Selon le Financial Times, le Fonds Monétaire International (FMI) est en sérieuse perte de vitesse puisqu’il ne contrôlera plus bientôt que le vingtième des réserves monétaires mondiales. Son action ne repose donc plus que sur sa « légitimité politique » et son « autorité intellectuelle ». Le Financial Times considère que Dominique Strauss-Kahn - soutenu à bout de bras par Nicolas Sarkozy, pour qui DSK a toutes les qualités nécessaires : « polyglotte, une forte crédibilité et une expérience incontestable » - est un « mauvais candidat » au poste de directeur général du FMI : « personne ne peut soutenir que M. Strauss-Kahn est le candidat le plus qualifié dans le monde de par son expérience, son intelligence ou sa formation. Le Fonds a besoin d’une personne intellectuellement crédible à sa tête ». Au point de départ, la candidature de DSK, au nom de la France, avait obtenu le soutien unanime des pays membres de l’Union européenne et des États-Unis.
Aux termes d’une règle non écrite, l’Europe désigne le directeur général du FMI tandis que les États-Unis choisissent le président de la Banque mondiale. Dominique Strauss-Kahn n’est pas le candidat des russes : ils l’ont qualifié Dominique Strauss Kahn de « politicien professionnel » peu compétent. Comme l’indique le quotidien Le Monde, Dominique Strauss-Kahn se voit contraint de hausser le ton, alors que sa victoire était donnée pour acquise lors du vote prévu pour la deuxième quinzaine de septembre. En présentant un candidat, les Russes appuient là où cela fait mal, c’est-à-dire sur cet accord tacite qui réserve la direction du Fonds à un candidat de l’Europe et la présidence de la Banque mondiale à un Américain. Les ministres des finances africains ont rappelé à M. Strauss-Kahn qu’ils trouvaient anormal que les Américains et les Canadiens occupent quelque 40 % des emplois au FMI.
Le président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Omar Konaré, s’est dit en « désaccord » avec la façon dont a été réglée la question de la désignation de Dominique Strauss-Kahn à la candidature à la direction générale du FMI. « Je pense que M. Strauss-kahn sera élu mais il sera sous surveillance. Quelles réformes va-t-il faire ? Nous ne savons rien de son programme. Le poids africain est nul et mal réparti. Il y a des réformes profondes à apporter au sein des ces institutions et, bien sûr, en finir définitivement avec cette règle qui décide que tel poste est conservé par tel pays ou telle région parce que cela ne reflète pas l’état des forces aujourd’hui dans le monde ».
La Russie se dit convaincue qu’après « une large consultation avec d’autres pays, la majorité de ces pays soutiennent ce choix de Josef Tosovsky sur la base de la qualité professionnelle ». Josef Tosovsky, ancien gouverneur de la banque centrale tchèque (CNB), vient de confirmer qu’il se porterait candidat, considérant que sa candidature reçoit une réaction positive de la part de plusieurs pays : « C’est un grand honneur pour moi d’être proposé pour le plus haut poste au Fonds monétaire international. Je me réjouis que ma candidature ait reçu une réaction positive des ministres des Finances et des gouverneurs (de banques centrales) de plusieurs pays, dans toutes les régions ».
Nonobstant le fait que Josef Tosovsky soit d’origine tchèque, Prague s’est désolidarisé de ce choix. Le ministre des Finances de son pays, Miroslav Kalousek, continue de soutenir la candidature de Dominique Strauss-Kahn, candidat de l’Union européenne. La Russie et la République tchèque sont actuellement opposées par un désaccord au sujet d’un projet américain d’installer en territoire tchèque une station radar, dans le cadre d’un bouclier antimissile américain.
L’éditorialiste du Financial Times reprend la rhétorique du ministre des Finances russes, M. Mohzin : « seuls ceux qui veulent que le Fonds ne soit plus légitime peuvent applaudir la candidature de DSK ». Egor Gaïdar, un ancien Premier ministre de Boris Eltsine qui a pendant longtemps mené le combat contre Vladimir Poutine, s’accorde avec ce dernier pour faire comprendre que la Grande Russie compte bien, indépendamment de ses désaccords internes, mieux défendre ses intérêts dans les grandes organisations internationales : « On s’étonnerait, à juste titre, si les JO d’été avaient eu lieu exclusivement depuis soixante ans à Washington, ceux d’hiver à Paris ».
Strauss-Kahn poursuit le combat : « Mon dernier déplacement en Asie et les entretiens que j’ai eus avec les dirigeants chinois, coréens et indiens ont renforcé encore ma conviction : je veux être le candidat de la réforme du FMI ». Il revient d’une tournée en Asie où il a obtenu le soutien de la Corée et de l’Inde. À propos de la Chine, le 17 juillet dernier, Qing Gang, porte-parole du Ministère des Affaires Étrangères, cité par Beijing Information, avait affirmé que son pays porterait son soutien à un candidat du FMI en fonction de la prise en compte des revendications et des préoccupations de celui-ci envers les pays en développement. Force est de reconnaître toutefois que la candidature du tchèque Tosovsky pourrait gagne en crédit.
Selon Jean-Paul Fitoussi, professeur des Universités à l’Institut d’Études Politiques de Paris, dans une entrevue qu’il accordait à 20minutes : « Le Financial Times n’est pas le porte-parole du gouvernement britannique, mais le quotidien des milieux conservateurs qui aimaient beaucoup ce que faisait le FMI lorsqu’il obligeait les pays en développement à pratiquer des cures d’austérité très coûteuses humainement ». Le professeur Fitoussi poursuit : « Dominique Strauss-Kahn est plutôt critiqué parce qu’il est français. Certains pays, comme le Royaume-Uni, ne souhaitent pas d’un Français à la tête du FMI. Les Russes le critiquent au nom du partage des pouvoirs entre l’Union européenne et les États-Unis pour ce qui concerne les institutions de Bretton Woods (un Européen à la tête du FMI, un Américain à celle de la Banque mondiale). Mais le critère de nationalité n’est pas vraiment le même que celui de la qualité ».
Pour Daniel Bradlaw, professeur de droit économique à l’université américaine de Washington, dans une interview à RIA Novosti, la Russie donne le bon exemple : « Il est positif qu’un nouveau candidat au poste de Directeur général du FMI se soit déclaré. Désormais il existe un choix réel, bien que l’ancien ministre français des Finances Dominique Strauss-Kahn (prétendant de l’Union européenne à ce poste) soit aussi très qualifié. La Russie a donné le bon exemple en présentant la candidature de Josef Tosovsky ». Cependant, les chances de M. Tosovsky sont, selon lui, « peu élevées », d’autant que ni le gouvernement tchèque, ni l’Union européenne ne soutiennent sa candidature. Ce dont doute le quotidien russe Vedomosti, cité par Ria Novosti : « Pour que Strauss-Kahn ne recueille pas les 85% des voix nécessaires, la Russie n’a qu’à obtenir le soutien d’une dizaine de grands pays en développement qui représentent au total plus de 15% des voix, ce qui n’est pas irréalisable ».
Josef Tosovsky a dirigé pendant dix ans la banque centrale d’un pays en transition, puis a travaillé à Bâle dans un institut auprès de la Banque des règlements internationaux. Le candidat européen, le socialiste Dominique Strauss-Kahn, ne peut pas se vanter d’une telle expérience, il est plus homme politique qu’économiste, s’est indigné le directeur exécutif du FMI pour la Russie, Alexeï Mojine. D’autre part, « si les pays en développement n’ont pas le sentiment qu’ils jouent un rôle dans le processus de désignation, alors ils se détourneront du FMI », a soutenu le directeur exécutif. « Le fait que les États-Unis et les grands pays de l’UE se partagent les postes suprêmes au sein de ces deux institutions importantes, ne plaît pas aux pays en développement, y compris la Chine, l’Inde et le Brésil », écrit le quotidien économique tchèque Hospadarske Noviny. Et la Russie « enfonce le clou ».
Il convient de rappeler que, lors de l’annonce de la candidature de Dominique Strauss-Kahn, appuyée par Nicolas Sarkozy, les ministres des finances brésilien et argentin avaient à tour de rôle dénoncé un « pacte anachronique » et réclamé une « élection » ouverte aux pays en voie de développement. L’Afrique du Sud, elle aussi, avait exprimé son mécontentement. « La Russie a donné un nouvel élan à cette élection qui se fera à présent sur des bases de concurrence », avait lancé le ministre russe des Finances Alexeï Koudrine.
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