mercredi 1 août 2007

Le Rwanda rattape les génocidaires en abolissant la peine de mort. Ironie du sort.

En 1992, au Rwanda, Leon Mugesera incite les Hutus à la violence contre les Tutsis dans un violent discours qui aurait mené au génocide de 1994 au cours duquel 800 000 d’entre d’eux ont été massacrés : « Il est temps de couper les têtes aux Tutsi et de les jeter dans la rivière Nyabarongo pour les acheminer à leur pays d’origine, l’Abyssinie (Ethiopie) ». On dit de Leon Mugesera qu’il était plutôt au coeur de l’Akazu, le noyau dur de l’entourage présidentiel, et des escadrons de la mort. Akazu signifie petite maison ou plus précisément maisonnée, dans le sens où ce terme désigne davantage une famille qu’un type d’habitation. Mugesera était, en tant que vice-président du comité préfectoral du Parti républicain national pour le développement et la démocratie (M.R.N.D.) de Gisenyi, l’apologiste du génocide rwandais. Rien de moins.

Le gouvernement rwandais tente à l’époque d’arrêter Mugesera, mais ce dernier fuit vers l’Espagne, avant de gagner le Québec. Depuis 1993, Léon Mugesera y réside avec sa famille. Aspirant d’abord au statut de réfugié politique, il obtient rapidement celui de résident permanent. Entre l’automne 1993 et l’hiver 1994, il occupe un poste à l’Université Laval de Québec.

Considéré par les autorités judiciaires rwandaises comme l’un des cadres politiques responsables de la planification du génocide de 1994, une enquête de la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié avait en 1996 conclu que Léon Mugesera était coupable d’incitation à la violence et de crime contre l’humanité. La Commission avait ordonné son expulsion. Depuis, le réfugié rwandais a multiplié les recours dans le but de rester au pays. En 2005, huit juges de la Cour suprême canadienne ont décidé, à l’unanimité, d’extrader Mugesera après avoir reconnu que le discours qu’il prononcé en 1992 a incité à la haine, au génocide et au crime contre l’humanité.

Dans son jugement, la Cour suprême note : « Le discours exhortait la population à se faire justice elle‑même. Il ne laissait pas simplement entendre que l’application régulière de la loi était nécessaire au rétablissement de l’ordre dans le pays. M. Mugesera aurait pu, par exemple, préconiser raisonnablement la poursuite en justice de ceux qui recrutaient des soldats pour les armées ennemies. Or, il ne s’est pas contenté de prôner l’application de la loi lorsqu’il a appelé la population à « exterminer » ces gens :

Pourquoi n’arrête‑t‑on pas ces parents qui ont envoyé leurs enfants et pourquoi ne les extermine‑t‑on pas? Pourquoi n’arrête‑t‑on pas ceux qui les amènent et pourquoi ne les extermine‑t‑on pas tous? Attendons‑nous que ce soit réellement eux qui viennent nous exterminer? [par. 16] (Fin de la citation) ».

Cette comparution devant la Cour suprême avait également donné lieu à une sévère réprimande de la Cour à l’égard de l’avocat de la défense, Me Guy Bertrand : « Bien que cela ne soit pas coutumier, la teneur de la requête et de ses allégations nous oblige à en dénoncer le caractère inadmissible à tous les points de vue. Elle comporte une véritable attaque contre l’intégrité des juges de notre Cour. Pour tenter d’établir le prétendu complot juif et l’abus de procédure dont la famille Mugesera serait victime, cet acte de procédure utilise systématiquement l’insinuation et la spéculation irresponsables. Il invoque aussi des pièces sans pertinence, au contenu totalement inapproprié et trompeur. L’étude de la requête et des pièces à son soutien confirme l’emploi d’une méthode de rédaction peu soucieuse des exigences de rigueur, de modération et de respect des faits qui s’imposent à tout avocat, en sa qualité d’officier de justice, dans la mise en œuvre de la procédure judiciaire ».

En 2005, la principale association des rescapés du génocide, Ibuka, exprime le vœu de voir Léon Mugesera être transféré au Rwanda pour y être jugé : « Leon Mugesera doit venir ici au Rwanda pour reconnaître que son discours d’appel à l’extermination des Tutsi a eu l’effet attendu. Il nie encore les faits jusqu’aujourd’hui. Il ne reconnaît même pas qu’il est l’auteur du discours incendiaire qu’il a prononcé devant une population qui peut encore le lui rappeler avec force détails ».

Le Canada est, depuis 2005, confronté à un dilemme de taille : il doit s’assurer que M. Mugesera ne serait pas maltraité ou torturé s’il est renvoyé au Rwanda : « Le Canada n’extradera pas au Rwanda Léon Mugesera, accusé d’avoir pris part au génocide dans son pays, à moins que les autorités rwandaises ne garantissent formellement qu’il n’y sera pas exécuté s’il est reconnu coupable à la suite de son procès », avait indiqué le ministre canadien de la Justice de l’époque, Irwin Cotler.

Le vice-président de PAGE-Rwanda, organisation luttant pour faire juger les auteurs du génocide de 1994, se plaignait à la même époque que le gouvernement « laisse le dossier dans l’état actuel » plutôt que de procéder au renvoi de M. Mugesera.

2007. Le Rwanda abolit la peine de mort. Présentée par le parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR), la loi a été votée en juin par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat le 11 juillet dernier. Pour la France : « l’abolition de la peine de mort contribue au respect de la dignité humaine et des Droits de l’Homme. Le combat pour son abolition universelle est une des priorités de la politique étrangère de la France et de l’Union européenne ». Il convient de rappeler qu’en novembre 2006, le Rwanda avait rompu ses relations diplomatiques avec la France, après les mandats d’arrêts émis par le juge français Jean-Louis Bruguière, contre neuf proches de M. Kagame dans l’affaire sur l’attentat, le 6 avril 1994, contre le président rwandais de l’époque, Juvénal Habyarimana. Son assassinat avait déclenché les massacres. Le 20 juillet dernier, Wenceslas Munyeshyaka, un prêtre catholique de 49 ans, et Laurent Bucyibaruta, ex-préfet de Gikongoro (sud du Rwanda), 62 ans, ont été interpellés à Paris en raison d’un mandat de recherche émis par le TPIR pour génocide, extermination, assassinats et viols. Kigali avait salué ces arrestations, les qualifiant d’ « un nouveau développement très positif ». La secrétaire d’État rwandaise à la Coopération régionale, Rosemary Museminali, a demandé à Paris de procéder à « l’extradition vers le Rwanda » des présumés génocidaires exilés en France. Le ministre rwandais des Affaires étrangères, Charles Murigande, estime qu’une normalisation pourrait se faire « très rapidement » avec Paris, mais que les poursuites françaises contre des proches du président Kagame empêchaient toujours de renouer des relations diplomatiques.

Au Canada, l’abolition de la peine de mort par le Rwanda rattrape donc Leon Mugesera. En effet, pour les individus reconnus coupables de crimes de guerre, elle éliminerait un obstacle important à l’expulsion des personnes soupçonnées de génocide, comme Leon Mugesera, qui se cachent dans des pays tels que le Canada. Les survivants du génocide affirment qu’il est temps pour le Canada d’expulser les présumés criminels de guerre qui y ont trouvé refuge, à commencer par Leon Mugesera qui parvient depuis 12 ans à reporter à plus tard son expulsion dans son pays d’origine : « Il revient maintenant au gouvernement du Canada d’appliquer le jugement rendu par la Cour suprême », a soutient Callixte Kabayiza qui a survécu au génocide et qui habite aujourd’hui à Montréal.

La canadienne Louise Arbour, haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a indiqué que la décision rwandaise devrait favoriser « d’autres progrès afin d’amener devant la justice ceux qui sont responsables des crimes atroces du génocide de 1994 ».

Plus de 600 condamnés se trouvent actuellement dans le couloir de la mort au Rwanda pour leur implication dans le génocide. Promulguée le 25 juillet, cette loi doit permettre à ces condamnés de voir leur peine commuée en prison à perpétuité.

Ce sont des Noirs, nous sommes des Blancs. Voilà pourquoi il ne faut pas intervenir, aurait déclaré l’ancien ministre Alain Peyrefitte, à l’Assemblée nationale, pendant le génocide rwandais. D’après Dominique Franche in Généalogie d’un génocide (page 7).

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