jeudi 13 septembre 2007

Pendant que Washington tergiverse, « ce sera le pire ramadan que nous n'ayons jamais eu », se plaignent les Bagdadis

Nous en avons parlé dans notre chronique précédente. Nous y revenons pour la conclusion.


Mission accomplie. Le général David Petraeus et l’ambassadeur Ryan Crocker ont terminé leur audition devant le congrès. Le message était simple : tout va bien, le président avait raison d’augmenter sur le terrain les troupes armées. « Ma responsabilité, a rétorqué aux critiques le général Petraeus, n'est pas de présenter une belle image, mais de donner une image exacte » de la situation. « Il n'y aura pas de moment précis où nous pourrons proclamer la victoire, le tournant ne pourra être reconnu comme tel que rétrospectivement », a estimé pour sa part l'ambassadeur Crocker. « Si le commandant en chef vous demandait pendant combien d'années il va falloir maintenir des troupes en Irak, que répondriez-vous ? », a interrogé le sénateur démocrate Robert Menendez. « Je répondrais très directement, a dit le général Petraeus. Je ne peux pas faire de prédictions sur ce sujet ».


USA Today résume ainsi l'audition des deux témoins : « Ceux qui voulaient entendre un nouveau plan de la part du général Petraeus et de l'ambassadeur Ryan Crocker n'en ont pas eu un. Au lieu de cela, les deux hommes ont demandé à un Congrès rétif d'attendre jusqu'en mars prochain avant d'essayer de redéfinir la mission américaine en Irak et de ramener les troupes à la maison ». […] Le commandant de la coalition s'est employé à « ralentir l'horloge de Washington, relève The Washington Post. S'il obtient gain de cause, des dizaines de milliers de soldats américains seront encore en Irak pour des années à venir ». […] « C'est une manière de gagner du temps », assurent les principaux commentateurs, qui donnent rendez-vous à leurs lecteurs dans six mois, note Le Temps de Genève. Le New York Times est lapidaire : « Nous espérons que le Congrès ne s'est pas laissé berner par les médailles, les graphiques et la rhétorique des auditions ».


La question est maintenant simple, et c’est le USA Today qui la pose : « est-ce que les Américains voudront s'engager autant pour des résultats si incertains après tant d'échecs antérieurs ». Le Trésor américain a englouti plus de 500 milliards dans cette guerre depuis ses débuts, au printemps 2003. Il semble acquis que Georges Bush M. Bush suivra les recommandations du général David Petraeus et annoncera qu'il fera rentrer d'Irak environ 30.000 hommes d'ici à l'été 2008. Selon le général Petraeus, un premier retrait militaire de 4000 hommes pourrait être possible dès décembre. Le nombre de soldats américains en Irak retomberait ainsi à 130.000 en été 2008 et se trouverait au niveau d'avant l'envoi, par l'administration Bush, de 30.000 renforts en Irak en janvier dernier. Cela suffira-t-il pour infléchir les tendances marquées par les sondages : 60 pour cent des Américains estiment que la guerre était une erreur ou ne valait pas la peine d'être livrée. Il y a actuellement 168.000 soldats américains en Irak.


Depuis trois jours, nous avons entendu beaucoup de déclarations des parlementaires américains : le sénateur démocrate Barack Obama considère que la guerre en Irak est « une erreur désastreuse de politique étrangère. [...] Nous avons placé la barre tellement bas que tout progrès minime est considéré comme un succès. Et ce n'est pas le cas ». « Le meilleur moyen de protéger notre sécurité et de faire pression sur les dirigeants irakiens pour qu'ils trouvent une issue à leur guerre civile est de commencer immédiatement à retirer nos troupes de combat. Pas dans six mois ou dans un an : maintenant. Que les choses soient claires: il n'y a pas de solution militaire en Irak et il n'y en a jamais eue », a plaidé le sénateur Obama.


Pour la sénatrice démocrate Hillary Clinton, les rapports de MM. Petraeus et Crocker n'incitaient à rien d'autre qu'à « l'incrédulité ». Le sénateur démocrate Biden soutient pour sa part que « le peuple américain ne soutiendrait pas une guerre sans limites dont l'unique objectif est désormais d'éviter que la situation en Irak ne devienne pire que ce qu'elle est aujourd'hui ».


La présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, voit dans le témoignage du général Petraeus « un plan pour une présence américaine forte d'au moins 10 ans en Irak. C'est une insulte à l'intelligence du peuple américain ». Le chef de la majorité démocrate au Sénat, le sénateur Harry Reid, en appelle aux sénateurs républicains pour qu'ils travaillent à une législation qui change la mission en Irak et mette en branle un vrai retrait des troupes : « le plan du président Bush ne représente pas le changement de mission dont les États-Unis ont besoin ».


Le but de l'envoi de renforts était d'offrir « un espace de respiration » aux autorités irakiennes pour qu'elles atteignent ces objectifs. Fortement critiqué aux États-Unis, où il est accusé de ne pas s'investir suffisamment pour ramener l'ordre en Irak et pour avoir échoué à stabiliser la situation politique du pays, al-Maliki ne sait plus trop où donner de la tête : il estime néanmoins qu'il y a eu « d'immenses progrès » en matière de sécurité. Pas suffisant aux yeux du Congrès. Malgré la pression américaine, 18 lois considérées comme fondamentales pour remettre l'Irak sur le chemin de l'apaisement n'ont pas encore été examinées par les élus. « Nous avons encore besoin de plus d'efforts et de plus de temps pour que nos forces armées soient capables de prendre le relais des forces multinationales dans toutes les provinces d'Irak », commente al-Maliki.


Devant le parlement irakien, al-Maliki a soutenu avoir : « empêché que l'Irak ne sombre dans la guerre civile malgré toutes les tentatives de déstabilisation des parties locales et internationales ». Cela ne semble pas avoir convaincu Moktada Sadr qui a fait savoir au Premier ministre al-Maliki qu'il avait l'intention de se retirer de l'alliance chiite qui domine son gouvernement : « Nous réfléchissons sérieusement à un retrait de l'Alliance irakienne unifiée si l'échec du processus politique persiste et si le gouvernement n'apporte pas, aux citoyens, sécurité et services ». Le départ des 30 législateurs d'al-Maliki porterait un coup à l'alliance qui détenait 130 des 275 sièges au parlement. Le porte-parole d'Al-Sadr, Sheik Salah al-Obeidi, a indiqué que les législateurs et les hauts fonctionnaires du mouvement se sont réunis pour évaluer la performance du gouvernement du Premier ministre Nouri al-Maliki, à domination shiite.


Voilà neuf mois que les Américains ont réinstallé les démocrates aux commandes du Congrès avec ce seul message: mettez fin à la tragédie, ramenez au plus vite les « boys » à la maison! Comme l’indique Le Figaro, en rassurant les modérés qui menaçaient de faire défection, Petraeus et Crocker devraient priver les démocrates de la majorité des deux tiers nécessaire pour surmonter un veto présidentiel. « Tant que nous n'avons pas 67 voix au Sénat, a reconnu Joe Biden, nous ne pouvons rien faire pour mettre un terme à cette guerre ».Selon Kenneth Pollack de la Brookings Institution : « La décision sur la date et les modalités d'un désengagement échoira presque certainement au prochain président ».


Bruce Riedel, analyste auprès de la Brookings Institution, relève que les deux témoins ont remis un rapport sérieux mais laissé de côté plusieurs points fondamentaux. La guerre interchiite à Bassorah, la deuxième ville d'Irak, a été passée sous silence. La diminution des effectifs des contingents alliés, passés de 15.000 en janvier à 11.000 aujourd'hui, n'a pas été abordée. Le risque d'un nouveau conflit à Kirkouk, dans le Nord, n'a pas non plus été évoqué. Mais surtout, ils n'ont pas fait beaucoup d'efforts pour expliquer comment les Irakiens allaient parvenir à la réconciliation nationale. C'était pourtant l'objectif du renfort décidé en janvier. (Le Monde)


L’Irak se montre bien ingrate : « Plus vite les troupes américaines s'en iront, mieux ça vaudra ! », lance Zahra, un sac de fruits et légumes à la main, de retour de son marché dans une rue poussiéreuse de Bagdad. Bryan Pearson, correspondant de l’Agence France Presse, fait état du mécontentement de la population de Bagdad : « Nous n'avons plus d'eau, pas d'électricité, pas de gaz et nous n'avons pas assez d'argent pour nous acheter à manger pour l'iftar », énumère Zahra, en évoquant le diner de rupture du jeûne dans le mois de ramadan, qui commence ce jeudi pour les chiites comme elle. « Ce sera le pire ramadan que nous n'ayons jamais eu », soupire cette femme énergique d'une soixantaine d'années, que l'annonce lundi à Washington d'une ébauche de calendrier de retrait du contingent américain d'Irak ne suffit pas à tempérer sa colère contre « l'envahisseur ».


Sur son vélo, un adolescent de 15 ans a lui aussi son opinion sur la présence américaine : « ils doivent partir », dit tranquillement Mohammed Hussein. « C'est à cause d'eux que nous manquons de tout », poursuit le jeune homme, expliquant être à la recherche depuis une heure, dans les magasins, d'huile de cuisine.


Le seul objectif de Georges W. Bush est de maintenir jusqu'au bout de son mandat une présence américaine aussi forte que possible en Irak. Grâce à Petraeus et à Crocker, il pourra dire, en 2008, mission accomplie.


__________________________________________