La présence humaine a eu une telle immense influence sur la plupart des écosystèmes que la perpétuation de la vie humaine impose, en réalité, une humanisation de la terre. Il y a beaucoup de chemin à parcourir pour comprendre toutes les subtilités des relations qui lient l'humanité à la terre, mais nous pouvons au moins commencer à les analyser à travers plusieurs catégories. Je définirai ces catégories par cinq mots rangés de façon alphabétique, mais tous commençant par la lettre E : écologie, économie, énergie, esthétique et éthique. Cet arrangement arbitraire établira l'aspect superficiel de notre regard (tout au moins du mien) relatif à la place de l'homme sur la terre, regard qui inévitablement ne peut que rester superficiel jusqu'à ce que nous acquérions une compréhension profonde sur la place que tient la vie humaine dans l'ordre cosmique des choses.
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Dans son dernier chapitre de The Land County Almanac, Aldo Léopold a formulé sa vision d'une « éthique de la terre », en affirmations qui sont vraisemblablement les expressions les plus célèbres et les plus citées de la sagesse écologique dans la littérature de l'environnement. « Nous devons nous arrêter de penser à une utilisation rationnelle de la terre comme uniquement un problème économique . . . Une décision est bonne lorsqu'elle tend à préserver l'intégrité, la stabilité et la beauté du biotope. Elle est mauvaise lorsqu'il s'agit du contraire ». Ces affirmations sont souvent interprétées pour signifier que Léopold était, d'une façon générale, opposé à toute transformation de la terre par toute activité humaine, mais je ne pense pas que ce soit une interprétation correcte de sa pensée. Nulle part dans ses écrits, il ne fait mention que des communautés biotiques naturelles doivent être considérées comme les plus souhaitables. En réalité, il a décrit différents écosystèmes dont il approuvait la constitution, même s'ils étaient la conséquence d'une intervention humaine accidentelle ou intentionnelle - par exemple les paysages d'herbe bleue conçus par l'homme dans le Kentucky ou les fermes européennes. Léopold affirmait définitivement que la terre est épanouie lorsqu'elle a « la capacité . . . de s'auto-régénérer. Sa préservation vient de nos efforts à comprendre et à préserver cette capacité ».
René Dubos
Conférence à Princeton University, NJ - USA. Dixième anniversaire du Earth Day, 22 Avril, 1980