Monsieur David Martinon prévient : « Il ne faut pas compter sur le président de la République pour ne plus dire ce qu’il pense notamment sur des questions aussi fondamentales que la politique monétaire (…) Il continuera à dire ce qu’il pense ». Il aurait pu ajouter : « Ne comptez pas sur Bernard Kouchner pour éviter de dire ce qu’il pense ou de réfléchir tout haut sans avoir réfléchi tout bas ! » En moins de temps qu’il ne le faut, la France s’est propulsée au premier plan des actualités internationales. Pour le mieux ou pour le pire ?
Eurogroupe
Dans le monde des financiers, l’humour a des limites. Le porte-parole de l’Élysée, David Martinon, ne manque pas d’aplomb lorsqu’il déclare que la France est respectueuse de l’indépendance de la Banque centrale européenne. Monsieur Martinon précise que la France ne s’interdit pas de réfléchir et de débattre. Selon le porte-parole de l’Élysée, bien évidemment, « on ne peut pas constater, la même semaine, le niveau record de l’euro par rapport au dollar et donc la perte de compétitivité que cela veut dire – 40 pour cent, c’est pas tout à fait rien - et en même temps s’interdire de poser des questions, de donner des analyses ».
Les explications de monsieur Martinon avaient pour but, tant s’en faut, de minimiser l’impact des déclarations à peine feutrées du président de la République dans les salons du monde financier. Claquer des talons dans ce milieu est particulièrement mal vu. « Shocking », dirait-on, vodka-martini à la main. Nicolas Sarkozy aurait-il oublié les bonnes manières ? Patrick Devedjian, secrétaire général délégué de l’UMP, lance sa tirade : « Bien sûr, la Banque centrale est indépendante, il n’empêche qu’elle peut être éclairée par le débat des politiques qui ne doivent pas être les muets du sérail ». Il n’y a pas à dire, quand la France enlève ses gants blancs, elle sait faire mieux que tout autre dans les salons de la courtoisie et de la diplomatie.
Le président Sarkozy trouve « curieux » que la Banque centrale européenne se contente de mettre d’importantes sommes d’argent à disposition des banques pour ramener le calme sur les marchés, mais n’abaisse pas aussi ses taux d’intérêt pour soutenir la croissance. Et sur un ton qui lui est maintenant habituel, Nicolas Sarkozy enchaîne, sans fausse modestie : « Sur le capitalisme financier, c’est Angela Merkel et moi qui menons le débat. Il n’est pas absurde que le président de l’Eurogroupe s’interroge ». Cette sortie de M. Sarkozy intervient le jour même où le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, rappelle publiquement à l’ordre la France à Porto pour son manque d’efforts dans la réduction de ses déficits, lors d’une réunion du forum. En réponse aux commentaires du président français, le commissaire européen aux Affaires monétaires, Joaquin Almunia, a rendu hommage au travail de Jean-Claude Juncker.
Le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, n’a pas raté l’occasion qui lui était offerte pour lancer, à son tour, une fléchette en direction de Nicolas Sarkozy : « il est étonnant que le président critique l’institut monétaire après avoir salué sa décision récente de ne pas augmenter ses taux, au point de s’en attribuer les mérites ». Le président de la BCE s’est amusé à rappeler que l’ensemble des ministres des Finances de la zone euro - y compris la Française Christine Lagarde - avaient salué son action avec chaleur.
Comme le rapporte Libération, prise entre le marteau et l’enclume, Christine Lagarde a dû se livrer à un surprenant exercice d’acrobatie sémantique. Vendredi, elle déclarait : « La BCE est une institution indépendante, il n’y a pas de débat à ce propos, et nous sommes tous très contents de ce que la BCE a fait cet été face (…) aux turbulences sur les marchés financiers ». Le lendemain, changement au programme : « Il n’y a pas de sujet tabou », a-t-elle déclaré en expliquant que, depuis la décision de laisser les taux inchangés, la crise financière s’était aggravée. « Aujourd’hui, le président a parfaitement raison de soulever la question des taux d’intérêt, c’est une vraie question ».
Selon Le Monde, le ministre des finances allemand, Peer Steinbrück, a de nouveau exhorté à ne pas remettre en cause l’indépendance de la BCE, scellée dans les traités européens et à laquelle Berlin tient tout particulièrement : cela n’a « aucun sens » et « aucune majorité ne se dessine » en Europe dans ce sens, selon lui. Il a jugé préférable de comprendre que les tentatives de remise en cause de l’indépendance de la BCE « ne mènent nulle part », et de « ne pas faire preuve de nervosité » dans le contexte actuel.
Le président Sarkozy, en bon prince, décrète : « Que la croissance soit à 1,9 pour cent ou 2,3 pour cent, au fond, cela ne change pas grand-chose car, ce que je veux, c’est 3 pour cent. De toute façon, il faut faire les réformes pour gagner ce point de croissance ». Incapable de juguler les déficits, Nicolas Sarkozy entend régner sur la croissance. D’aucuns cherchent encore l’erreur. Les sourires discrets sont de rigueur dans les salons feutrés de la finance européenne. « Chacun sait que nous ne facilitons en aucune manière ceux qui se comportent de manière incorrecte, nous protégeons ceux qui se comportent correctement contre les turbulences », commente sur un ton circonstancié le président de la BCE. Pour le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, il convenait de rappeler que : « les ambitions dont la France a fait preuve (en matière de réduction des déficits) ne correspondent pas tout à fait au niveau des attentes qui sont les nôtres ».
Pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le successeur de Jacques Chirac ouvre un nouveau front. Désormais, c’est : Sarkozy contre tous.
Iran
Le président Sarkozy avait, le 27 août dernier, présenté, devant la conférence des Ambassadeurs, à Paris, l’équation suivante eu égard à la nucléarisation de l’Iran : « la crise du nucléaire iranien est sans doute la plus grave qui [pesait] aujourd’hui sur l’ordre international ». Monsieur Sarkozy avait ajouté : « la bombe atomique ou le bombardement ». D’aucuns ont mis au compte d’une formule particulièrement indélicate cette déclaration faite dans le cadre de cette conférence des ambassadeurs.
Il semble que cette formule soit le prélude d’un durcissement de ton de la France à l’égard de l’Iran. Bernard Kouchner vient de le montrer sans l’ombre d’un doute. Déclaration non sans conséquences graves, l’Europe s’interroge. Bernard Kouchner lui affirme : « Il faut se préparer au pire, à savoir la guerre! ». Propos sévères qui ont semé le trouble en France et à l’étranger. Kouchner se prononce, dans le cadre d’un forum sur RTL, pour la préparation, par l’Union européenne, de nouvelles sanctions hors le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies contre l’Iran.
Le Premier ministre François Fillon a tenté de corriger le tir : « Une confrontation avec l’Iran, c’est la dernière extrémité que n’importe quel responsable politique peut souhaiter ». Mais, ajoute-t-il : « le ministre des Affaires étrangères a raison de dire que la situation est dangereuse et qu’elle doit être prise au sérieux ». Pour François Fillion : « Je crois que les Iraniens doivent comprendre que la tension est à son extrême et en particulier dans la région, dans la relation entre l’Iran et ses voisins, dans la relation entre l’Iran et Israël. Nous sommes dans une situation de très grande tension ». Il explique néanmoins que : « ce que le président de la République a décidé, ce sont des sanctions les plus sévères possibles à l’égard du gouvernement iranien s’il perdure dans son projet de construire une force nucléaire autonome ».
Est-il le seul à le croire ? Voilà toute la question.
M. Kouchner n’a, jusqu’à ce jour, obtenu qu’un seul soutien de son homologue néerlandais, Maxime Verhagen, en visite à Paris, qui s’est dit prêt à appliquer des sanctions européennes contre l’Iran si le Conseil de sécurité de l’ONU ne se mettait pas d’accord sur des mesures supplémentaires. Toutefois, il semble que les critiques soient plus nombreuses. La ministre autrichienne des Affaires étrangères a déclaré « qu’il était incompréhensible d’avoir une rhétorique martiale en ce moment ». « Il serait complètement faux de parler de menaces de guerre », a déclaré le porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères mettant en avant la diplomatie comme seule option possible. Si les Britanniques sont sur cette ligne depuis longtemps, les autres Européens ne sont pas tous convaincus, et certains pourraient s’alarmer de l’imprudence diplomatique majeure” que représente l’emploi du mot « guerre » par M. Kouchner
L’évocation d’une guerre en Iran « relève beaucoup d’un battage politico-médiatique », a déclaré Mohamed ElBaradei, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Jusqu’où ira cet alignement de la France sur les États-Unis qui, semble-t-il, continuent de miser sur la diplomatie pour gérer la question nucléaire en Iran, mais dont toutes les options restent ouvertes, comme l’a indiqué dimanche Robert Gates, le secrétaire d’État à la défense ? Les États-Unis accusent l’Iran de tenter de développer l’arme nucléaire et ont déjà suggéré qu’ils pourraient recourir à la force pour stopper ces ambitions. Le président français pose en termes binaires son analyse de la même situation : bombe atomique ou bombardement, repli de l’Iran ou aggravation des sanctions.
Les déclarations de M. Gates interviennent peu avant la tenue d’une réunion à Washington des six grandes puissances impliquées dans les discussions sur la question nucléaire iranienne - États-Unis, Chine, Russie, Grande-Bretagne, France et Allemagne - pour étudier un projet de résolution de l’ONU prévoyant de nouvelles sanctions contre Téhéran. L’intervention tonitruante de Bernard Kouchner s’inscrit dans ce même appui de la France aux États-Unis à la veille de cette rencontre. À Washington, on s’en réjouit : « La France a les mêmes objectifs que nous : que ce régime iranien ne puisse pas se doter d’une arme nucléaire », a déclaré le porte-parole du département d’État, Sean McCormack, réaffirmant aussitôt la position des États-Unis privilégiant l’option diplomatique mais sans exclure le recours à la force.
Le directeur général de l’AIEA, Mohamed ElBaradei, chargé de contrôler le programme nucléaire iranien, a fermement récusé la perspective à ce stade d’une option militaire contre l’Iran : « Nous avons affaire à un dossier très lié à la paix, à la sécurité et à la stabilité régionale au Proche Orient et c’est pourquoi je demanderai à tout le monde de ne pas se laisser emporter jusqu’à ce que nous soyons parvenus au bout de la procédure ».
L’Iran a réagi. Dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères écrit : « Les propos tenus par M. Kouchner ne correspondent pas à la politique globale de l’Union Européenne vis-à-vis de l’Iran, mais visent aussi à mettre en question la compétence de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ». Et le porte-parole en a rajouté : « On a bien l’impression que le ministre français des Affaires étrangères a tout simplement oublié comment est en réalité la politique de l’Union européenne (UE) dans son ensemble ».
L’Iran et la Chine estiment que le dialogue et les négociations avec l’AIEA sont le moyen qui convient le mieux pour régler les contradictions. Le message de Téhéran est clair : en cas de nouvelles sanctions, l’Iran cesserait toute coopération avec l’AIEA, ce qui ne contribuera pas à la paix et à la sécurité. Selon le ministre iranien de l’Intérieur, Mostapha Pourmohammadi, en visite à Pékin : « La partie chinoise nous a souhaité d’approfondir notre coopération avec l’AIEA afin d’empêcher les États-Unis de décréter de nouvelles sanctions contre l’Iran ». Au cours de son séjour, le ministre iranien a eu des rencontres avec un membre du Conseil d’État, Tang Jiaxuan, et le chef de la diplomatie chinoise, Yang Jieshi.
Pour le président du Comité pour les affaires internationales du Conseil de la Fédération (Chambre haute du parlement russe), le sénateur Mikhaïl Marguelov : « Une guerre contre l’Iran peut avoir des conséquences difficilement prévisibles, bouclerait l’anneau Afghanistan-Iran-Irak, ne manquerait pas d’affecter les Territoires palestiniens, Israël et la Syrie, tout en pulvérisant l’espoir d’une stabilité sur l’ensemble de la région[…] Quant à la Russie, elle ne voit pas de raisons objectives de voter pour le lancement d’opérations militaires à proximité immédiate de ses propres frontières ».
Le sénateur Mikhaïl Marguelov note également l’inefficacité d’ouvrir plusieurs champs de confrontation en même temps : « Nous tous sommes témoins d’une triste expérience américaine en Afghanistan et en Irak qui apprend que l’Orient demande une approche très délicate, que la politique orientale ne peut se faire ni avec une hache ni par des bombes ».
Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), interrogé par le Nouvel Observateur, constate que : « si les Américains optaient pour l’usage de la force, donc pour une guerre, cela aurait des conséquences tragiques pour l’Iran mais aussi pour toute la région, et on peut dire pour une grande partie du monde. Et la France se retrouverait de nouveau face au dilemme de 2003 auquel elle tente d’échapper. C’est-à-dire qu’elle devrait choisir soit de refuser cette guerre et donc de se brouiller de nouveau avec les États-Unis, soit de s’allier avec les Américains, c’est-à-dire de prendre le risque de perdre ses appuis en Europe et, sur le plan intérieur, Sarkozy prendrait également un autre risque, celui d’une rupture avec l’opinion publique française ».
Le site Internet, Assar, proche des autorités de Téhéran, annonce, au lendemain des déclarations du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, que plus de plus de 600 missiles iraniens seraient pointés en direction d’Israël et seraient prêts à être lancés si l’État hébreu décidait de s’attaquer à l’Iran ou la Syrie, selon cette source. C’est l’information que retransmet le site hébreu Desinfos. « Les nouveaux occupants de l’Elysée veulent copier la Maison Blanche », a précisé la rédaction d’Assar. « Les autorités iraniennes lanceront 600 missiles sur Israël en cas d’attaque de l’entité sioniste et cela ne sera que la première partie de la réaction iranienne ».
Pour l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin, il faut éviter de donner de mauvais signaux à l’administration Bush. Elle n’a pas besoin de nous (…) pour être encouragée plus avant vers la guerre : « n’encourageons pas l’administration Bush à faire ce qu’elle a déjà fait avec l’Irak, un dossier dans lequel Washington a non seulement commis une erreur, mais une faute. La France doit jouer tout son rôle pour défendre une solution de paix ». Pour Jean-Pierre Chevènement : « La France n’a rien à gagner à épouser docilement les vues les plus agressives de la politique étrangère américaine ».
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