Le soldat Simon Longtin, 23 ans, est mort le 19 août 2007. Au champ d’honneur, comme le dit si bien la tradition militaire. Vers 1h40, heure locale, le véhicule léger blindé (VLB) qu’il conduisait a été complètement soufflé par l’explosion d’un engin explosif improvisé. La bombe était dissimulée sur une route secondaire, à une vingtaine de kilomètres de Kandahar. Nous étions des témoins passifs lorsque, dans les actualités télévisées, les cercueils de jeunes américains défilaient les uns derrière les autres. Nous étions des acteurs passifs lorsque, dans des entrevues tristes à pleurer, les mères, conjointes, pères ou conjoints se confiaient jusqu’à fendre l’âme de n’importe lequel des auditeurs, voyeurs passifs.
Cette fois-ci, Simon Longtin est des nôtres. Un Québécois. À peine sorti de l’adolescence. Un soldat américain ne sacrifie-t-il pas sa vie au même titre qu’un jeune soldat québécois pour une même cause ? Servir son pays ? Sans l’ombre d’un doute. La proximité toutefois rend la douleur plus insupportable. Plus difficile. À la limite même d’une révolte à peine réprimée.
Lorsque le téléphone a sonné à la résidence des Longtin, c’était pour apprendre la tragique nouvelle. La famille a émis un communiqué. Démarche plutôt inusitée : « Il n’est jamais facile pour des parents de perdre un de leurs enfants, indiquait le communiqué. Nous sommes dévastés par la mort de notre Simon, disparu dignement alors qu’il servait son pays avec beaucoup d’honneur et de fierté auprès de ses frères d’armes en Afghanistan ».
Avant de quitter l’Afghanistan, 1000 soldats de 37 pays avaient salué la dépouille du soldat Longtin. Bien mince consolation. Le soldat est mort quand son véhicule blindé léger a sauté sur une bombe artisanale. Le soldat Longtin est le premier soldat du Royal 22e Régiment, basé à Valcartier, à mourir en Afghanistan. Mais elle porte à 67 le nombre de Canadiens - 66 soldats et un diplomate - morts en Afghanistan depuis 2002.
Tant de choses ont été dites depuis le retour de Simon. Un lieutenant-colonel à la retraite, Rémi Landry, rappelle d’expérience qu’il ne faut pas penser que les soldats sont insensibles. Mais ce sont des professionnels qui sont entraînés au fait de la mortalité. Un autre lieutenant-colonel à la retraite, Michel Drapeau, croit pour sa part que les troupes devraient être plus motivées pour la mission, afin que la mort de Simon Longtin n’ait pas été inutile : « Tous les militaires s’attendent à cela. Ça n’enlève rien à la peine de la perte d’un camarade, mais l’esprit de corps s’en trouve accru ». Casey McLean, major et commandant intérimaire des Forces canadiennes, a indiqué que les soldats québécois gardaient le moral, malgré la mort d’un des leurs. « C’est un décès qui va affecter tout le monde, même nos membres, car c’est un de nos gars, dit-il. Mais le moral demeure, les gars croient vraiment en la mission ».
Tout a été dit, vous dis-je. Les langues se délient : « Il est improbable que ce soldat soit le seul mort, c’est plutôt le début d’un nombre inconnu, dit Claude Denis, professeur de science politique à l’Université d’Ottawa. Le gouvernement risque de souffrir à mesure que les pertes québécoises augmentent ». Michael Orsini, politologue de l’Université d’Ottawa, s’interroge à voix haute : « Y aura-t-il d’autres morts? Je pense que oui, dit-il. Il faut être réaliste, la guerre, ce n’est pas rose. Et d’autres décès québécois, c’est clair que ce n’est pas une bonne nouvelle pour le premier ministre ».
Bien évidemment, dans des circonstances aussi tragiques, la douleur que ressent la population québécoise, opposée à cette présence militaire en Afghanistan, traduit son ressentiment par une chute de confiance dans les sondages. Le taux d’opposition à l’envoi de troupes québécoises est passé de 57 %, les 17 et 18 août, à 68 %, les 19 et 20 août. Le Premier ministre canadien a fixé à 2009 la durée de la mission canadienne en Afghanistan. 69 % des sondés souhaitaient le retrait des soldats canadiens avant l’échéance de 2009, indique ce sondage CROP-La Presse.
Selon Infopresse, la présence canadienne en Afghanistan et surtout le décès du soldat Simon Longtin, du Royal 22e Régiment, ont éclipsé la visite des Tres Amigos à Montebello, devenant ainsi le dossier le plus médiatisé au Québec, avec un poids de 2,61%. Les quotidiens, eux, ont surtout privilégié les importantes variations boursières, qui ont généré un volume de 2,39%. En troisième place, le sommet de Montebello et les imposantes mesures de sécurité, sans doute l’une des principales nouvelles de la semaine qui s’amorce, ont occupé 1,40% de l’ensemble de l’actualité.
Georges W. Bush, ayant appris de manière officielle du Premier ministre canadien que le Canada se retirerait à l’échéance de 2009 de l’Afghanistan, s’est confondu en compliments : « « Je crois que le Canada a fait un travail fabuleux en Afghanistan. (…) Le Canada a envoyé ses meilleurs soldats pour permettre à une jeune démocratie non seulement de survivre, mais aussi de s’épanouir. C’est une contribution importante dans la lutte globale contre les extrémistes. (…) La question fondamentale est de savoir si les nations libres vont aider les jeunes démocraties à survivre devant cette menace. Le Canada a répondu à l’appel de manière brillante», a déclaré M. Bush en réponse à une question d’un journaliste canadien ».
Inlassablement, monsieur Bush a répété qu’il croyait que lorsque la démocratie prendra racine en Afghanistan, ce sera un dur coup contre ceux qui veulent nous imposer un régime totalitaire.
Au moment de terminer cet article, j’entends aux actualités télévisées l’annonce que le convoi dans lequel prenaient place le journaliste Patrice Roy et son équipe de Radio-Canada a sauté sur une mine lundi à Gundygar, un village situé dans le district de Panjwayi, à 41 kilomètres au sud-ouest de Kandahar. Deux soldats de Valcartier et un interprète ont été tués dans cette explosion, et le cameraman-monteur Charles Dubois a été grièvement blessé à la jambe. Patrice Roy, le journaliste, n’a pas été blessé mais il souffre d’un choc nerveux.
Que peut dire dans de telles circonstances un Premier ministre d’un gouvernement minoritaire qui n’éprouve d’empathie à l’égard de sa population qu’en campagne électorale ? Des banalités : « Nos militaires défendent nos couleurs, en renfort des Nations unies. Grâce aux équipes de reconstruction canadiennes et aux soldats du Royal 22e (régiment), des ponts, des barrages, des puits, des écoles, des centres médicaux ont été faits en Afghanistan. Dans tout ce pays, le revenu par habitant a doublé en trois ans », a dit M. Harper. Reconstruction ?
Le chroniqueur du quotidien de Montréal, La Presse, s’interroge : « Ma question : Pourquoi - hors des soldats afghans qui servent de chair à canon locale - ce ne sont pas des soldats musulmans saoudiens, égyptiens, syriens, indonésiens, nigériens, marocains, tunisiens, algériens, libanais qui combattent les fondamentalistes de leur religion en Afghanistan ? »
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