La France a-t-elle une justice ? Dans l’affaire de la Société générale, le président de la France, à l’instar de l’affaire de l’Arche de Zoé, s’improvise juge et multiplie les déclarations. Le président de la grande institution française, Daniel Bouton, annonce : « Le conseil d’administration m’a demandé de rester. Bien entendu, ma proposition de démission est sur la table, le conseil d’administration décidera de l’exercer quand il le veut ». Le président de la France ajoute : « Une crise comme celle-là «ne peut pas rester sans conséquences s’agissant des responsabilités», y compris au plus haut niveau », a déclaré hier Nicolas Sarkozy. « Je n’aime pas porter de jugement personnel sur les gens, surtout quand ils sont dans la difficulté, mais on est dans un système où, quand on a une forte rémunération qui est sans doute légitime, et qu’il y a un fort problème, on ne peut pas s’exonérer des responsabilités ». Qu’il le veuille ou non, Nicolas Sarkozy a, une fois de plus, stigmatisé un président d’entreprise français qui avait, pourtant, jusque là, fait l’objet d’une confiance renouvelée de son Conseil d’administration. Ce comportement du président de la République est franchement malsain. Parce que contrairement à ses précautions oratoires, le président a bel et bien stigmatisé Daniel Bouton, ancien directeur de cabinet d’Alain Juppé, lorsque Sarkozy était ministre du Budget, entre 1986 et 1988. Le chef de l’État pousse l’outrecuidance jusqu’à plaider que l’État, n’étant pas actionnaire de la Société générale, il ne pouvait intervenir directement. Évitant les erreurs de son président, la ministre de l’Économie, madame Christine Lagarde, s’est dite « pas convaincue » qu’il faille « changer de capitaine » à la tête de la Société Générale. Selon celle-ci, il revenait « aux administrateurs » de décider du maintien ou non du PDG à son poste. La ministre a raison et son raisonnement se justifie pleinement et s’inscrit dans le respect des institutions de l’État.

Interrogé sur les propos de Nicolas Sarkozy, selon lesquels le PDG de la Société générale Daniel Bouton « ne peut pas s’exonérer de responsabilités », le président du groupe UMP, à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé, a répondu que c’était au conseil d’administration de la banque d’apprécier. Et il a raison. Interrogé sur le sort du président de la Société Générale Daniel Bouton, le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, (UMP), a indiqué que son éventuel départ ne pourrait intervenir que lorsque « les responsabilités seront établies ». Et il a également raison. « La France a des intérêts à ce que ce groupe financier garde sa puissance, qu’il y ait une confiance qui demeure. Laissons l’instruction se dérouler, les responsabilités être établies, chaque chose en son temps », a-t-il aussi affirmé faisant valoir que « la panique en matière financière n’est jamais bonne ». Voilà ce qu’il aurait été convenable d’entendre de la part du président de la République.

Ce que n’a vraisemblablement pas compris la ministre de la Justice.

Rachida Dati, qui s’est rapidement alignée derrière les déclarations inopportunes de son président, saisit mal en quoi consiste son rôle de ministre de la justice. Elle en rajoute une couche, pour plaire en hauts lieux. Tout en affirmant ne pas avoir « à se prononcer sur la démission de Daniel Bouton », la ministre déclare : « il est président de la Société Générale, sa responsabilité peut être engagée ». Rachida Dati est cette ministre qui a mis en place un groupe de travail sur la dépénalisation du droit des affaires qui propose, notamment, un rallongement des délais de prescription.

« Une enquête parlementaire, non », a rectifié le président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Didier Migaud, également socialiste, car « la justice est saisie, l’Autorité des marchés financiers (AMF) aussi, la Commission bancaire » également. Il a trois fois raison. Ce qu’ont feint d’ignorer Nicolas Sarkozy et Rachida Dati pour épater la galerie de la presse. « Plus on commente vite, moins on agit ensuite », a lancé, de son côté, le député UMP, Hervé Mariton (libéral). « Je constate qu’il y a beaucoup de commentaires politiques », a souligné le député. « Je ne suis pas sûr que ceux qui les font comprennent ce dont ils parlent ». Déclaration prudente et intelligente qui aurait dû inspirer le président UDF de la commission des Finances du Sénat, Jean Arthuis, avant qu’il ne déclare que M. Bouton ne peut « pas faire autrement que partir ».

Les sondages sont en baisse pour Nicolas Sarkozy. Les personnes âgées ayant voté à droite commencent à se demander si le chef de l’État, aveuglé par ses nouvelles fonctions, n’a pas oublié de revaloriser les petites pensions, écrit Metro International. […] « Bling-Bling : les traders le sont aussi généralement, du moins ceux qui gagnent des centaines de millions d’euros, ceux qui achètent la voiture de sport dernier cri avec leur prime de Noël, ceux qui font ouvrir des bouteilles de vin à 10 000 dollars dans les restaurants de New-York. Non décidemment, qu’il soit présidentiel ou boursier, le « bling-bling » n’a plus la cote, conclut le quotidien ».

Pour 52% des Français, l’action du président de la République va « plutôt dans le mauvais sens », contre 44% en décembre, selon le baromètre mensuel CSA que publiait vendredi l’hebdomadaire « Valeurs actuelles ». A l’inverse, 37% des personnes interrogées considèrent que l’action de M. Sarkozy va « plutôt dans le bon sens », soit un recul de sept points par rapport au baromètre de décembre, et de 13 par rapport à celui de novembre. Parallèlement, 49% des personnes consultées jugent positive l’action de François Fillon, soit un gain de deux points en un mois. Trente-trois pour cent (-4) se déclarent en revanche insatisfaits.

Jean-Louis Andreani, du quotidien Le Monde, écrit : « Il est rare qu’un président en début de premier mandat soit moins populaire que son premier ministre (le même baromètre IFOP l’a enregistré deux fois, en 1981 pour le couple Mitterrand-Mauroy et en 1995 pour le tandem Chirac-Juppé). Mais il est unique que cette inversion des cotes résulte, sept mois après l’élection, du croisement des courbes de popularité entre un premier ministre en hausse, certes d’un seul point, et un président en baisse ». S’agissant de Nicolas Sarkozy, Andreani poursuit son analyse en constatant que : « son usure rapide était prévisible : elle est le fruit de son extrême exposition. En choisissant de se mettre sur le devant de la scène, y compris pour les actes qui relèvent de la gestion gouvernementale au quotidien, M. Sarkozy a rendu inopérante la règle du “fusible”. Les effets négatifs de cette stratégie ont été accentués par des choix du président, qui a décidé de tout jouer sur son image personnelle avant… d’abîmer celle-ci, par rapport à celle qu’il avait réussi à construire pendant la campagne ».

Et les déclarations intempestives, irréfléchies et inconséquentes du président, dans le domaine de la justice, n’améliorent guère la situation. Selon le site Capital.fr, avec ces rumeurs de départ de Daniel Bouton - qui a toujours lutté pour l’indépendance de la banque - le marché spécule sur un changement dans la stratégie de la banque. Cette affaire a fortement affaibli la Société Générale (GLE), qui ne pèse plus que 34 milliards d’euros en Bourse, presque 2 fois moins que BNP Paribas (BNP) (60 milliards d’euros). Du coup, de nombreux scénarios sont évoqués comme le rachat, le rapprochement et même le démantèlement de la banque. Monsieur Sarkozy pourrait s’interroger sur le rôle que lui-même a joué dans cet affaiblissement de la Société générale.

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