mardi 12 juin 2007

Beijing : les jeux de la honte en 2008

Héraklès a droit à notre souvenir parce que le premier, par amour pour les Grecs, il les rassembla à cette fête. Jusque là, les cités étaient divisées entre elles. Mais après avoir mis fin à la tyrannie et réprimé la violence, il institua une fête qui fût un concours de force, une émulation de richesse, un déploiement d’intelligence dans le plus beau lieu de la Grèce. Lysias, Discours olympique, 1-2


2008. La Chine accueillera les Jeux olympiques sans la lettre et l’esprit du Discours olympique de Lysias. Une honte à laquelle les athlètes du monde entier ne peuvent s’associer.




Introduction



Ce blog, qui n’a d’autre prétention que d’informer, est bloqué en Chine. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, et pour crédible que soit l’information, j’ai testé ici le sens de la démocratie chinoise à l’égard du droit à l’information de sa population. Cette censure n’arrêtera certainement mon ardeur à dénoncer ce régime et à mettre à jour toutes les informations relatives aux nombreux dénis dont est l’objet la population.



La population


Selon une étude du Centre sur les droits au logement et les expulsions (COHRE) avec le soutien du Réseau universitaire international de Genève, plus d'un million de résidents de Beijing (auparavant appelé Pékin) auront été déplacés lorsque débuteront les Jeux olympiques organisés l'année prochaine dans la capitale chinoise, dont un grand nombre de force. Plus de quatre cent mille personnes auraient jusqu’à présent été évincées de Pékin et relogées à l’extérieur de la ville. Elles vivaient en grande majorité dans les Hutong, les quartiers traditionnels de la capitale. Selon un porte-parole du bureau principal des grands travaux des JO à Pékin annonce que seules six mille familles ont été affectées par les travaux et que les personnes déplacées habitent maintenant dans de bien meilleures conditions.


Cela dit, qu’ont en commun, maintenant, ces honorables entreprises : Lekit Stationery Co, Mainland Headwear Holdings Ltd, Eagle Leather Products and Yue Wing Cheong Light Products ? Elles viennent d’être épinglées par plusieurs organisations de défense des travailleurs dont la Confédération syndicale internationale (CSI) qui ont dénoncé dans un rapport les « abus » et « atteintes flagrantes » aux droits des ouvriers dans des usines de Chine fournissant des sacs, casquettes, articles de papeterie, estampillés JO. Jiang Xiaoyu est vice-président du Comité d'organisation des jeux Olympiques (BOCOG). Il jure par les grands dieux que le travail des enfants est prohibé en Chine. Il affirme même que ces firmes ont signé des contrats les obligeant au respect des lois.


Plus récemment, des villages du Guangxi ont été le théâtre de manifestations où des milliers de paysans du sud du pays ont manifesté pendant plusieurs jours pour protester contre la politique de l’enfant unique de Pékin. Dans le cadre de la politique de l’enfant unique, introduite en Chine, il y a plus de vingt ans, les couples vivant dans les villes ne peuvent avoir qu’un enfant. Dans les campagnes, les parents sont autorisés à avoir un autre enfant si le premier est une fille. Les pauvres en sont réduits à enfanter au pays, dans la clandestinité, au prix d’un accroissement de la mortalité périnatale et maternelle. Les manifestations ont mobilisé jusqu’à 3.000 personnes dans certains des villages, précise l’agence XinHua, (la presse de Hongkong, non censurée, avance le chiffre de 50 000 protestataires), selon laquelle des édifices gouvernementaux ont été endommagés. La riposte des autorités a été brutale : des milliers de policiers armés ont étouffé l’émeute dans la violence. On compte des blessés des deux côtés. Près de 4.200 fonctionnaires ont été envoyés dans 28 villages pour rencontrer les habitants et « s’occuper de leurs plaintes ». Cette information ne nous serait probablement pas parvenue si les médias alternatifs n’avaient pas relayé des images par Internet. Bien malgré le fait que les autorités chinoises bloquent l’accès à plusieurs centaines de sites internationaux et que des milliers de sites chinois sont fermés.


Le Quotidien du Guangxi, organe de la presse officielle, rapporte que la municipalité de Bobai aurait mobilisé 5 896 employés et 150 véhicules de fonction. Ce journal parle aussi de « 3 964 opérations de stérilisations chez les femmes et les hommes » et de « 568 avortements ». En un mois, ajoute le journal, les amendes auraient rapporté 2,27 millions de yuans (227 000 euros) (Libération)


Le South China Morning Post, quotidien de Hongkong à la langue déliée, évoque une directive locale demandant à chaque membre du Planning familial d’effectuer des examens sur toutes les femmes. En cas de refus, une amende de 1 000 yuans, presque un mois de revenus, doit être infligée. Les « inquisiteurs du canton de Bobai » avaient, à la date du 24 avril 2007, collecté 7,8 millions de yuans et imposé à 17 268 femmes l’une des « quatre méthodes » du Planning familial : l’implantation vérifiée d’un stérilet chez les femmes ayant un enfant de trop, la stérilisation pour les mères de deux enfants et l’avortement déclenché ou chirurgical pour les contrevenantes enceintes. Si les paysans ont « trop d’enfants », ils doivent payer des amendes pouvant aller de 6 000 à 60 000 yuans (600 à 6000 euros). « Si les paysans n’ont pas d’argent, ils leur prennent des biens de valeur ou bien ils les détruisent ».


Depuis le mois de février, chaque maison est inspectée, chaque famille doit rendre des comptes. Ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas payer sont battus et leurs biens sont systématiquement saisis : « Quand il n’y a rien à confisquer, les équipes cassent les murs », a raconté sous couvert d’anonymat une femme recrutée dans une équipe du planning familial. [...] « Les gens du planning familial étaient comme les Japonais pendant la guerre, ils ont tout pris et détruit ce qui restait », a raconté un villageois à l’agence Reuters (Libération).


Un texte interne au parti et à l’administration, publié par le site Internet dissident Boxun, donne une assez bonne idée des consignes diffusées dans le sud du Guangxi : « d’ici au mois d’août, chaque fonctionnaire du canton devra avoir atteint deux objectifs : 1) obtenir d’une personne, homme ou femme, qu’elle subisse la stérilisation ; 2) collecter au moins 500 yuans au titre des frais de garde sociaux (une amende renouvelable de 50 euros imposée aux couples contrevenants, NDLR) ».


L’écart entre pauvres et riches s’élargit comme en fait foi la Commission Nationale des comptes. Il y a entre 150 et 200 millions de travailleurs ruraux ayant migré vers les villes à la recherche d’un travail en Chine et leur nombre risque de croître dans les dix années à venir. Les populations de la campagne, les ruraux, sont les premières victimes des autorités aveuglées par le communisme et l’argent : trafic foncier, corruption, magouilles et répressions par l’intimidation, exploitation des plus pauvres.


Dans certaines villes, ils constituent la majorité de la population. Les migrants internes sont tenus de se faire enregistrer comme résidents temporaires auprès des autorités locales dans le cadre du système d’enregistrement des ménages (hukou). Des millions d’enfants de travailleurs migrants sont aussi touchés et luttent pour avoir le droit d’aller à l’école. Dans de nombreux endroits, ils sont effectivement exclus du système scolaire ; en l’absence de hukou, les parents doivent s’acquitter de frais d’inscription demandés uniquement aux migrants ou payer des frais d’inscription très élevés.


Diplomatie égale trop souvent inaction


Le plus grand des maux et le pire des crimes, c’est la pauvreté (George Bernard Shaw (1856 - 1950).


Gao Zhisheng, connu sous le sobriquet d’« avocat aux pieds nus », doit sa notoriété à ses prises de position pour les droits de l’homme et à ses remarquables lettres ouvertes à M. Hu Jintao et à M. Wen Jiabao les dirigeants du Parti communiste. Il écrit, dans sa troisième lettre : « M. Hu Jintao et M. Wen Jiabao permettez-moi de dire avec respect que nous devons avoir le courage et la moralité d’admettre que la machine politique, qui a brutalement torturé notre nation pendant un demi-siècle, est entachée du sang et des larmes de personnes innocentes et que la piteuse destinée du peuple chinois, du fait de la coercition et l’oppression de milliers d’années de tyrannie, n’a pas encore pris fin. Nous devons reconnaître que notre nation, notre peuple, ont le droit de vouloir la démocratie, la liberté, un état de droit et des droits de l’homme et que ce désir n’a jamais été aussi fervent qu’aujourd’hui. Toute tentative actuelle d’obstruer la quête des droits susmentionnés s’avèrera vaine. Je vous prie de pardonner ma franchise mais toutes les dettes de sang se sont gravées dans les yeux, l’expérience et les souvenirs salis des gens. Messieurs, ce n’est que lorsqu’on a au cœur la sécurité des personnes souffrantes qu’on peut trouver une vraie sécurité. De même, c’est seulement lorsque vous vous soucierez du futur de notre nation que vous aurez aussi un bel avenir ! » (Le 12 décembre 2005).


Le CIO est préoccupé. En visite à Pékin, Hein Verbruggen, le président de la commission de coordination du Comité international olympique (CIO), a demandé aux organisateurs des Jeux de 2008 que les plans d’urgence en matière de lutte contre la pollution puissent entrer en vigueur dès cette année. Selon le département de la circulation de la ville, la capitale chinoise et ses plus de 13 millions d’habitants dépassait les 2,99 millions de véhicules, dont 2,18 millions de voitures individuelles. « Ces plans d’urgence, et leurs effets, doivent être évalués dès cette année afin que nous sachions s’ils garantiront une qualité de l’air qui puisse autoriser les athlètes à atteindre le niveau de performances espéré aux Jeux », a déclaré Hein Verbruggen.


Le même président Verbruggen plaide contre le boycott des JO en resituant le débat sur les bienfaits potentiels d’une olympiade : « Au CIO, on ne veut pas s’immiscer dans les questions politiques, ce n’est pas notre rôle (...) Nous sommes ici pour organiser les jeux. La question que tout le monde devrait se poser est de savoir si la situation serait meilleure en Chine si nous ne venions pas y organiser les Jeux, et je pense que la réponse serait certainement non ».


Le président de la République française est préoccupé. Le 16 mai dernier, M. Nicolas Sarkozy déclarait : « Je ferai de la défense des droits de l’Homme et de la lutte contre le réchauffement climatique les priorités de l’action diplomatique de la France dans le monde. La tâche sera difficile et elle devra s’inscrire dans la durée ». Pourtant, l’idée d’un boycott des Jeux Olympiques a été catégoriquement rejetée par le candidat Sarkozy, voire dénoncée, lors de la campagne présidentielle, après que Ségolène Royal eut clairement remis en cause l’attitude de Pékin.


Le président américain George W. Bush est préoccupé. Le président Bush a rencontré le vice-Premier ministre chinois, Mme Wu Yi, à la Maison Blanche. Durant les négociations de deux jours à huis-clos à Washington, de hauts officiels économiques des deux pays dont de nombreux ministres ont discuté de sujets allant des services aux investissements en passant par la transparence, l’énergie, l’environnement, la balance des paiements et l’innovation. Le président américain a indiqué qu’il avait lui-même abordé avec le vice-Premier ministre chinois, Mme Wu Yi, les questions de la protection des droits de propriété intellectuelle et des importations de viande de bœuf américaine en Chine. M. Bush a aussi salué les progrès effectués lors des discussions dans le domaine du développement du trafic aérien entre les deux pays.


Quelle image la Chine voudra-t-elle donner au monde entier d’elle-même et à sa population : « Bien que le gouvernement ait promis une « liberté complète des médias » pendant les Jeux olympiques, il applique deux poids et deux mesures aux journalistes nationaux et étrangers. Le 1er janvier 2007, de nouvelles règles sont entrées en vigueur pour les journalistes étrangers, leur évitant de demander l’autorisation des autorités locales pour mener des entretiens ou des enquêtes. Cependant, le public chinois risque de se voir refuser l’accès aux reportages étrangers sur des sujets sensibles, en particulier après l’introduction de règles en septembre dernier, qui ont renforcé le contrôle officiel sur la diffusion nationale des nouvelles provenant d’agences étrangères en Chine » (Amnesty International).


Nous aurons les Jeux Olympiques pour l’image de la Chine dans le monde, et des Jeux Olympiques censurées pour l’image interne de la Chine auprès de sa population. Beau programme que voilà. Quels dirigeants voudront que la population chinoise ait accès aux nombreux reportages « sociaux » internationaux qui agaceront les establishments du Parti et du gouvernement ?


Comment les athlètes du monde entier pourront-ils célébrer l’esprit olympique dans un pays qui bafoue les droits humains et qui réduit sa population au silence ?


Comme l’écrivait Jacques Attali, dans son livre La voie humaine : « la démocratie en Occident n’est plus, pour beaucoup, la grande affaire pour laquelle tant de générations se sont battues ».