Selon Caroline Fourest et Fiammetta Venner (revue ProChoix et Tirs Croisés), le mot islamophobie a été utilisé en 1979, par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de mauvaises musulmanes en les accusant d’être islamophobes. Il a été réactivité au lendemain de l’affaire Rushdie, par des associations islamistes londoniennes comme Al Muhajiroun ou la Islamic Human Rights Commission dont les statuts prévoient de « recueillir les informations sur les abus des droits de Dieu ». De fait, la lutte contre l’islamophobie rentre bien dans cette catégorie puisqu’elle englobe toutes les atteintes à la morale intégriste (homosexualité, adultère, blasphème, etc).
Ce n’est pas évidemment le sens que lui donne Doudou Diene, avocat sénégalais, nommé en 2002, expert et rapporteur spécial sur le racisme par l’Organisation des Nations Unies. Il vient de déposer son rapport devant le Conseil des droits de l’homme réuni à Genève. Il tire une conclusion générale de son rapport : « Dans le contexte actuel, l’islamophobie représente la forme la plus courante de discrimination religieuse ». Et pour cet expert, la vision négative de l’Islam présente dans plusieurs pays constitue une menace pour la paix dans le monde. IL déplore le fait que plus en plus de dirigeants politiques, de médias et d’intellectuels « assimilent l’islam à la violence et au terrorisme ». Le juriste dénonce à cet égard « l’instrumentalisation politique du racisme, de la xénophobie et de l’intolérance »
Tout en dénonçant vigoureusement les manifestations d’un groupe d’extrême droite en Belgique, la semaine dernière, contre la soi-disante « islamisation de l’Europe » et les campagnes en Allemagne qui visent à empêcher la construction de mosquées, le rapporteur de l’ONU souligne en même les difficultés que rencontre les musulmans à se doter de lieux de culte et à observer leurs pratiques religieuses, notamment alimentaires et funéraires : « Des partis politiques dotés de programmes ouvertement anti-islamiques ont intégré des coalitions gouvernementales dans plusieurs pays et commencé à mettre en œuvre leurs programmes. En résumé, l’islamophobie est en train d’imprégner tous les aspects de la vie sociale ».
Le rapporteur officiel, Doudou Diene, s’en prend vertement à la Suisse. Plus précisément au parti politique, l’Union démocratique du centre (UDC), et à sa controversée campagne appelant à l’expulsion des criminels étrangers : « Le retrait de cette affiche serait plus conforme à l’image avérée de la Suisse comme pays respectueux des droits de l’homme ». L’affiche incriminée représente trois moutons blancs sur le drapeau suisse, l’un d’eux expulsant un mouton noir d’une ruade avec le slogan « Pour plus de sécurité » et elle est largement placardée dans les rues.
Le gouvernement suisse ne peut intervenir s’agissant de la liberté d’expression et estimant qu’il revient à la justice de se prononcer sur le caractère raciste éventuel de l’affiche. En réponse, Doudou Diene soutient que « la liberté d’expression ne doit pas servir de paravent à l’incitation à la haine raciale et religieuse. Le retrait de cette affiche serait plus conforme à l’image avérée de la Suisse comme pays respectueux des droits de l’homme ».
Pour rappel, Ueli Maurer est le président de la droite dure de l’Union démocratique du centre (UDC). Il s’en prend à la gauche et aux étrangers qu’il accuse de tous les maux dont souffre le pays. Les candidats UDC aux élections fédérales du 21 octobre 2007 se sont par ailleurs engagés à combattre une adhésion de la Suisse à l’Union européenne, à renvoyer les étrangers criminels et à baisser les impôts pour tous. Pour Ueli Maurer, un seul choix s’impose. Ce choix est le suivant : liberté ou socialisme, patrie ou mélange multiculturel, sécurité ou criminalité, prospérité ou appauvrissement, Occident ou islam, UDC ou rouge-vert. « Plus rien n´est sérieux. Tout le monde il est beau, il est gentil. Tout est Benetton et caméléon. L’ordure devient art. La surpopulation étrangère devient enrichissement », déplore le président de l’UDC. « Des toxicomanes deviennent des malades, des brutes des Balkans des traumatisés de guerre, des trafiquants de drogue noirs des victimes du racisme, des musulmans refusant de s’intégrer des incompris », déclare le président zurichois (Le Matin Online ).
Doudou Diene s’inquiète d’une suite de dérives inquiétantes : les caricatures du prophète Mahomet, publiées dans un journal suédois le mois dernier, les manifestations d’un groupe d’extrême droite en Belgique la semaine dernière qui dénonçait l’ « islamisation de l’Europe » et les campagnes destinées à empêcher la construction de mosquées en Allemagne et en Suisse. En réplique, l’ambassadeur et chef de mission de la Suisse auprès de l’ONU à Genève, Blaise Godet, a expliqué que la démocratie directe helvétique permet de débattre « de thèmes controversés accompagnés parfois d’expressions regrettables ». Ce à quoi répond le rapporteur spécial sur le racisme : « le leitmotiv de l’étranger criminel, réactualisé à l’occasion de nombreuses votations, ponctué par le discours politique, amplifié par certains médias, fait de plus en plus prégnance dan la mentalité collective. Ce leitmotiv donne une légitimité non seulement à des crispations identitaires hostiles à la diversité culturelle, mais également au comportement discriminatoire et arbitraire de membres de certains organismes de l’État ».
Roman Jäggi, porte-parole de l’UDC, estime qu’il n’y a rien à critiquer dans l’affiche aux moutons, qu’il décrit comme « parfaitement loyale ». « Elle n’est pas raciste, clame-t-il à l’intention de swissinfo. Il y a effectivement un gros problème de violence en Suisse, particulièrement de violence des jeunes, et les étrangers en constituent une part importante ».
L’islamophobie a même envahi la sphère des jeux virtuels. Selon le New York Times, un groupe d’environ 750 personnes ont lancé un réseau islamophobe. Selon Al-Kanz, le blog, c’est le branle-bas de combat sur Facebook : 58 000 membres décident de mettre la pression sur les responsables et menacent de quitter Facebook si rien n’est fait immédiatement. Résultat : le compte de l’islamophobe en chef est supprimé - puis rétabli. Essma Bargewee, étudiante de 20 ans et co-initiatrice de la pétition contre les islamophobes, interrogée par le New York Times, affirme qu’elle s’attendait à trouver, le lendemain matin du lancement de la pétition, une quizaine de signataires. Elle en trouva 500. Musulmans et non-musulmans se sont ainsi ligués pour bouter hors de Facebook ce groupe islamophobe.
Au Québec, l’islamophobie est au premier plan de l’actualité. La tournée de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles (communément appelée la Commission Bouchard-Taylor) bat son plein. Beaucoup de craintes sont exprimées à l’égard de cette commission : « La bêtise humaine existe dans toutes les sociétés, et cette commission ouvre grand les portes pour l’expression de la bêtise, notamment de points de vue xénophobes ou carrément racistes », observe dans le Devoir Anne-Marie Gingras, professeure au département de science politique de l’Université Laval.
Etymologiquement, le mot grec « phobos » signifie « peur, effroi ». L’islamophobie serait donc la peur irraisonnée et le rejet global de l’Islam « à la fois religion, mode de vie, projet communautaire et culture » (Michel Reeber, L’Islam, 1995). Pour compléter cette définition, on peut se référer à la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, pour qui il s’agirait d’une « peur qui empêche le contact, l’échange et le dialogue, et qui fait de son sujet, le musulman, le bouc émissaire, porteur de tous les maux de la société et du monde, et de l’Islam le fossoyeur de la raison ». Il semble que les moins de vingt cinq ans n’ait pas de l’Islam cette peur irréraisonnée.
Un sondage publié par The Gazette montre que les jeunes de moins de 24 ans se révèlent les plus tolérants et les plus ouverts de tous les groupes d’âge. Une majorité de jeunes (55 pour cent) trouve même acceptable de porter le niqab, le voile facial, alors que seulement 20 pour cent des gens de 65 ans et plus adoptent la même position. C’est la « génération A, pour accommodements », selon la formule du directeur de l’Association des études canadiennes, Jack Jedwab, celle habituée à côtoyer la diversité au quotidien dans les écoles de la loi 101.
Driss Boukhissimi, un immigrant musulman, est-il un cas à part ? Professeur de mathématiques de l’Université du Québec, Driss Boukhissimi affirme ne rien vouloir savoir des accommodements raisonnables. « Je suis un musulman et j’arrive très bien à pratiquer ma religion sans déranger qui que ce soit », a plaidé cet homme d’origine marocaine devant la commission Bouchard-Taylor. « En venant ici comme immigrant, je savais qui j’étais et je savais que je m’installais dans un pays occidental avec État laïque. […] C’est à moi de m’adapter à ce qui se passe ici, car c’est moi qui ai choisi de venir ici », a indiqué ce pratiquant hors du commun. « Dans la religion islamique, il y a cinq obligations: professer sa foi, faire la prière cinq fois par jour, faire le Ramadan, donner une dîme pour les pauvres et aller à La Mecque quand c’est possible. Quand on ne fait pas ça, on est punis par Dieu », a-t-il ajouté. « Tout le reste n’est pas obligatoire. On n’est pas obligés de prier dans une mosquée avec un imam ou d’égorger un mouton le jour du sacrifice. Les femmes enceintes ne sont pas obligées de faire le Ramadan. Le problème, c’est que certaines personnes érigent ces pratiques en obligations et ce sont ces gens qui demandent des accommodements ».
Le Toronto Star – journal anglophone de Toronto – considère négativement le combat du Québec contre le droit de vote à visage couvert : « Tandis que l’Europe regarde avec envie notre modèle multiculturel, certains Québécois le méprisent. Le brouhaha créé autour du voile n’a rien à voir avec le processus électoral ». Le quotidien canadien rapporte les commentaires de la Canadian Coaltions for Democracies selon lesquels le Québec s’inspire beaucoup trop de la France en la matière : « Cette dérive québécoise aurait des origines transatlantiques. David Harris, de la Canadian Coaltions for Democracies, expliquait ainsi à The Gazette qu’il semble que le Québec fasse une fixation sur le hidjab en suivant le mauvais exemple de la France ».
Québec solidaire est le dernier né des partis politiques au Québec. Sa porte-parole, Françoise David, a tenu à rappeler qu’au Québec, nous ne vivons pas dans le chaos : « le débat sur les accommodements raisonnables mène au repli sur soi et au conflit entre les nationalités. Cela alimente la peur, la xénophobie et l’intolérance ». « Il y a des moyens de régler le tout dans le calme et d’aller au-delà de l’ignorance. Il faut se parler ». Ruba Ghazal, porte-parole du parti en matière de diversité et d’inclusion, craint que la situation actuelle au Québec ne mène les immigrants dans le piège du repli identitaire. « Les immigrants veulent des jobs, pas des accommodements », dit-elle.
Pour sa part, Françoise David a conclu que le Québec a besoin de leaders politiques sages. Anne-Marie Gingras, spécialiste des rapports entre les médias et la démocratie, rappelle que « le Québec n’est pas une société laïque. Il y a un crucifix à l’Assemblée nationale, et ç’a l’air qu’on y tient. Le Canada anglais a réglé ces problèmes en imposant la solution d’une manière intelligente. […] Le modèle de l’interculturalisme est accepté parce que, sociologiquement, c’est le seul possible » (Le Devoir).
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