mardi 1 janvier 2008

Pakistan - « 2008, l’année de tous les dangers »

Le Pakistan partage ses frontières avec l’Iran, l’Afghanistan, la Chine et l’Inde. Les troubles qui secouent le pays pèseront lourdement sur l’année 2008. Les États-Unis auront plus d’un souci à régler : l’Iran qui poursuit sa quête nucléaire, l’Afghanistan qui devient de plus en plus incontrôlable, l’Irak au bord de l’éclatement, l’Inde de plus en plus inquiétée par les soubresauts de son voisin encombrant, et la Chine qui n’a aucun intérêt de voir éclater, dans son giron, un conflit nucléaire. 2007 disparaît, vive 2008 ! 2008 sera l’année de tous les dangers.

Bilawal Zardari, le fils de Benazir Bhutto âgé de 19 ans, succède à sa mère, assassinée jeudi dernier, à la tête du principal mouvement politique d’opposition du Pakistan. Sa première déclaration est habile : « Ma mère a toujours dit que la démocratie était la meilleure vengeance ». Les partisans de Mme Bhutto accusent des éléments proches du camp Musharraf d’avoir « tué » leur chef, au mieux en négligeant sa sécurité, au pire en orchestrant son assassinat. Madame Bhutto avait, en septembre dernier, averti Londres que sa vie était menacée et elle avait identifié ses assassins potentiels. Selon le Courrier international : « le Foreign Office avait invité Benazir Bhutto a cessé de lancer des accusations à la légère contre Musharraf, sous peine de courir un grave danger ». Elle avait transmis les mêmes informations au président Musharraf, mais elle savait qu’il était fort peu probable qu’une action, quelle qu’elle soit, serait entreprise.

Dans son testament, lu dimanche, Benazir Bhutto désignait son mari et père de Bilawal Zardari, Asif Ali Zardari, comme son successeur à la tête du PPP. Zardari, père, que nombre de Pakistanais voient avec méfiance, a, au terme d’une réunion à huis-clos du comité central exécutif du Parti populaire du Pakistan, désigné son fils, Bilawal comme président officiel du parti. Il continuera ses études à Oxford pendant que son père, désigné co-président, en assurera la direction effective. Asif Ali Zardari, ancien ministre de sa femme et qui passa huit ans en prison pour corruption, est au Pakistan surnommé « Monsieur 10% » pour son amour des pots-de-vin, soupçonné de se servir de confortables commissions sur chaque contrat gouvernemental, et de dépenser l’argent public pour ses besoins personnels ou ses chevaux. Il a toujours nié les fautes que lui reproche la justice de son pays.

Asif Ali Zardari, qui souffre de plusieurs maladies, dont des problèmes cardiaques et des douleurs au dos, dues à ses années de détention, s’est adressé à la presse dimanche en ourdou. Le jeune président, Bilawal Zardari, le fils, n’a parlé qu’en anglais, posant la question de sa maîtrise de la langue nationale. Sa mère aussi, élevée à l’étranger, avait eu du mal avec l’ourdou au début de sa carrière politique. Asif Ali Zardari a annoncé que le Parti populaire du Pakistan (PPP) participerait aux législatives prévues le 8 janvier. Il a enjoint la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), autre parti d’opposition mené par l’ancien Premier ministre, Nawaz Sharif, à participer aux législatives prévues le 8 janvier prochain. Un porte-parole de Nawaz Sharif a fait savoir, peu après, que la Ligue musulmane du Pakistan pourrait prendra part au scrutin. La décision revient en théorie à la Commission électorale, qui doit se réunir d’urgence lundi à Islamabad, et qui avait d’ores et déjà annoncé samedi que le processus électoral était « défavorablement affecté » par la mort de Mme Bhutto et les émeutes et violences qui ont paralysé ce pays de 160 millions d’habitants, doté de l’arme nucléaire.

Ce qui n’est pas pour déplaire à Washington qui a réclamé la tenue d’élections réellement démocratiques au Pakistan. « Nous pensons qu’il est important pour le Pakistan de faire face aux extrémistes et de poursuivre sur la voie de la démocratie en tenant des élections libres et démocratiques », a déclaré Scott Stanzel, porte-parole de la Maison blanche, sans toutefois réclamer le maintien du scrutin législatif au 8 janvier. En effet, comme l’a indiqué, d’un autre côté, le porte-parole du Département d’État Rob McInturff : « Nous voulons voir le processus démocratique avancer au Pakistan, et si tous les partis sont d’accord sur le fait que le 8 janvier n’est pas la bonne date, cela n’est pas un problème pour nous. Mais nous voulons qu’une nouvelle date soit fixée », a-t-il ajouté.

Plus radical, le sénateur Joseph Biden, président de la commission des affaires étrangères du Sénat, déclare que Washington devrait dire au président Pervez Musharraf que « l’échec de la tenue d’élections transparentes en janvier aura des conséquences importantes pour lui et pour l’armée ». Le New York Times ne fait pas non plus dans la dentelle : « Miser la sécurité de l’Amérique [et de l’arsenal nucléaire pakistanais] sur un dictateur militaire n’a pas marché. Miser sur une alliance d’arrière-salle entre ce dictateur et Mme Bhutto n’est plus possible ». Selon toujours le New York Times, l’aide militaire au Pakistan alimente surtout les projets de l’armée et de M. Musharraf lui-même, comme la fabrication d’armes dirigées non pas contre Al-Qaida mais contre l’Inde.

Sylvain Cypel, du quotidien Le Monde, a recueilli les commentaires de Zia Mian qui dirige le projet « Paix et Sécurité en Asie du Sud » à l’École Woodrow-Wilson de sciences politiques et de relations internationales de l’université de Princeton. Zia Mian considère que Benazir Bhutto faisait une campagne électorale très dure contre les islamistes, qu’elle avait engagée avant même son retour au Pakistan. Contrairement à Nawaz Sharif, qui dénonçait des élections truquées, madame Bhutto acceptait d’y participer et elle admettait de fait le maintien de Pervez Musharraf à la tête de l’État. En contrepartie, Musharraf ne ressortait pas contre elle les accusations de corruption. Le « plan américain » - Musharraf président et elle premier ministre - restait donc l’option probable à terme. C’est cette option que le groupe intégriste qui l’a tuée a voulu éliminer.

Selon toujours Zia Mian, les États-Unis connaissent bien Musharraf. Le chef d’état-major, le général Ashfaq Kiani, a été formé chez eux, à Fort Leavenworth. Mais ils sont très inquiets parce que, depuis les années 1990, ils ont cessé de former les cadres de l’armée pakistanaise. Ils ne connaissent pas la génération montante d’officiers. Washington a deux préoccupations majeures : la stabilité du pays, donc y trouver des appuis fiables, et le nucléaire. Au Pakistan, le nucléaire - même civil ! - n’est jamais discuté au Parlement ; le gouvernement n’est pas informé. Après le 11-Septembre, au moment même où George Bush conclut son pacte avec Musharraf, l’armée déplace tous ses sites nucléarisés !

Nicolas Sarkozy a appelé le président Musharraf et lui a « proposé que Bernard Kouchner se rende dans les 48 heures au Pakistan », ce que le président Musharraf a accepté avec « reconnaissance », a déclaré le porte-parole de l’Élysée, M. Charles Martinon à la presse. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, se rendra au Pakistan, jouant sur la gamme des hautes émotions : « Oui, il faut témoigner sur la tombe de cette femme, il faut y mettre le nom du président de la République française », a-t-il déclaré, qualifiant en outre de « dégueulasse », l’attentat contre Benazir Bhutto. Il entend rencontrer Pervez Musharraf, la famille de Benazir Bhutto, des membres de sa formation et d’autres partis politiques.

Vendredi matin, Bernard Kouchner avait rendu hommage à Benazir Bhutto. Il avait salué la mémoire d’une « femme de fer et de charme » et jugé « essentiel » le maintien du scrutin législatif prévu le 8 janvier. « Ces élections sont essentielles pour la stabilité de ce pays qui est importante, pour le reste du monde et pour nous en particulier qui sommes en Afghanistan avec nos soldats », avait-t-il jugé. Nicolas Sarkozy s’est montré moins impératif : « la meilleure réponse est de maintenir le principe d’élections générales à une date à déterminer par les autorités pakistanaises compétentes ». Nouvelle déclaration de Bernard Kouchner : « Européens, nous devons prendre notre part du travail, ne pas faire comme si, seuls les Américains étaient concernés », déclare-t-il dans une tribune publiée samedi dans le quotidien Le Figaro. Monsieur Kouchner a également profité de l’occasion pour rajuster le tir : « Pour l’instant, les autorités pakistanaises maintiennent l’échéance prévue du 8 janvier. Ce n’est pas à nous de nous prononcer sur la date. Ce ne sont pas nos élections, ce sont celles du peuple pakistanais. Notre rôle consiste à l’accompagner sur le chemin de la démocratie qu’il se choisira ».

Kouchner rencontrera un Musharraf passablement affaibli. Le Pakistan possède la sixième plus importante armée du monde (700 000 soldats). S’il bénéficie toujours du soutien d’une grande partie des militaires, il en va autrement de la population : 67 % des Pakistanais, d’après un sondage cité par Olivier Guillard de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), l’invitaient à remettre sa démission. Par sa décision de se ranger dans le camp américain, plutôt que du côté de Kaboul, et en promettant de lutter contre les militants d’Al-Qaïda, il a pu ainsi obtenir une aide de quelque 11 milliards de dollars des États-Unis.

Comme l’indique Pierre Haski, de rue89 : « le Pakistan, avec 165 millions d’habitants, doté de l’arme nucléaire, voisin de l’Afghanistan avec lequel il partage certains groupes ethniques, ce grand pays musulman, est au carrefour de toutes les lignes de fracture. Ainsi, alors que les troupes de l’Otan, dont 1600 Français, luttent contre les taliban en Afghanistan, leur tâche est rendue plus difficile à cause des sanctuaires dont bénéficient les islamistes dans les zones tribales du Pakistan. Et la contagion a donné naissance à de véritables taliban pakistanais qui multiplient les attentats ».

Mussa Acherchour, du quotidien algérien La Nouvelle, pousse plus loin son analyse : « le Pakistan est la seule puissance dans la région qui se trouve capable ainsi de faire contrepoids à la République islamique d’Iran qui est soupçonnée de nourrir l’ambition de devenir une puissance nucléaire. C’est pourquoi, l’instabilité politique au Pakistan est porteuse de risques majeurs, car cela peut se déteindre sur la stabilité de toute la région, déjà fortement menacée par les pressions accrues contre l’Iran pour l’amener à interrompre son programme d’enrichissement d’uranium, et qui peuvent déboucher sur une guerre ravageuse, à laquelle d’autres puissances régionales – Israël en tête — pourraient être impliquées ».

L’onde de chocs se fait sentir dans toute la région. Notamment et surtout en Afghanistan. L’Otan n’envisage pas, pour l’heure, de changer de politique en Afghanistan mais espère en une « bonne coopération » avec le Pakistan pour contrôler la frontière commune entre les deux pays, a déclaré un responsable de l’Otan. « La situation du Pakistan est instable et il est impossible de prédire la suite », a noté ce responsable. Quelque 40.000 soldats de 39 pays de la Force internationale d’assistance à la sécurité (Isaf), commandée par l’Otan, sont présents en Afghanistan.

En bref, que nous réserve le Pakistan de 2008 : « Au moment où les taliban renforcent leur présence en Afghanistan et où l’Iran voisin est toujours aussi menaçant, la fragilité du Pakistan se présente comme l’une des principales sources de préoccupation mondiale en 2008 » (Le Figaro).

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