, éradiquer la culture du pavot, établir une démocratie, sécuriser le pays ? Tant que l’on n’aura pas un effet final recherché très clair, il ne faut pas s’attendre à ce que l’Otan réussisse ». Dans ce contexte, un bon nombre de pays sont plus motivés par le désir de montrer leur loyauté aux États-Unis ou à l’Otan que par la conscience de la nécessité de combattre l’extrémisme à sa source. Pour ceux-là, il s’agit plus d’être dans le jeu que de gagner. Comme l'indique François D'Alançon, du quotidien La Croix, dans les couloirs du Bayerischer Hof, à Munich, la place est au scepticisme. « Il n’y a pas d’unité stratégique entre les Américains et les Européens sur la mission en Afghanistan », commentait un diplomate européen. Les Américains parlent de guerre contre la terreur et de combat contre le mouvement extrémiste islamique violent. Les Européens n’utilisent pas cette terminologie ».
Au Canada, sans apporter cet éclairage à la population canadienne, Stéphane Dion n’a fait que répéter invariablement que la date butoir de 2009 était incontournable. Le gouvernement minoritaire de Stephen Harper, pressé par sa propre stratégie de sauvegarde, s'est également bien gardé d'informer le peuple canadien sur la situation réelle que vit la Force d'assistance à la sécurité de l'Otan en Afghanistan, l'Isaf. La semaine dernière, Stéphane Dion avait même indiqué que le texte de la motion, que lui avait soumise le premier ministre Harper, était inacceptable. « J'ai clairement expliqué au premier ministre que cette motion nous demanderait à nous, les libéraux, de faire un compromis par rapport à nos principes. Quelque chose que nous ne pouvons pas faire », avait déclaré Stéphane Dion. « Entre la position de M. Layton et celle de M. Harper, il y a une position responsable et raisonnable qui est de dire que la mission de combat à Kandahar se termine en février 2009 et que le Canada a un rôle à jouer après. Un rôle de développement, un rôle de sécurité, un rôle de formation et que le Canada sera tout disposé à le faire, après que le principe de rotation aura été mis en place par l'OTAN », soutenait ce même Stéphane Dion.
Stéphane Dion, voulant éviter à tout prix d'être un « dommage collatéral » de son parti, annonce que d'ores et déjà, les libéraux adopteront une nouvelle position toute en nuances. Elle est terminée l'ère des objurgations sentencieuses. Stephen Harper jubile : « J'accueille favorablement la plus grande clarté de la position de l'opposition libérale à propos de la mission en Afghanistan », a déclaré M. Harper aux journalistes. Monsieur Pablo Rodriguez avait à peine lancé : « Si M. Harper veut aller en guerre [...], on ira en élections », que le « le petit père » de la clarté vient d’en décider autrement. Les amendements Dion assureraient donc que la mission prendrait fin en 2011 et qu'entre 2009 et 2011, les militaires canadiens ne participeraient plus à des opérations de combat, se concentrant plutôt sur la formation des soldats et policiers afghans et sur les projets de reconstruction et de développement. Sauf que le général Rick Hillier avait bien déclaré en janvier dernier qu'il lui serait impossible d'assurer la formation de l'armée afghane et la sécurité dans la province de Kandahar sans se retrouver dans des situations de combat.
Stéphane Dion, reconverti, se montre maintenant fort conciliant. « On fait le design de la mission dans son ensemble, mais c'est aux militaires de décider, avec leur expertise, comment y arriver », déclare-t-il le plus sérieusement. Et si l’armée canadienne cantonnée dans le Sud de l’Afghanistan devait passer à l’offensive, par décision des généraux sur les lieux? Le « petit père » est beau joueur : « Ce sera à eux de décider », a répondu le chef libéral. La marge de manœuvre des militaires sera donc très grande.
Fait intéressant à noter : l’amendement libéral de quatre pages ne contiendrait aucune référence à une fin des combats en février 2009, comme il l’avait si souventes fois martelé depuis un an. D'aucuns voient dans cette conversion soudaine un retour à un débat rationnel sur une situation périlleuse dans laquelle les libéraux de Paul Martin ont placé le Canada. D'autres y voient l'expression d'une humiliante volte-face pour ce chef si précieux et si fier de son sens de la clarté. Stéphane Dion, à lui seul, en visionnaire qu’il se prétend, aura tout réussi : éviter la gronde de ses députés « va-t-en guerre », de se contredire sur ses propres vérités martelées depuis plus d’un an, de ses alliances douteuses et stratégiques, pour la énième fois, avec le gouvernement conservateur minoritaire de Stephen Harper, et de s’isoler davantage de l’opinion publique.
Qui, du gouvernement ou de l'opposition libérale, informera la population canadienne sur l'état réel de la présence de l'Otan en Afghanistan? Le diplomate britannique, Paddy Ashdown, dont la candidature au poste de représentant spécial de l'ONU en Afghanistan a été rejetée par Kaboul, écrit dans le Financial Times : « La défaite est maintenant une possibilité réelle ». « Ce dont nous manquons par dessus tout, c'est une stratégie qui fasse l'unanimité », écrit le diplomate tout en ajoutant, avec réalisme, que les contributeurs internationaux « devraient faire de l'amélioration du gouvernement, la première, et si nous pouvons la seule, priorité pour tous les programmes d'aide à venir ». Paddy Ashdown poursuit : « Nous n'avons pas perdu en Afghanistan. Mais nous perdrons si nous ne commençons pas à faire les choses différemment. Ce dont nous avons besoin est une stratégie », explique M. Ashdown.
En Afghanistan, enfin, il y a cet autre son de cloche : « L'étendue de la menace n'est pas aussi importante que celle présentée hors d'Afghanistan», a déclaré le porte-parole du ministère, le général Mohammad Zahir Azimi, au cours d'un point de presse. « D'un côté, il y a la réalité en Afghanistan et, de l'autre, il y a ce que l'OTAN dit » a poursuivi le général. « Lorsque les pays de l'OTAN se parlent entre eux, ils tentent de montrer que l'inquiétude est grande ». « Ils ont de bonnes raisons pour cela : obtenir davantage d'aide, de soldats et d'attention pour l'Afghanistan », a-t-il dit. « Mais vu de l'intérieur, l'inquiétude est bien moins élevée », a ajouté le général.
Pour le chef du NPD, Jack Layton, le rapprochement entre le PC et le PLC était écrit dans le ciel. « Le Parti libéral appuie cette guerre depuis longtemps. On discute simplement des détails. Et nous aurons maintenant une prolongation de trois années et ce n'est pas quelque chose qu'on peut appuyer », a-t-il dit. Pour sa part, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, souhaite que ce rapprochement entre les deux grands partis permette de régler la question afghane au plus vite. « Nous, on est clairs, ça doit se terminer en février 2009. [...] Mais il est souhaitable que le vote se fasse avant le budget pour avoir un mandat très clair face à l'OTAN. Sinon, l'OTAN pourrait être devant un pays qui n'a pas pris de décision parce qu'il est en campagne électorale » (Le Devoir).
Des libéraux craignent, depuis l’annonce de leur chef, que l'image qui ressorte auprès de la population soit celle d'un parti qui s'est mis à plat ventre devant le gouvernement conservateur pour éviter de plonger le pays en élections. Il faut donc absolument rectifier cette perception, disent-ils. La sénatrice Céline Hervieux-Payette abonde dans le même sens et affirme que la proposition libérale « n'était pas claire » et qu'il faut mieux l'expliquer à la population.
Le « petit père » de la Loi sur la clarté référendaire, Stéphane Dion, vient de montrer, en quelque sorte, ce que disait Paul Valery de la politique : « Les politique renient pour subsister ce qu’ils ont promis pour exister ».
(Sources : AFP, Cyberpresse, La Croix, Le Devoir, Libération, Presse canadienne)