mercredi 25 juillet 2007

« Je suis en Bulgarie, la grande Bulgarie! »

Sur le tarmac de l’aéroport, les cinq infirmières libérées sont tombées dans les bras de leurs proches. « Je suis en Bulgarie, la grande Bulgarie! », s’est exclamé le médecin palestinien Achraf Joumaa Hajouj récemment naturalisé bulgare. La Bulgarie a exprimé sa reconnaissance aux médiateurs. Le président français, son épouse et Mme Ferrero-Waldner ont été déclarés citoyens d’honneur de Sofia. Pourquoi revenir sur l’«affaire » des infirmières bulgares ? Parce que beaucoup de questions se posent dans le dénouement de cette affaire.

Première constatation : l’accord. La Lybie se félicite que l’accord conclu prévoit une aide médicale européenne ainsi qu’un chapitre sur les relations politiques. L’accord engloberait également une ouverture des marchés aux produit libyens et l’assouplissement des conditions de délivrance des visas pour les Libyens. L’UE fournirait une aide dans les domaines de l’éducation, des sites archéologiques et de la lutte contre l’immigration. Les négociations entre Bruxelles et Tripoli, sur un accord de partenariat, pourraient s’ouvrir en octobre. Bruxelles accepterait d’améliorer ses relations avec Tripoli et de mettre en place un partenariat, notamment commercial. Déjà que Bruxelles ne s’était pas cachée pour laisser entendre que les relations commerciales et politiques avec la Libye pourraient bénéficier d’une résolution satisfaisante de la crise.

Deuxième constatation : quelques divergences. « Ni l’Europe ni la France n’ont versé la moindre contribution financière à la Libye » pour obtenir ce transfert, a juré Nicolas Sarkozy, tout en laissant entendre que le Qatar avait pu participer financièrement à cette libération. Le chef de la diplomatie libyenne, Abdelrahman Chalgham, a, à ce sujet, fait une sorte de mise au point, affirmant que Bruxelles et Paris avaient contribué aux compensations financières accordées par le Fonds spécial de Benghazi d’aide aux familles des enfants libyens contaminés par le sida : « Tout le monde a payé le Fonds, y compris l’Union européenne et la France. Ils ont couvert les sommes versées aux familles et même plus », a lancé, comme un pavé dans la mare, Abdelrahman Chalgham.

Troisième constatation : les contributions au Fonds de développement économique et social libyen. La Commission européenne se serait engagée à reverser au Fonds de développement économique et social libyen « les sommes collectées dans le cadre de l’accord de financement du 15 juillet 2007, dont le montant s’élève à 598 millions de dinars libyens » - soit 461 millions de dollars. Benita Ferrero-Waldner, de la Commission européenne, a expliqué que Bruxelles analyserait rapidement s’il y a lieu ou non de recevoir dans le cadre de ce fonds, sur une base strictement volontaire, des contributions gouvernementales ou non gouvernementales de pays, d’organisations ou d’entreprises. Le Fonds international de Benghazi « est un fonds ouvert à tous et il est clair qu’il y aura de l’argent libyen mais aussi des argents venant de donateurs à travers le monde », a-t-elle ajouté.

Quatrième constatation : rôle et présence du gouvernement bulgare. Dès décembre 2004, Tripoli informe Sofia qu’un compromis est envisageable dans l’affaire des soignants bulgares. La condition est que la Bulgarie s’entende avec les familles des enfants, les seules à pouvoir accepter « le prix du sang ». Sofia rejette la proposition car elle devrait verser 10 millions de dollars par victime. Cela correspond à la somme versée par la Libye pour chacune des 270 personnes décédées en 1998 dans l’attentat de Lockerbie (Écosse).

En décembre 2006, Tripoli et Sofia s’accordent sur la création d’un fonds de compensation international au bénéfice des enfants libyens atteints du sida.

Juillet 2007. Libération des soignants bulgares et retour en Bulgarie. Le chef de l’État bulgare, Guéorgui Parvanov, se félicite du « rôle actif de nos partenaires européens » et, en particulier, de M. Sarkozy, attendu en Bulgarie en septembre, de M. Barroso et de Mme Benita Ferrero-Waldner. Il a également remercié Cécilia Sarkozy « pour son engagement personnel ». Le ministre des Affaires étrangères Ivailo Kalfin annonce la décision du président Georgi Parvanov d’accorder sa grâce aux six soignants : « Mû par l’intime conviction de l’innocence des citoyens bulgares condamnés en Libye et fort de ses prérogatives constitutionnelles, le président a signé le décret de grâce et les a libérés de leur sentence », a dit Kalfin.

Benita Ferrero-Waldner salue les efforts communs menés par les différents États membres qui ont joué un rôle dans la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien. « Je souhaiterais dire que les présidences britannique, allemande, et maintenant la France, et naturellement la présidence portugaise (de l’UE), ont tout fait, ensemble, avec nous, pour pouvoir avoir un bon résultat », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse à l’aéroport de Sofia, ajoutant que « d’autres États membres, comme l’Italie, se sont toujours trouvés très ouverts pour essayer de trouver des solutions avec nous ».

C’est en compagnie de Mme Sarkozy, à bord d’un avion de la République française, que le médecin et les cinq infirmières reviennent dans leur patrie. Le gouvernement Bulgare est étrangement absent de ce concert de remerciements et d’éloges, ainsi que du rapatriement des soignants.

Cinquième constatation : le triomphe de Mouammar Kadhafi. La Lybie veut la pleine normalisation de ses relations avec les vingt-sept pays de l’Union européenne, afin de finir de parcourir le chemin qui a mené Tripoli du statut d’État voyou à celui de siège d’une nouvelle ambassade américaine. La Lybie pavoise : elle confirme haut et clair la visite du président français Nicolas Sarkozy mercredi. Elle précise que des accords seront signés entre Paris et Tripoli notamment dans les domaines de la sécurité, de l’énergie, de l’enseignement, de l’immigration, de la santé et de la recherche scientifique. En retour, Mouammar Kadhafi connaît bien les envies et le rapport de force que ces dernières suscitent : il y a le formidable marché pétrolier que recèlent la Libye et les promesses d’achat de matériels militaires et civils. De quoi faire saliver l’Europe et épingler quelques médailles supplémentaires sur la gandoura du « bédouin de Syrte ».

Pour les avocats des soignants bulgares, interrogés par le Nouvel Observateur, il ne fait aucun doute que Mouammar Kadhafi est triplement gagnant : « L’enjeu, pour Kadhadi, était symbolique, c’est-à-dire politique. De ce point de vue, il est triplement gagnant. D’une part, il a réussi à humilier l’Occident, à le faire plier, ce qui lui donne une dimension considérable auprès des pays arabes. D’autre part, il a obtenu une réintégration dans la communauté internationale. Enfin, il a réussi à perpétuer sa dynastie, en consolidant son pouvoir et celui de sa famille en Libye ».

Sixième constatation : le nucléaire. Le réseau « Sortir du Nucléaire », une fédération d’associations, accuse Nicolas Sarkozy de se livrer à « un troc nucléaire » en proposant à Mouammar Kadhafi « de la technologie nucléaire en échange des infirmières bulgares ». Le réseau, dans un communiqué, dénonce le fait que : « Promouvoir le nucléaire, et tenter d’étendre cette technologie sur la planète, est de façon générale une très mauvaise chose pour l’environnement ». Qui plus est, « fournir de la technologie nucléaire à un dictateur est encore plus irresponsable ».

L’avenir. Alors que le président de la République française s’apprête à faire un arrêt à Tripoli, ce mercredi, à Washington, le porte-parole du département d’État, Sean McCormack, qualifie le dénouement de « développement très positif » devant permettre d’ « aider à modifier les relations de la Libye avec le reste du monde ». Prudent sur les conséquences bilatérales, il laisse entendre que la secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, pourrait faire sa première visite en Libye.

Le gouvernement bulgare et les infirmières devraient s’adresser séparément à la presse, aujourd’hui, mercredi.

Sources : AFP, Courrier international, Le Monde, Libération, Nouvel Observateur, Presse canadienne, Reuters, RTL

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