La notion de vie privée se rapporte entièrement au respect que nous avons de l’unicité d’autrui. Chaque individu a ses propres valeurs, qu’il choisit ou non de révéler. Le respect de cet individu exige que nous lui laissions vivre une vie privée. Le respect de cette vie privée favorise la liberté, l’autonomie et la dignité. L’alternative est une vie vide de sens et pleine de crainte, soumise à l’oppression d’une perpétuelle surveillance.
Bruce Phillips,
Commissaire à la protection
de la vie privée du Canada, 1999
Le Figaro nous prévient : « Le 2 mai, en toute discrétion, entre les deux tours de l’élection présidentielle, le ministère de l’Intérieur a mis en place sa nouvelle plate-forme technique d’interception des données de connexion aux systèmes de communication. Qu’il s’agisse d’un appel sur mobile, d’un courriel envoyé par Internet ou d’un simple texto, les « grandes oreilles » de la République peuvent désormais savoir qui a contacté qui, où et quand ».
Poursuivant cette bonne nouvelle, le Figaro relate que les enquêteurs peuvent désormais se faire transmettre en un clic ou presque par les opérateurs de téléphonie la liste de tous les appels entrant et sortant sur l’ensemble des lignes de l’abonné, se faire communiquer ses documents d’inscription avec son adresse et ses coordonnées bancaires. Ils peuvent aussi exiger de connaître tous les sites Internet ou adresses de forum sur lesquels il a pu se connecter.
Le hasard est parfois surprenant. Dans un rapport publié en août dernier, Amnesty International décrivait en détail comment elle s’était opposée, avec d’autres mouvements militants, à la généralisation des atteintes aux droits humains au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Le rapport attirait l’attention du public sur des conflits et d’autres situations où les violations des droits humains passent inaperçues, du fait que les États se concentrent sur des problèmes de sécurité nationale.
Du ministère de l’Intérieur, passons maintenant au ministère de la Justice : « De son côté, sans faire de bruit, la justice crée son propre système d’interception des SMS pour répondre aux réquisitions des juges d’instruction, mais aussi des parquets. Il pourrait être opérationnel dès juillet. Cette fois, les magistrats vont obtenir directement des opérateurs les contenus des messages. Et pas seulement dans les affaires de terrorisme ».
L’Angleterre aura ses caméras de surveillance : entre 250 et 400 millions de livres sont dépensés chaque année pour développer un réseau vidéo qui compte déjà près de 1,5 million de caméras. La France ses plateformes d’interception des courriels et SMS. L’Angleterre pourra échanger avec la France les résultats de ses enquêtes spéciales sur les citoyens que lui permet la loi de juillet 2000 appelée « Regulation of Investigatory Powers Act ». L’étendue de cette loi est fascinante : les services de renseignements, la police, le fisc ou les douanes peuvent, sans mandat judiciaire, se glisser dans les téléphones mobiles et les ordinateurs. Ils peuvent savoir où, quand et qui une personne appelle, sur quel site Internet elle se connecte et connaître le contenu de ses messages.
Serions-nous si éloignés des droits à la vie privée qu’au nom de la sacro-sainte sécurité nationale, tout est désormais permissible ? Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. huit (8) : « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (que la famille soit naturelle ou légitime), de son domicile et de sa correspondance. Une ingérence peut être considérée comme licite si elle constitue une mesure nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme interprète le droit au respect de la vie privée de manière extensive ».
Faudra-t-il reléguer aux oubliettes cette disposition, apparaissant dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et dans l’art. 226-15 du nouveau Code pénal, qui punit l’interception ou le détournement des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications et l’utilisation ou la divulgation de leur contenu, ainsi que la suppression ou l’ouverture de lettres ou de correspondances commises par des agents publics ou des particuliers de mauvaise foi.
Au Canada, sur la cueillette et l’échange des renseignements personnels, les principes sont toujours les mêmes :
Préoccupations des Canadiennes et des Canadiens concernant la circulation transfrontalière de leurs renseignements personnels et les risques possibles à l’encontre de la protection des renseignements personnels découlant d’une législation étrangère comme la USA PATRIOT Act
« Même si les rapports entre la sécurité nationale, l’exécution de la loi et la protection des renseignements personnels ne cessent d’évoluer, les Canadiennes et les Canadiens devraient toujours pouvoir compter sur une norme raisonnable en matière de protection de leurs renseignements personnels. Ils ne veulent pas que des gouvernements ou des organisations au Canada transfèrent les renseignements les concernant à d’autres pays, que ce soit à des fins de sécurité ou autres, s’il y a un risque de communication inappropriée. Cette stratégie met de l’avant la protection de la vie privée comme droit fondamental de la personne ». (Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Ottawa, 6 avril 2006)
Avant que les agents publics ne lisent davantage ce blog, je m’arrête. Mais avant de terminer pour terminer, une question me turlupine : pourquoi diantre ces ministères se montrent-ils si discrets sur les nouveaux développements informatiques ?