lundi 2 juillet 2007

« Je n'ai pas été élu pour m'occuper de rien ! » Nicolas Sarkozy

En observateur de l’actualité française, de ce côté-ci de l’Amérique, force est de constater que le président de la République française est en danger. Ce qui attend monsieur Sarkozy, à court ou moyen terme, est pernicieux : la désaffection des Français et des Françaises.


Le président de la République ne veut pas être laissé à rien faire. Et son Premier ministre alors ? Pour deux grands copains, il semble que François Fillion pourrait souffrir d’une crise de solitude. Comme l’indique Le Journal du Dimanche : « Soucieux d’apparaître comme le véritable patron de la majorité, François Fillon qui, bien qu’il ne le laisse jamais paraître, est passablement agacé des moqueries qui courent chez les députés sur le thème Y a-t-il un Fillon dans l’avion ? ou Mais où est donc passé François Fillon ? veut croire qu’il tient sa revanche. Et que son heure est arrivée ».


D’abord, parlons de l’affaire. Patrick Devedjian, le secrétaire général délégué de l’UMP, nage dans la controverse. Richard Patrosso a publié, sur cet incident, un excellent article sur 100papiers. L’homme de confiance du président de la République est aux commandes de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), le parti présidentiel. Il est au cœur d’un scandale après avoir qualifié une fidèle de François Bayrou, Anne-Marie Comparini, de « salope ». Il aurait été normal que le président de l’UMP dégage son organisation de la responsabilité des propos tenus par le secrétaire général délégué. Mais voilà. Le président de la République occupe également la présidence du parti politique UMP. Nicolas Sarkozy a, en marge de la visite d’un chantier, réprouvé les propos de son proche conseiller mais n’a pas sanctionné. « Ce n’est pas des façons de parler aux femmes ni à qui que ce soit », a déclaré le président de la République aux journalistes. Prié de dire s’il envisageait des sanctions, il a répondu : « Il s’est excusé ». Le Premier ministre, François Fillon, a estimé pour sa part que « l’incident est clos ». « Il ne faut jamais insulter les gens, encore moins les élus », a-t-il dit. Mais Diantre. Que veut dire cette petite phrase sybilline : « encore moins les élus » ?


Le président de la République qui parle aussi d’un incident clos endosse-t-il cette petite phrase : « encore moins les élus » ? Faut-il comprendre que ce qui pourrait être toléré pour les uns ne pourrait l’être pour « les élus ou les élues » ?


Y a-t-il ici dérapage de haut en bas de l’échelon politique français ?


Petit retour d’ascenseur du secrétaire général délégué de l’UMP : « Le président est porteur de la légitimité démocratique ». Sur le fonctionnement de l’État, Patrick Devedjian est en harmonie avec son patron. Il ajoute même : « il peut être “dangereux” pour le président, en première ligne, de ne plus bénéficier d’un rôle de “fusible” du chef de gouvernement ». « Oui c’est dangereux, mais c’est la responsabilité des hommes politiques, de celui qui a été élu, de porter son projet, et de l’assumer », a-t-il dit, en estimant que « le meilleur moyen de ne pas avoir de coup de sang (des Français), c’est de tenir les engagements ».


Dans le Parisien Dimanche, Jean-Pierre Raffarin, vice-président de l’UMP, estime qu’il y a « quelque chose de révolutionnaire chez Nicolas Sarkozy » dont le pilotage à haut régime « est à la fois légitime et nécessaire ». L’ancien Premier ministre, qui parle en expert, estime que François Fillon « affirmera sa légitimité et sa capacité réformatrice progressivement ». Bref, depuis quand un Premier ministre doit défendre ou réaffirmer sa légitimité dans le rôle qu’il occupe ?


D’aucuns opposeraient au vice-président de l’UMP que ce qu’il y a de révolutionnaire est l’omniprésence du président dans les affaires de l’État. Pas un coin de la conciergerie qui ne soit inspecté ou visité par le président de la République. De la serpillière à la couronne, tout glisse entre les doigts de la présidence. La Cour du Roi n’a qu’à opiner du bonnet et à claquer des talonnettes.


Cette surexposition est évidemment dangereuse. Elle fait en sorte que l’objet ainsi surexposé glisse vers des zones plus ombragées et plus ombrageuses. La patience du peuple a des limites. La situation de son premier ministre est inconfortable et finira bien par gêner le peuple lui-même. N’est pas boniche qui veut. La rigolade sur Tony Blair - caniche de Georges W. Bush - pourrait se retourner contre le Premier ministre de la France.


Non seulement le président s’impose dans tous les recoins de la République mais il entreprend d’étendre son royaume à travers l’Europe. Sauf que là il ne trouvera pas que des vassaux. Se profile déjà à l’horizon une première controverse : l’adhésion de la Turquie à l’Union. La France de Nicolas Sarkozy y est opposée et souhaiterait un débat. Lisbonne de son côté, qui assumera la présidence de l’Union européenne, ne veut pas de discussions sur les frontières de l’Union : « Nous pensons qu’il est fondamental que la Turquie adhère à l’Union dès qu’elle aura rempli les critères qui ont été établis à la fois par Bruxelles et par Ankara ».


« Le président gouverne et le Premier ministre l’aide à mettre en œuvre son projet ». Cette vision réductrice du rôle du Premier ministre est voulue par la présidence elle-même. Elle est dangereuse pour la démocratie. Tout pouvoir centralisé aux mains d’un seul maître n’est plus démocratie mais monarchie. Qu’auront à dire les 320 députés du parti gouvernemental ? La présidence révisera-t-elle chacun des discours qui seront prononcés devant l’auguste enceinte ?


Le Nouvel Obs dresse ainsi la prochaine semaine du président :



  • Lundi, il recevra l’intersyndicale d’Alcatel-Lucent, groupe de télécoms en pleine restructuration, avant de se rendre à Strasbourg pour une “grande réunion publique” consacrée à faire la promotion du traité simplifié sur l’Europe conclu au récent sommet européen. Déplacement qui lui donnera peut-être aussi l’occasion de mettre un peu de baume au cœur des élus alsaciens de la majorité, venus à l’Elysée lui dire leur désarroi après la nomination au gouvernement du sénateur-maire PS de Mulhouse, Jean-Marie Bockel.

  • Mardi, M. Sarkozy sera à Marseille pour l’inauguration officielle du tramway de la cité phocéenne.

  • Mercredi, diplomatie proche-orientale au menu avec des entretiens à l’Élysée avec le roi Abdallah II de Jordanie puis la ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Livni.

  • Jeudi, il recevra successivement, entre autres engagements, le directeur général de l’OMC Pascal Lamy, le sénateur John McCain, un des favoris dans la course à l’investiture républicaine pour la présidentielle américaine de 2008 et Denis Sassou Nguesso, président du Congo.

  • Vendredi, ce sera au tour du président de Polynésie française, Gaston Tong Sang et du Premier ministre québécois, Jean Charest.


Monsieur Sarkozy n’entend pas rester à rien faire. Comme s’il n’avait rien à faire. « Je n’ai pas été élu pour m’occuper de rien », aurait-il commenté devant quelques opposants socialistes. « Est-ce que c’est la place d’un président de la République venir sur un chantier ? Oui, un président de la République, ce n’est pas fait seulement pour aller dans les sommets internationaux », a soutenu le président de la République. Les invitations sont lancées. Le président aime bien visiter les chantiers de France. Il est dommage que le Président n’ait jamais expliqué sa vision du rôle de son Premier ministre. Trop occupé par sa personne, il oublie et néglige les questions d’intendance.


Monsieur Sarkozy apprendra bien assez tôt que si le peuple se lasse de ses apparitions sur toutes les tribunes à propos de tout et de rien, à toute heure du jour ou de la nuit, cette lassitude se transformera rapidement en désaveu assez cinglant. Un premier signal devrait être pris en compte par le président : Nicolas Sarkozy recueille 61% d’opinions favorables et chute de trois points en un mois tandis que François Fillon, avec 54%, perd quatre points, selon le baromètre Ipsos pour Le Point.


D’après cette étude, réalisée les 22 et 23 juin, 18% des personnes interrogées ont un avis très favorable sur l’action du chef de l’État, 43% plutôt favorable, 22% plutôt défavorable, 9% très défavorable et 8% ne se prononcent pas. Le total défavorable passe de 24% à 31%, soit une hausse de sept points.


Quelle sera l’appréciation du peuple français au prochain discours du Premier ministre, mardi, devant l’Assemblée nationale ? De quelle marge de manœuvre bénéficiera le Premier ministre pour se démarquer et consolider son autorité ? « Attention toutefois », prévient Myriam Lévy , l’attachée de presse de Matignon, « ce sera tout sauf un catalogue de propositions ». Plutôt une « méthode de gouvernement et d’action qui sera valable pour toute la durée du quinquennat ». « Une philosophie de la réforme du courage », ajoute un proche du Premier ministre.


À la première crise majeure de son gouvernement, où le président trouvera-t-il le temps d’arbitrer les conflits, d’éteindre les feux, de remplir ses engagements, bref, d’être partout à la fois et nulle part ? Aux yeux du peuple français, la première vraie crise du gouvernement qui ne sera pas résolue en un temps record sera interprétée comme une faiblesse impardonnable de la part d’un superman qui, finalement, n’est qu’un homme avec des liens de fragilité et de condescendance tout autour de lui.


L’absence ou l’impuissance du Premier ministre à régler des conflits internes qui - au demeurant - son de son ressort le fera paraître davantage comme une marionnette que comme un homme aux services des idées et du peuple français.


Il faudra donc suivre de près cet exercice du Premier ministre de la France et voir en quoi il se démarque réellement du président de la République et en quoi il peut voguer librement sans devoir légitimer son rôle, sérieusement mis à mal par son patron. Reprenons la marque du Journal du Dimanche : « L’omniprésence, l’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy sont telles que les Français ont presque fini par oublier jusqu’à l’existence de François Fillon ! » Force est d’admettre que cette conclusion s’impose d’elle-même de ce côté-ci de l’Amérique. Une expression anglaise, particulièrement méchante, à l’égard de certaines personnalités, pourrait commencer à circuler : John Who ?


 


Séparateur