Il n’y a pas une politique économique de droite et une politique de gauche, il y a une politique qui marche et une qui échoue. En tant que socialiste, je choisis la politique qui marche ; et je peux distribuer ensuite, en socialiste, les fruits de la réussite.
Tony Blair
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La France a tranché : elle a privilégié Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal. Cela serait si simple. La droite est plurielle. La gauche est plurielle. Comment satisfaire les uns comme les autres dans cette mosaïque ?
Jean-Louis Debré président du Conseil Constitutionnel annonce: «Vous êtes le sixième président de la Ve République ». Nicolas Sarkozy est maintenant le président de la République de France. Réaliser un rêve à 52 ans est une chose. Le mener à terme en est une autre.
Voilà d’abord une élection qui s’inscrit hors du commun : participation atteignant un sommet jamais vu depuis 1965 (83,7 % au premier tour, 37 millions de votants, 85 % au second) et forte hausse des inscriptions sur les listes électorales (3,3 millions d’électeurs supplémentaires, soit 7,5 % de plus par rapport à 2002). Plusieurs observateurs politiques français ont mis en relief le fait que, contrairement à la tradition qui veut que « on choisit au premier tour, on élimine au second », les Français ont choisi d’« éliminer » dès le premier tour. Parmi ces observateurs, Serge Faubert, ancien directeur de la rédaction de France-Soir, en vient à la conclusion que : « la victoire de Nicolas Sarkozy est d’abord une victoire par défaut. Lorsque le parti du mouvement n’incarne plus justement ce mouvement, le parti de l’ordre n’a plus qu’à se baisser pour se parer de son ramage ». Et plusieurs autres ont même conclu que l’électorat français avait renoué avec la bipolarisation, calquant ainsi le modèle américain : démocrates contre républicains.
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Le clivage semble profond. La fracture est proportionnelle aux divisions tangibles de la France. Polarisation entre gauche et droite au détriment du centre. D’aucuns rétorqueront que c’est plutôt le centre qui a polarisé davantage la gauche et la droite par son élévation dans les résultats du vote populaire. Il ne suffit pas de se faire élire. Il faut gérer. Gérer c’est prendre des décisions. C’est également rassembler et non désunir. Le consensus sera-t-il possible dans une France aussi distinctement polarisée entre deux factions rivales qui s’épient à qui mieux mieux. En plein défi d’autorité, de la part du ministre des Finances, rappelez-vous ces mots de Jacques Chirac le 14 juillet 2004 : « Je décide, il exécute ». Le 14 janvier 2007, trois ans plus tard, en se lançant dans la bataille présidentielle, l’ex-ministre des Finances lance : « J'ai changé ». Maintenant président, Nicolas Sarkozy accepterait-t-il une mise au défi aussi claire de l’un de ses ministres ? Pourra-t-il en définitive réussir à créer une solidarité ministérielle exemplaire au sein d’une équipe qu’il voudrait plurielle ? « Je veux dire ma conviction qu'au service de la France il n'y a pas de camp. Il n'y a que les bonnes volontés de ceux qui aiment leur pays. Il n'y a que les compétences, les idées et les convictions de ceux qui sont animés par la passion de l'intérêt général ».
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La force des mots
Les premiers mots du président de la République m’ont laissé songeur : « Le 6 mai, il n'y eu qu'une seule victoire, celle de la France qui ne veut pas mourir. […] Je pense au peuple français qui a toujours su surmonter les épreuves avec courage. Je pense avec émotion à cette attente, cette espérance, ce besoin de croire à un avenir meilleur. Je pense avec gravité à ce mandat qui m'a été confié. Je pense à la France, ce vieux pays qui a traversé tant d'épreuves et qui s'est toujours relevé (...) ». La France qui a traversé tant d’épreuves ? Et les réussites de la France ? S’en trouveraient-elles qui aient pu être dignes de mention dans ce premier discours présidentiel ? Tourné vers le passé, davantage que vers l’avenir, le président veut : « rompre avec les comportements du passé et le conformisme intellectuel qui a fait tant de mal à notre démocratie » et « liquider l'héritage de mai 68 ».
De manière surprenante, le nouveau président envoie un signe d’apaisement à ses amis américains sur la base de tragédies communes, ignorant la valorisant des succès communs : « Je veux lancer un appel à nos amis Américains pour leur dire qu’ils peuvent compter sur notre amitié qui s’est forgée dans les tragédies de l’Histoire que nous avons affrontées ensemble ». La souffrance serait-elle le commun dénominateur qui unira la France à ses amis : « La France, ce vieux pays qui a traversé tant d'épreuves, lance un appel à nos amis Américains qu’ils peuvent compter sur notre amitié qui s’est forgée dans les tragédies de l’Histoire ? »
Force est de constater que nous retrouvons là deux déclarations majeures, fondées sur une volonté de paix, qui se réclament d’épreuves et de tragédies. Approche éminemment biblique coulée dans l’airain de la rédemption.
Avant sa confirmation présidentielle, Nicolas Sarkozy avait développé une imagerie populaire pour marquer les esprits. Il n’hésitait pas à provoquer.
Pour rappels :
- « Si l’on excuse la délinquance aujourd’hui, il faut s’attendre à la barbarie demain ».
- « Il y a 60 000 détenus en France. Qui décide que c’est trop ? Par rapport à quels critères ? Je souhaite qu’aillent en prison ceux qui le méritent ».
- « Si nous continuons avec la même quasi-impunité garantie aux mineurs délinquants, nous nous préparons à des lendemains très difficiles, et nous n’aurons à nous en prendre à nous ».
- « Je demande qu’il n’y ait pas de libération provisoire pour un délinquant sexuel qui n’accepte pas de suivre un traitement chimique. Qu’on le mette comme condition à sa libération ».
- « Les droits de l’homme, pour moi, ce sont avant tout les droits de la victime ».
- « Il faut agir plus tôt, détecter chez les plus jeunes les problèmes de violence. Dès la maternelle, dès le primaire, il faut mettre des équipes pour prendre en charge ces problèmes. - Dès la maternelle ? - Oui ! »
- « Le voile, les «grands frères», les mariages forcés, la communauté turque dont certaines femmes ne parlent pas un mot de français, les nouveaux venus qui vivent entre eux, les quartiers difficiles avec des ghettos, tout cela, c'est une invention de ma part ? »
- « Oui, je suis né hétérosexuel. Je ne me suis jamais posé la question du choix de ma sexualité. C'est pour cela que la position de l'Eglise consistant à dire « l'homosexualité est un péché » est choquante. On ne choisit pas son identité. Vous, à quinze ans, vous vous êtes demandé : «Au fond, suis-je homosexuel ou hétérosexuel ? »
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Gouverner, c’est décider
L’Agence France Presse rappelle que François Fillon, dans son livre, « La France peut supporter la vérité », publié à l'automne 2006, se disait, entre autre, favorable à une présidentialisation mesurée du régime : « il est impensable que le président de la République ne gouverne pas, réellement. Il doit diriger le gouvernement, expliquer régulièrement ses choix au pays, rendre des comptes au Parlement », ce qui nécessite, pour ce dernier point, une réforme constitutionnelle. Dans le même temps, monsieur Fillion estime que le Premier ministre ne doit pas être « aux ordres du président de la République ». Les ministres démissionnant ou démissionnés du gouvernement pourraient automatiquement récupérer, le cas échéant, leur siège de parlementaire sans devoir passer par une élection partielle. M. Fillon se prononce pour que les nominations à des postes publics soient ratifiées par le Parlement. Cette position du Premier ministre suppose une présence accrue du président dans la gestion des affaires de l'État. La cohabitation risque d'être difficile, dans les années à venir, si une telle réforme devait se réaliser.
« Le président de la République devra gouverner ». Chose promise... titre Libération. Nicolas Sarkozy plonge les mains dans le cambouis d'EADS, à Toulouse. Une première pour un chef d'État, à peine intronisé, qui prend en charge l'un des plus gros dossiers industriels sur la table. Dans ce schéma, le rôle du Premier ministre devrait alors être réduit à celui d'un super directeur de cabinet, un chef d'équipe ministérielle. Libéral, mais croyant en l'intervention publique et volontariste, Nicolas Sarkozy se veut aussi un manager, désireux d'appliquer à l'État certains canons de l'entreprise privée.
Les membres du gouvernement de monsieur Nicolas Sarkozy endosseront-ils, tout un chacun, en leur âme et conscience, ce nouveau style de gestion du président de la République ainsi que les dérives verbales qui pourraient s’échapper, accidentellement ou volontairement, des déclarations présidentielles ? Fort de l’imagerie populaire de super manager et de décideur frondeur développée au cours des cinq dernières années, forgée dans une idéologie conservatrice profonde, le cabinet ministériel pourra-t-il se souder dans une indéfectible solidarité à l’égard du président de la France ?
Comment le président lui-même gérera-t-il des dérives – hors des sentiers battus – d’un ministre qui pourrait être tenté de minimiser la politique présidentielle, voire de s’en désolidariser ? En bref, comment le président Nicolas Sarkozy acceptera-t-il de gérer un ministre qui aurait un comportement similaire au sien durant les années Chirac ?
À vouloir rassembler les tendances de gauche avec celles de droite, et donner ainsi une image d’ouverture à son gouvernement, le président Sarkozy ne se tend-il pas lui-même un piège qui se refermera brutalement sur sa propre gestion politique intérieure ?
Si, parmi les 47 pour cent d’électeurs qui n’ont pas approuvé sa politique, il s’en trouve pour se lever et contester brutalement – avec bruits et fureurs – ses décisions, ordonnera-t-il à son cabinet ministériel de revenir à cette règle : « Je demande aux policiers non plus de faire de l’ordre public mais d’interpeller ». Le futur ministre de l’intérieur devra-t-il, en son âme et conscience, suivre les traces de son prédécesseur et, encore une fois, appliquer cette règle si chère aux yeux du président : « C’est une police d’interpellation, la police n’a pas à conduire une action sociale, la police a à conduire une action de répression pour que les citoyens puissent vivre en toute tranquillité ».
Sur une décision judiciaire avec laquelle le nouveau président serait en désaccord, interviendra-t-il brutalement auprès de son Garde des Sceaux pour lui intimer, à l’inverse, cette ordonnance qu’il a formulée du président Chirac : « En conseil des ministres, j’ai demandé au président de la République de demander au Garde des Sceaux ce qu’il allait advenir du magistrat qui avait osé remettre un monstre pareil en liberté » ?
Monsieur le Président de la République pourra-t-il gérer la séparation des pouvoirs qui a si longtemps gouverné la France ? Avec un Nicolas Sarkozy hyperactif et dominateur, la lumière ira forcément vers l'Élysée (Le Monde, 17 mai 2007). Aura-t-il maille à partir avec le Conseil constitutionnel qui pourrait formuler des avis que n’apprécierait pas du tout le Président de la République ? Ce dernier pourrait-il aller jusqu’à créer une crise remettant en cause certaines orientations relatives à la défense des droits de la personne parce celles-ci ne s’inscrivent pas dans sa volonté de réformer l’État ?
Qui sera l’heureux élu pour mener à terme la création du ministère de l’Identité nationale ? Ce ministère naîtra-t-il dans un esprit de consensus ou de division au sein de la France ? Il n'y a que les bonnes volontés de ceux qui aiment leur pays, disait le président Sarkozy. S’il se trouve une tranche importance de la France qui s’élève contre ce principe de l’identité française au détriment d’une immigration et des droits de la personne, sera-t-elle considérée parmi ces « bonnes volontés qui aiment leur pays ? » ou des ennemis de l’État ? Les ministres qui, en leur âme et conscience, vivront difficilement ce clivage des Français de souche et des immigrants à qui on leur donne un privilège de l’adoption, pourront garder intacte leur solidarité ministérielle ? Comme l'écrit Laurent Joffrin, de Libération : « La fermeté, encore rappelée dans le discours d'hier, en matière de délinquance ou d'immigration, donnera forcément lieu à des excès législatifs ou pratiques dont le ministre de l'Intérieur d'hier, aujourd'hui président, a donné maintes fois l'exemple. Ce programme annoncé suscitera une opposition légitime ».
En terminant, dans sa gestion avec le Conseil des ministres, le président de la République donnera-t-il à son premier ministre la marge de manœuvre nécessaire pour la bonne conduite et la bonne gouverne de l’État, privilégiera-t-il la collégialité. « Je défendrai l'indépendance de la France, l'identité de la France, l'impartialité de l'État », déclarait-il. Il faudra regarder de près le mode de gestion qu’entendra imposer le nouveau président. Lors de son passage au ministère de l’Intérieur, il avait indiqué sa notion de la gestion par résultats : « J’exigeai d’avoir chaque soir un état récapitulatif des statistiques de la délinquance et de l’immigration. Je décidai de les publier chaque mois, afin que nos résultats soient vérifiables et connus de tous. Je créai les réunions “3+3” : chaque mois, je recevais les trois préfets dont les résultats étaient les meilleurs et les trois préfets dont les résultats étaient les plus mauvais ; les premiers pour les féliciter, les seconds pour comprendre et les aider à progresser » (“Témoignage”, Nicolas Sarkozy, XO Editions, p 32).
Beaucoup de questions. Des réponses viendront au cours des 100 premiers jours de son règne. Et d’autres viendront dès la première crise du cabinet des ministres et les premiers faux pas d’un ministre marquant trop promptement sa dissidence à l’égard de l’autorité présidentielle.
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Une première réception positive
Selon un sondage Opinionway pour Le Figaro et LCI, 61% des Français approuvent la nomination de François Fillion au poste de Premier ministre, 68% le trouvent courageux, 65% compétent. Ils sont moins nombreux à le trouver sympathique (53%) et à l'écoute des Français (50%). A peine plus de la moitié (52%) le jugent capable de faire les réformes dont la France a besoin. 83% de ses électeurs approuvent la nomination Bernard Kouchner au Quai d’Orsay.
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Conclusions
Si tant est que la chose soit prévisible, il faudra surveiller, au cours des prochains mois, la gestion du président Sarkozy dans une situation de crise que pourrait générer l’un des événements suivants :
- Réactions à venir du Président de la République face aux législatives de juin 2007
- Relations de la Présidence avec le Conseil des ministres
- Déclarations présidentielles sur la conduite des affaires intérieures du gouvernement
- Dissidence ou déclaration malencontreuse d’un ministre
- Contestation aggravée sur une orientation ou un virage radical du gouvernement en regard d’une politique séculaire de la France relativement aux droits de la personne, à ses relations avec les partenaires étrangers, à de nouvelles stratégies économiques, fiscales, politiques, etc.
- Relations du Président avec les groupes traditionnellement acquis à l’État, tels que le patronat, les think thank économiques d’obédience conservatrice, etc.
- Comportement du président de la République à l’égard des groupes de pression hostiles ou groupes de pression syndicaux remettant en question certaines grandes orientations stratégiques énoncées dans le programme électoral
- Débats parlementaires à l’Assemblée nationale et comportement de l’équipe ministérielle – députés et ministres - relativement à la défense des décisions du gouvernement
La grande question fondamentale est la suivante : Nicolas Sarkozy, pour qui rien ne sera plus pareil, débordera-t-il de ses fonctions de président pour s’ingérer régulièrement dans les affaires de l’État, dans le domaine judiciaire ou dans le domaine législatif ? Là est toute la question. La droite a fait campagne sur le slogan de « la rupture tranquille » ? « La rupture, c'est Nicolas; la tranquillité, c'est François », résume le député UMP Dominique Paillé (Le Monde, 17 mai 2007). On verra bien.
Il faudra surveiller deux promesses du nouveau premier ministre : a) le respect de tous les engagements pris parce que la rénovation de la vie politique est à ce prix et b) une démonstration que la France aujourd'hui est plus solide qu'elle ne l'était il y a cinq ans.